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Le siècle du gène

Publié en ligne le 16 juillet 2004
Le siècle du gène

Evelyn Fox Keller,
préface de François Jacob
Éditions Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 2003. 19 €

Mouvance d’un concept

Dès le début, ce que désigne le mot « gène », introduit en 1909 par Johannsen, est teinté d’ambiguïté. Tant et si bien qu’en 1933, le grand généticien américain, prix Nobel de médecine, T.-H. Morgan écrit « Il n’y a aucune opinion consensuelle par les généticiens sur ce que sont les gènes - s’ils sont réels ou purement fictifs. » Rien moins !

C’est l’histoire des retournements conceptuels opérés tout au long du siècle écoulé autour de ce mot, que nous raconte E. Fox Keller, historienne et philosophe des sciences.

Autour de quatre axes d’approche du concept de gène (sa stabilité, son action, ses interactions dans le cadre d’un programme, sa « robustesse » pour assurer le développement d’un organisme), et par des allers-retours dans le siècle, E. Fox Keller revient sur les étapes qui mènent de la redécouverte des lois de Mendel au projet « Génome humain ».

D’abord décrit comme une entité stable, mémoire intergénérationnelle des caractères héréditaires, les études actuelles montrent que le gène est le résultat d’un équilibre entre stabilité et mutabilité, produit de l’évolution.

Entre unité et programme, le complexe interactif

Dès les débuts de la génétique, une action causale est attribuée au gène, qui deviendra le dogme central de la génétique formulé par Crick en 1957 : « L’ADN fabrique l’ARN, l’ARN fabrique des protéines et les protéines nous fabriquent. ». Mais progressivement, la connaissance des étapes qui mènent du gène au caractère montre la difficulté à donner une définition fonctionnelle au gène.

D’autre part, le discours initial, fondé uniquement sur les effets cumulatifs de l’action des gènes dans la construction d’un organisme, laisse place à partir des années 1960, à la notion populaire de programme génétique qui rend compte d’interrelations entre les gènes. À la lumière des plus récentes découvertes, E. Fox Keller propose de le remplacer par la notion de « programme distribué », qui serait « un complexe interactif, composé de structures génomiques et du vaste réseau de la machinerie cellulaire dans lesquelles ces structures sont impliquées. »

Le gène : l’efficacité de l’ingénieur

Enfin, dans la dernière partie de son étude, E. Fox Keller se penche sur la définition d’un organisme (« un corps physico-chimique délimité capable d’autorégulation et d’auto-formation ») et la compréhension du contrôle de son développement qu’en ont eue les biologistes au cours des deux derniers siècles, pour finalement dégager la notion, empruntée au monde des ingénieurs, de robustesse, de « fiabilité des processus de développement et de leur capacité à rester sur les rails en dépit des inévitables vicissitudes environnementales, cellulaires et même génétiques. »

Malgré la difficulté du sujet, ce livre est accessible au non-spécialiste qui découvrira l’histoire de la génétique et la façon dont les concepts doivent être dépassés au fur à mesure des résultats apportés par de nouvelles avancées techniques. Et précisément, nous sommes dans une telle période de remise en question du gène. François Jacob, prix Nobel de médecine en 1965 avec André Lwoff et Jacques Monod pour leurs travaux sur la régulation de l’expression des gènes, affirme dans la préface de ce livre : « Le gène, puis le génome témoignent du succès du réductionnisme. Mais il semble bien que le temps soit venu de modifier cette tendance. Il n’est plus possible d’attribuer au seul gène toutes les propriétés qu’on a voulu y voir. » Evelyn Fox Keller argumente brillamment cette nécessité d’une révision.


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Publié dans le n° 259 de la revue


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