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Courrier des lecteurs : juillet à septembre 2012

Publié en ligne le 20 mai 2013 - Rationalisme -

Quand un sujet fait de l’ombre à tout le reste...

Je me suis cru très proche de votre pensée et de tous vos positionnements. Cela s’est trouvé vérifié de nombreuses fois, je l’avoue, et avec grand plaisir. Gérald Bronner, Jean-Paul Krivine, beaucoup de textes stimulants... Ma grande déception date en premier lieu de la recension élogieuse, quasi dithyrambique, du livre brûlot de Michel Onfray sur Freud. Ce papier était hélas signé de Jean-Paul Krivine, qui occupe les plus hautes fonctions à SPS. Je suis médecin (anesthésie-réanimation, exercice public exclusif en médecine d’urgence entre autres – récemment retraité). J’ai choisi de telles études au départ pour devenir psychanalyste. [...] Ensuite, votre numéro spécial sur le sujet m’a éberlué. Quel aveuglement, quel orgueil faut-il à tous ces gens (ceux qui n’ont pas l’excuse de l’ignorance) pour refuser ainsi un secteur de la pensée ? Que vous récusiez son caractère scientifique, j’accepte. J’ai suffisamment exercé une médecine quasi scientifique (réanimation, métabolismes, grandes fonctions vitales etc.) pour admettre la faiblesse scientifique de la psychanalyse.

Mais alors deux choses : Est-ce si grave ? Voudriez-vous faire passer un examen à Mélanie Klein, et à qui encore ? Et finalement, si ce n’est pas une vraie science, est-ce de votre domaine ?

Vous traitez cette médecine comme le charlatanisme des sourciers, astrologues, naturopathes etc. ! Certes, il y a des charlatans chez les psys, mais votre thèse est ici par trop ridicule (je dis un « vous » très large, incluant une grande part des auteurs du numéro spécial). Si Freud a pu présenter son œuvre comme une science (non vérifié, mais j’en suis quasi certain), c’est lié au contexte de l’époque et à sa solitude au départ. Les patients acquis de cette discipline thérapeutique ont tout de même permis d’établir un corpus assez cohérent, au moins pour l’homo occidentalis. Conséquence de ces embrouilles : je n’ai plus ni confiance, ni plaisir à vous lire. Dommage ! Il y a toujours de bonnes choses, mais le cœur n’y est plus. Bonne chance quand même !

Marc R.

Je me permets de revenir sur ce courrier un peu ancien auquel je n’ai pas pu répondre avant, car il me désole à plus d’un titre : d’abord, je constate que notre message n’est pas passé, puisque notre hors-série psychanalyse avait tenté notamment de démontrer que la psychanalyse n’offrait de cohérence ni à l’« homo occidentalis », ni aux autres 1... Les préceptes principaux, pourtant très largement acceptés, sur lesquels se fonde la psychanalyse (refoulement, complexe d’Oedipe, etc.) n’ont jamais pu faire l’objet d’une quelconque validation. Ensuite, par contre, vous avez raison : si la psychanalyse n’avait que prétention littéraire ou philosophique, alors elle ne mériterait pas nos efforts. Mais la réalité est tout autre, et c’est bien ce qui a motivé notre choix d’un hors-série sur le sujet. Elle a prétention scientifique (elle se présente comme une théorie de l’esprit) et revendique des résultats thérapeutiques (elle affirme pouvoir aider à aller mieux, à guérir). Des psychanalystes reçoivent des patients dans leurs cabinets, et elle est, en France, enseignée dans de nombreux cursus de psychologie. Il est donc légitime que ces deux allégations soient passées au crible de la méthode scientifique et de la connaissance. C’est d’ailleurs ce qu’a récemment fait la Haute Autorité de Santé à propos des prises en charge de l’autisme, ou l’INSERM, dans une évaluation comparée de plusieurs approches thérapeutiques appliquées au soin des troubles mentaux. Donc, finalement, quand vous écrivez « Que vous récusiez son caractère scientifique, j’accepte », vous rejoignez le cœur même de notre critique, qui portait presque exclusivement sur cet aspect.

Mais c’est surtout votre conclusion (« le cœur n’y est plus ») qui me désole véritablement ! Il arrive que des lecteurs s’avouent déçus, et parfois même nous quittent pour UN sujet particulier. Pour vous, la psychanalyse, pour d’autres, ce sera le climat, les OGM... Bref, nous sommes toujours au bord de décevoir certains lecteurs, qui pourtant nous approuveraient sur des dizaines de sujets, parce que sur l’un d’entre eux, nous allons contre des idées trop arrêtées. Je comprends bien la démarche qui peut conduire à rejeter en bloc l’Afis parce qu’on estime y voir une faille ou un échec. Mais ne serait-il pas plus rationnel de simplement se désolidariser de nos conclusions sur un sujet (si vraiment...) sans remettre en cause la valeur de toutes les informations transmises ? Car c’est bel et bien une seule et même démarche qui nous anime : découvrir, puis faire connaître les résultats scientifiques tangibles sur lesquels il est légitime de se fonder pour se forger son opinion. N’oublions pas qu’un préalable à cette démarche est d’accepter d’avoir à changer d’avis... (Ça a toujours été mon avis !)

M.B.

Les idées préconçues en science

Le « dialogue avec nos lecteurs » du dernier numéro m’a ramené quelques lustres en arrière, temps où je représentais une association de consommateurs face à EDF, et où les champs magnétiques des lignes haute et très haute tension faisaient l’actualité des inquiétudes irrationnelles et des réactions tout aussi irrationnelles. Les conséquences sanitaires graves pour les enfants (leucémies) étaient mises en valeur par les médias, des agriculteurs assuraient que leur cheptel dépérissait, mais refusaient que EDF analyse tous les éléments de la vie quotidienne (alimentation du bétail, rythme d’activité, etc.), EDF semblait penser qu’il était le seul compétent en la matière, et refusait l’enterrement de ces lignes à cause du coût et des contraintes techniques et parce que l’emprise de sécurité au sol serait équivalente à celle d’une quatre-voies, etc.. Comme moins de gens étaient concernés, le débat était moins général que celui qui lui a succédé à propos des antennes, mais tout aussi vif.

Le temps a passé, et mes souvenirs (notamment chiffrés) sont moins précis, mais le débat entre scientifiques découlait apparemment du faible nombre de cas, et de la difficulté à disposer de cohortes comparables [...]. D’autre part, si un taux est de 2/100.000, la moindre variation aléatoire (ex : +1) constitue une variation importante du taux (cf antennes de St Cyr l’École pour ce qu’on en a entendu). De mémoire, le débat portait sur le fait que pour les uns, passer de 2 à 2,1 ou 2,2 était significatif d’un risque, et non pour les autres.

EDF a alors organisé un Colloque international qui fut extrêmement intéressant ; [...] La dernière intervention sur les champs magné- tiques fut celle d’une équipe suédoise ; la géographie du pays, forestière, allongée, de faible densité de population, leur avait permis de créer deux zones d’étude, l’une autour d’une ligne THT de plusieurs milliers de kilomètres du nord au sud, et une zone parallèle. J’ai alors eu le sentiment (à tort ou à raison) que cette équipe « croyait » intuitivement d’entrée à la dangerosité des champs magnétiques des THT. Ensuite, un scientifique grec fit un exposé sur la psychologie des chercheurs, l’importance des idées préconçues sur leur recherche, et sur la nécessité pour chacun de s’en détacher et d’en tenir compte. [...]

« La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié » (sujet de bac récurrent avant les années 70), mais il me semble qu’un thème, portant sur l’impérieuse nécessité pour les scientifiques de savoir prendre conscience de leurs idées préconçues inconscientes pour en tenir compte ou s’en dégager, mériterait d’être régulièrement rappelé, car les différences entre personnes sont sans doute le vrai sujet de certains débats scientifiques.

PS : Le choix des illustrations de la revue est toujours excellent. Bravo et merci.

Ch. B

Merci de votre témoignage. On pourrait citer mille exemples qui montrent bien combien vous avez raison de souligner la nécessité absolue de chercher à s’affranchir de ses propres préjugés. Le dernier en date que j’ai appris (de notre collaborateur Nicolas Gauvrit) était la mesure « scientifique » faite par Binet de la taille des crânes pour établir un rapport entre leurs tailles et la mesure du QI. Il était tellement persuadé de cette correspondance qu’il la « trouvait » dans ses mesures ! Son honnêteté l’a conduit à admettre qu’un de ses étudiants, qui mesurait sans cet a priori, avait été plus rigoureux...

Infréquentables rationalistes

Votre article « Idées reçues sur la science et le rationalisme, 301 – juillet 2012 » NON SIGNÉ a retenu mon attention. J’ai ainsi découvert votre revue, qui très rapidement a perdu toute crédibilité : énonçant, niant, décrédibilisant toute idée paranormale ou même spirituelle (quand on sait que 86 % des humains sont croyants)... Il suffit de regarder vos « dossiers » pour connaître votre but d’hyper-sceptiques, tout en vous présentant comme la seule ou la seule vision digne du monde... Sur ce, adieu car je ne lirai jamais votre journal, n’irai jamais fréquenter des gens comme vous (si peu nombreux d’ailleurs), qui avez tort et provoquez du mal à l’Humanité.

PS : que vous le vouliez ou non, les ovnis, le paranormal, l’homéopathie, la spiritualité existent et sont réels.

X, ingénieur, physicien et amateur de vérité

Un dialogue est-il ici utile ?... Je vous réponds surtout pour votre PS, car on me l’a parfois asséné. Et pourtant, c’est bien que vous le vouliez ou non que les granules homéopathiques n’ont aucun effet spécifique, qu’on attend encore la moindre preuve de l’existence d’un phénomène réputé paranormal, que si les ovnis « existent et sont réels », on a pu en grande partie bel et bien les identifier, et pour la partie qu’on n’expliquerait pas encore, la piste extraterrestre – qui n’est pas écartée a priori – ne semble pas crédible... Reste la spiritualité. Sauf erreur, nous ne l’avons jamais dénoncée comme pseudo-science, et elle devrait donc échapper au « mal que nous faisons à l’humanité »...

P.S, cher M. "X" : nos éditos ne sont par définition (et sauf rare exception) jamais signés, car ils engagent justement l’ensemble de la rédaction.

1 Cf notamment l’article de Pascal Picq : Darwin, Freud et l’évolution