Accueil / Notes de lecture / Les influences sournoises

Les influences sournoises

Publié en ligne le 3 janvier 2013
Les influences sournoises
Précis des manipulations ordinaires

Jean-Léon Beauvois
François Bourin éditeur, 2011, 366 pages, 19 €

Je n’irai pas par quatre chemins : ce livre est indispensable ! J’ai même été tenté un moment par l’idée de réduire cette fiche au seul conseil « Précipitez-vous sur ce livre ! »… Mais je vous dois bien, ainsi qu’à l’auteur, quelques raisons pour expliquer mon enthousiasme.

Pour commencer, rappelons que Jean-Léon Beauvois, universitaire, enseignant-chercheur en psychologie sociale, est déjà l’auteur d’ouvrages remarquables et remarqués, comme son célèbre Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, co-écrit avec Robert Joule. Il a conduit durant toute sa carrière une réflexion sans concession et sans démagogie sur le « pouvoir social en tant que trait original et constitutif des sociétés humaines ». Il est aussi à l’origine de la récente reprise des expériences de Milgram dans le cadre des jeux télévisés 1.

Cet ouvrage, comme son titre l’indique parfaitement, se fait fort de nous ouvrir les yeux sur un certain nombre d’illusions et de dégager les principales influences s’exerçant sur nous, sournoises en ce sens qu’elles agissent sans s’afficher comme telles. Plusieurs exemples sont très éclairants, comme les sourires (ou l’air maussade…) des présentateurs des journaux télévisés lorsqu’ils parlent de certains sujets. L’auteur remarque que le choix et la formation des journalistes entraînent ce phénomène général, occasionnant automatiquement un « bain » de bien- (ou mal-)veillance qui nous oriente fatalement jour après jour. Les deux premières parties du livre sont tout entières tournées vers cet aspect : nous montrer que la société dans laquelle nous vivons n’est pas aussi neutre que nous le pensons et décrypter plusieurs de ces mécanismes qui se chargent de nous influencer (sournoisement…).

Mais dans la troisième partie du livre (et c’est là, sans aucun doute, que Beauvois est le plus exceptionnel), il indique avec un brio étincelant que nous avons tous, sur nous-mêmes et sur les autres, des idées fausses, orientées par le jeu social qui nous fait croire à des réalités psychologiques, alors qu’il s’agit d’après Beauvois d’évaluations, de jugements en tant qu’agent social. À l’aide, notamment, d’un exemple central, hautement pédagogique, pris à partir d’un jeu consistant à faire passer des pièces de bois de toutes formes par un orifice lui-même bizarroïde, il introduit la notion de « passance », censée s’appliquer aux différentes pièces du jeu. On comprend bien sûr que cette passance dépend du trou par où doivent passer les pièces, et cette analogie permet dès lors de saisir combien nous sommes nous-mêmes évalués selon notre « passance » et non selon notre réalité intrinsèque. Beauvois nous alerte de plus sur le phénomène d’internalisation, qui nous fait finalement accepter, voire revendiquer ces caractéristiques personnelles, qui pourtant ne sont que des évaluations.

Le livre offre ainsi l’impression d’aller de révélation en révélation, et on est bien souvent scotché à ce texte qui éclaire l’individu comme la société d’une lumière tout à fait nouvelle. Et comme cela concerne tout un chacun, nous-mêmes comme nos proches, je suis persuadé que ce livre passionnera tout le monde, et j’encourage donc à vous « précipiter » dessus !

1 « zone Xtrême », diffusé le 15 février 2010 sur France 2.