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L’autobiographie (note de lecture n°2)

Publié en ligne le 17 août 2012
Retrouvez ici une seconde note de lecture concernant ce livre : L’autobiographie (note le lecture n°1)
L’autobiographie

Charles Darwin, traduction par J-M. Goux, revue et complétée.
Seuil, 2008, 243 pages, 20 €

Cet opuscule d’une centaine de pages, régulièrement réédité, témoigne d’un genre inhabituel. Charles Darwin (1809-1882), au crépuscule de sa vie, fit le choix de jeter sur le papier des confidences, non pour être publiées, mais pour sa descendance. « J’ai essayé de me raconter dans ce récit comme si j’étais mort, écrit-il, et, depuis un autre monde, jetais un regard rétrospectif sur ma propre vie. Je n’ai pas trouvé cela trop difficile : ma vie est sur le point de s’achever » (p. 23).

Après la mort de Charles, la famille Darwin a pris la décision de rendre publique cette autobiographie. On ne saurait leur en être assez reconnaissants. Par contre, on comprend rapidement la contradiction principale à laquelle la famille a dû faire face. D’un côté, elle aspirait à faire partager au plus grand nombre les pensées de l’homme de science qui a révolutionné la biologie avec ses théories des sélections naturelle et sexuelle. De l’autre, Charles Darwin, s’adressant à ses enfants et petits-enfants, adopte une grande liberté de ton. Une des conséquences est que des appréciations portées par Darwin sur nombre de ses contemporains pouvaient se révéler inutilement blessantes.

De plus, on ne saurait minimiser la dimension religieuse de la controverse engagée avec la publication de l’Origine des espèces. Une ligne de fracture partageait la famille Darwin, par ailleurs unie, entre celles et ceux partageant la foi unitarienne de l’épouse et mère de famille, Emma Darwin, et ceux partageant l’incroyance qu’avait acquise Charles Darwin. C’est ainsi, par exemple que fut « omise », dans les premières éditions, la mention que, du fait de l’instruction religieuse des enfants, « se débarrasser de la croyance en Dieu leur serait aussi difficile que, pour un singe, de se débarrasser de la peur instinctive du serpent » (p. 89). La lettre écrite par Emma, trace de son intervention (couronnée de succès) auprès de son fils Francis, est portée à la connaissance des lecteurs par Norla Barlow : « je souhaite vivement l’omission [de cette phrase], surtout parce que je ne peux admettre l’opinion de votre père selon laquelle toute la morale est le résultat de l’évolution », écrit Emma Darwin (p. 89).

C’est un plaisir rare que nous offre Charles Darwin avec cette autobiographie, et un remarquable travail que nous proposent Francis Darwin, son fils, Norla Barlow, sa petite-fille, puis le traducteur, Jean-Michel Goux. Vous qui partagez avec l’auteur de l’Origine des espèces son « amour des sciences naturelles » et ce « désir de comprendre et d’expliquer », nous ne saurions trop vous recommander de (re-)lire et faire lire l’autobiographie de Charles Darwin. Conseillée à tout public.

Quelques « citations »

1826. Charles Darwin a alors 17 ans et est étudiant à l’Université d’Edimbourg. « Un jour que nous nous promenions ensemble, [le Dr. Grant, professeur d’anatomie comparée et de zoologie] laissa éclater sa grande admiration pour Lamarck et ses vues sur l’évolution. Je l’écoutais dans un silence étonné et, autant que j’en puisse juger, sans que cela eût le moindre effet pour moi. J’avais déjà lu la Zoonomie de mon grand-père [Erasmus Darwin 1731-1802], qui soutenait des vues semblables, mais je n’étais guère plus convaincu. Il est probable néanmoins que d’avoir entendu assez tôt exposer et louer de tels points de vue peut avoir favorisé la position différente que je pris sur ces questions dans mon Origine des espèces. À cette époque j’admirais beaucoup la Zoonomie mais, en la relisant après un intervalle de dix ou quinze ans, je fus très déçu, tant la part de la spéculation par rapport aux faits présentés était disproportionnée. » (p.48)

« J’ai pendant des années suivi une règle d’or : si je croisais un fait publié, une nouvelle observation ou une idée allant à l’encontre de mes résultats, j’en dressais sans faute et immédiatement un mémorandum. Car je savais d’expérience que ces faits et pensées-là, bien plus que les faits favorables, ont tendance à être oubliés. » (p.116)

« Autant que je puisse en juger, je ne suis pas apte à me soumettre aveuglément à d’autres. Je me suis toujours efforcé de garder l’esprit libre, de façon à pouvoir abandonner une hypothèse, même séduisante (et je ne peux m’empêcher d’en formuler sur tous les sujets), si les faits viennent à s’y opposer. » (p.132)