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Mesmer et le magnétisme animal

Publié en ligne le 9 décembre 2012 - Ondes électromagnétiques -

Né le 23 mai 1734 à Iznang, localité allemande (actuellement Moos) du bord du lac de Constance, d’une famille noble, Franz Anton Mesmer a étudié la philosophie, la théologie et le droit, avant de s’inscrire à l’école de médecine de l’université de Vienne. Dans la capitale autrichienne, il fréquente, en compagnie d’autres étudiants, des cercles occultistes comme l’ordre des Chevaliers et Frères initiés de l’Asie, qui reprennent les rêveries cosmiques élaborées au XIVe siècle par l’alchimiste majorquin Raymond Lulle. Celui-ci affirmait qu’un même principe primordial était à la base de toutes les connaissances et de tous les phénomènes naturels, qu’ils soient physiques ou biologiques, et proposait une méthode unique pour raisonner sur tous les sujets. Le Soleil et les planètes déterminaient le destin des choses et des hommes. Au XVIe siècle, un autre alchimiste médecin, Paracelse, de son vrai nom Theophrastus Bombastus von Hohenheim, avait enseigné que l’homme, le microcosme, répétait le macrocosme, c’est-à-dire l’univers. L’homme participe au monde divin par son âme, au monde visible par son corps, à celui des anges par le fluide vital qui relie l’âme au corps. Paracelse prétendait avoir réalisé un rêve cher aux alchimistes en fabriquant l’hommeminiature, l’homonculus. Recette : enfermer du sperme dans un alambic ; après quarante jours, il apparaît une forme translucide, qu’on nourrit de sang et qui devient un enfant en réduction. Comme médecin, Paracelse prêtait des vertus thérapeutiques à l’aimant.

Traiter les maladies par les grandes forces naturelles

Toutes ces idées, mêlées aux doctrines occultistes en vogue parmi les étudiants viennois (en dépit de la condamnation prononcée par l’impératrice Marie-Thérèse), marquent fortement l’esprit du jeune Mesmer.

Sa thèse de médecine, éditée en 1766, traite de l’influence des planètes sur le corps humain. Son idée essentielle est de traiter les maladies par les deux grandes forces naturelles qu’on connaît à son époque [la gravitation et le magnétisme] et qu’il a tendance à confondre [...].

Recevant des malades dans le cabinet qu’il a ouvert à Vienne, Mesmer les traite par le « magnétisme », en pratiquant sur eux des passes et des attouchements. Sa thérapeutique est dénoncée comme illusoire par les médecins autrichiens et condamnée au nom de la religion par l’évêque de Vienne. Le souvenir est encore frais de la chasse aux sorciers. Mesmer se dit que cela pourrait sentir le roussi et part planter sa tente dans un pays qu’il espère plus libéral : la France du siècle des lumières. Il a quarante-quatre ans lorsqu’il arrive à Paris en 1778.

Critiqué à Vienne, mais encensé à Paris

À Paris, son succès dépasse les prévisions. Cette société aristocratique proche de sa fin, et qui la pressent confusément, est prête à accueillir tous les novateurs, tous les faiseurs de miracles. Surtout quand ils se réclament des idées à la mode. Mesmer affine sa théorie du magnétisme animal, fluide par l’intermédiaire duquel une influence réciproque s’exerce entre les corps célestes, la Terre et les organismes vivants.

Les patients affluent aux séances de thérapeutique de groupe. On les fait entrer dans une grande salle où les rideaux tirés maintiennent une ambiance de mystère. Les portes et les fenêtres sont rigoureusement closes. Au milieu de la salle est installé un baquet de chêne d’un pied de hauteur rempli d’une eau dans laquelle trempent de la limaille de fer et des morceaux de verre. Le baquet est fermé par un couvercle percé de trous au travers desquels passent des barres de fer coudées. Les malades, silencieux, s’asseyent autour du baquet. Une corde passée autour du corps les unit les uns aux autres. Chacun tient une des tiges métalliques mobiles et coudées qui sortent du couvercle et s’efforce de l’appliquer sur la partie malade. Quelquefois, on forme une seconde chaîne en se tenant par les mains, c’est-à-dire en serrant entre le pouce et l’index le pouce de son voisin. Dans un coin de la salle, il y a un piano sur lequel on joue une musique qui contribue à l’atmosphère. Parfois, on chante. Les malades subissent ainsi une « magnétisation » préalable grâce aux deux chaînes qui les relient, aux tiges de fer, à la musique jouée ou chantée.

Au bout d’un certain temps, une porte s’ouvre, laissant passage au guérisseur. Vêtu d’un habit aux couleurs éclatantes, qui rehausse son prestige, il fait le tour de l’assistance, plantant un regard fixe dans les yeux des malades, dessinant autour d’eux des passes « magnétiques » ou les touchant avec une baguette de fer. Les patients réagissent très différemment. Certains ne ressentent rien, d’autres toussent et crachent, d’autres encore éprouvent une chaleur locale ou généralisée, ils transpirent. Chez beaucoup se déclenche une crise qui rappelle les scènes de possession collective des couvents. Les malheureux poussent des cris, se convulsent, entrent dans une agitation si violente qu’il faut souvent les transporter dans une pièce voisine aménagée à cet effet, avec des murs capitonnés.

Mesmer s’est adjoint un disciple de marque, le Dr Deslon, régent de la Faculté et médecin du comte d’Artois. Ils officient tour à tour, ou ensemble, s’adjoignent des aides, qu’ils choisissent jeunes et beaux. Leur succès s’amplifie lorsque beaucoup de malades, parmi lesquels des personnages illustres, se proclament guéris. Mais la contestation surgit. Des pamphlétaires, des caricaturistes tournent en dérision le baquet magnétique et les séances de convulsions. Tantôt Mesmer est présenté comme un vulgaire charlatan, tantôt on le montre livrant ses malades à des diablotins.

Science ou ésotérisme ?

Une chose paraît sûre : s’il gagnait de l’argent, et même beaucoup d’argent, Mesmer était convaincu de l’efficacité de ses méthodes. En 1779 – dix ans avant la prise de la Bastille –, il publie un Mémoire dans lequel il reprend et développe sa thèse de 1766 et ses Lettres rédigées en 1775 à l’adresse des médecins de Vienne. L’influence des planètes sensibilise les corps et les charge d’un fluide qu’ils s’approprient en le modifiant et qu’ils tendent à décharger sur les autres corps. Le fluide obéit à des lois dont la principale est celle du flux et du reflux ; il est ondulatoire. Cette théorie se voulait scientifique. Mesmer et Deslon se battirent pour la faire reconnaître comme telle. Mais, ainsi que le note Yvonne Castellan (Histoire de la parapsychologie), le système était en fait terriblement subjectif : Mesmer avait senti son pouvoir comme sourcier, puis comme guérisseur. De son propre aveu, il fallait sentir sa méthode au bout des doigts autant que la comprendre. L’élaboration et la diffusion du fluide guérisseur dépendaient de la manière dont le corps du médecin recevait et transformait le fluide universel : du point de vue expérimental, un coefficient personnel de réussite irréductible n’a rien de rationnel.

Le public parisien percevait fort bien le caractère magique, occulte du fluide mesmérien. Ce cocktail d’ésotérisme et de scientificité faisait affluer la clientèle [...].

Dans son pronostic médical, Mesmer pratiquait ce que nous appellerions aujourd’hui la précognition : non seulement il « sentait » l’état de ses malades, mais il lui arriva de prédire la mort prochaine d’un de ses interlocuteurs, d’après une certaine impression pénible qu’il éprouvait en sa présence.

Une enquête scientifique conclut à un effet de suggestion

Le pouvoir royal finit par s’inquiéter du tapage mené dans Paris autour du baquet et par la violence de la polémique qui agitait les milieux médicaux. En 1782, il demande à la Société royale de médecine et à la Faculté de médecine de lui faire un rapport sur le magnétisme animal. Une commission est désignée. En font notamment partie le chimiste Antoine Laurent Lavoisier et le nouvel ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Paris, Benjamin Franklin, connu pour ses recherches sur l’électricité (on disait alors : le fluide électrique).

Le rapport est remis deux ans plus tard. Les commissaires y décrivent de façon saisissante les « crises magnétiques » : « La commission a constaté qu’elles duraient plus de trois heures ; elles s’accompagnent d’expectorations d’une matière visqueuse, arrachée de la poitrine par la violence de l’attaque. Il y a parfois des traces de sang dans les crachats. Les convulsions sont caractérisées par des mouvements spasmodiques involontaires des membres et de tout le corps, par la contraction de la gorge, par des spasmes de la région hypocondriaque et épigastrique ; le regard est hagard et errant ; il y a des cris perçants, des larmes, des hoquets et des rires déments. Les convulsions sont précédées et suivies par un état de langueur et de rêverie, par une fatigue et une somnolence. »

Bref, il se passait effectivement quelque chose, les phénomènes allégués par Mesmer étaient réels. Mais la question posée à la commission était l’existence du magnétisme animal, du « fluide » théorisé par Mesmer. Ce fluide, certains clients du guérisseur prétendaient l’avoir vu, tout en n’étant pas d’accord sur sa couleur. Il était même quelquefois mis en bouteilles et envoyé, moyennant finance, en des lieux très éloignés de Paris. Mais, tout en étant très disert sur sa théorie, Mesmer se montrait évasif quand on lui demandait de décrire pratiquement le moyen dont il usait pour faire passer le fluide. On l’a accusé d’accepter de grosses sommes pour enseigner ses secrets, mais ceux qui les versaient repartaient sans avoir appris grandchose. Une souscription, ouverte par un élève de Mesmer nommé Bergasse, dans l’espoir d’acheter les fameux secrets, aurait rapporté, selon la Grande Encyclopédie, 340 000 livres (soit quelques millions de francs), mais bien peu d’informations aux donateurs.

Les scientifiques chargés d’enquêter sur le magnétisme animal conclurent que, s’il se passait de drôles de choses autour du baquet, le fluide n’y était pour rien, car il n’existait pas. Pour expliquer les phénomènes provoqués par Mesmer et son acolyte, point n’était besoin d’invoquer un agent physique inconnu. Ils pouvaient être dus à trois causes naturelles : l’imagination, les attouchements et l’imitation.

En parlant d’imagination, les commissaires n’entendaient pas qu’il s’agissait de faits non réels, mais de phénomènes liés à une propriété du système nerveux : « L’histoire de la médecine renferme une infinité d’exemples du pouvoir de l’imagination et des facultés de l’âme. La crainte du feu, un désir violent, une espérance ferme et soutenue, un accès de colère rendent l’usage des jambes à un paralytique ; une joie vive et inopinée dissipe une fièvre quarte de deux mois ; une forte attention arrête le hoquet ; des muets par accident recouvrent la parole à la suite d’une vive émotion de l’âme. Quand elle est une fois montée, ses effets sont prodigieux, et il suffit ensuite de la monter au même ton pour que les mêmes effets se répètent ».

Dans ce style compassé du XVIIIe siècle qui pour nous a un peu vieilli, il était difficile d’exprimer plus clairement la toute puissance de la suggestion, aujourd’hui reconnue par toutes les écoles psychologiques comme un des principaux moteurs du comportement humain.

À son rapport officiel, la Société royale de médecine, joignit un rapport secret qui condamnait le « magnétisme » comme contraire aux bonnes mœurs. Les commissaires, raconte le Dr Aimé Albert (L’Hypnotisme dans la médecine), « avaient estimé choquants pour la pudeur la trop grande familiarité du magnétiseur avec les personnes du sexe opposé et les mouvements désordonnés qui, dans les convulsions, faisaient découvrir leur cheville, voire leur genou ». Et le Dr Albert ne peut s’empêcher de remarquer : « Les praticiens modernes, habitués à une large et libre auscultation de leurs malades des deux sexes, souriraient de la candeur égrillarde et de la réprobation concupiscente que manifestèrent à cette occasion des médecins rompus à limiter leur enquête à l’examen du pouls, à la couleur et à l’odeur des urines ». Découragé sans doute par son insuccès auprès des autorités médicales françaises, Mesmer tente un moment sa chance à Londres, puis retourne dans son pays natal, où il s’éteint le 5 mars 1815 à Meersburg.

Le mesmérisme, lui, vit toujours.

Publié dans le n° 300 de la revue


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L' auteur

Michel Rouzé

Michel Rouzé, de son véritable nom Miecsejslaw Kokoczynski, est né à Paris en 1910 et décédé en 2004. Journaliste, (...)

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