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Où en est la prédiction sismique ?

Publié en ligne le 2 avril 2012 - Environnement et biodiversité -

La soudaine violence d’un séisme amène toujours la même question : était-il possible de le prédire ? Comme toujours à chaque catastrophe, paraissent des articles parascientifiques qui proposent des techniques assurées efficaces. D’autres dénoncent des opérations qui peuvent s’avérer sources de risques sismiques. Il est sans aucun doute opportun de faire le point.

Quelle est la cause des séismes ?

Ils sont dus à l’interaction de plaques lithosphériques. Celles-ci – au nombre d’une douzaine (voir carte) et d’une centaine de kilomètres d’épaisseur – forment la partie superficielle du Globe. Elles sont rigides et peuvent glisser sur la couche sous-jacente ductile, l’asthénosphère, dont certains minéraux sont au voisinage du point de fusion. Le manteau sous-jacent, quoique solide, est lentement déformable avec des vitesses de l’ordre de quelques centimètres par an. Sa propre chaleur, provenant de son état initial fondu, et celle qui provient de la solidification du noyau interne, s’évacuent par des mouvements de convection, analogues à ceux de l’eau dans une casserole chauffée par son fond. Le matériau chaud arrive en surface sous les dorsales océaniques et provoque l’écartement des plaques qui les encadrent. L’enfoncement dans les zones de subduction des plaques refroidies, et d’autant plus denses qu’elles sont plus âgées, contribue au mécanisme de convection.

Pour calculer les vitesses relatives des plaques, on considère que celles-ci sont indéformables. Cette hypothèse est valable pour les parties des plaques océaniques formées aux dorsales, mais pas au voisinage des zones de subduction, où elles doivent se plier (ce qui est à l’origine de la courbure des arcs volcaniques). Elle l’est moins pour les continents où des déformations importantes peuvent se produire comme dans le sud de la Chine 1.

Deux plaques adjacentes peuvent coulisser le long de leur frontière. Il ne s’agit évidemment pas d’un mouvement simple comme celui d’un tiroir dans son logement. Une zone, d’une largeur d’une centaine de kilomètres, est déformée ; des fractures dans la croûte se produisent sur des failles, à toutes les échelles jusqu’aux centaines de kilomètres. C’est par exemple le cas de la faille de San Andreas en Californie, qui s’étend du Nord de San Francisco à la baie de Californie, et qui est accompagnée d’un réseau complexe de failles dans toute la région, ou encore de la faille Nord Anatolienne, en Turquie et Arménie.

Quand deux plaques sont en convergence, deux cas 2 se présentent, selon la nature de leur croûte (continentale et épaisse d’une trentaine de kilomètres, ou océanique et épaisse d’une dizaine de kilomètres). Si l’une des croûtes est océanique, elle pourra glisser au-dessous de l’autre, provoquant, selon la nature de l’autre croûte, un archipel volcanique (par exemple Japon, Tongas ou Antilles) ou une cordillère (par exemple Andes).

Cette subduction s’accompagne de ruptures dans la plaque qui s’enfonce, générant fréquemment des tsunamis. Si les deux croûtes sont continentales, comme dans la collision Inde-Asie qui a provoqué la formation de l’Himalaya et du Tibet, ou encore dans la collision Europe-Afrique qui a provoqué la formation des Alpes, le plongement de l’une sous l’autre est plus difficile : il peut y avoir des séparations au niveau des croûtes. Mais cela n’empêche pas le mouvement de se continuer pendant des dizaines de millions d’années. Dans ces contextes, la diminution de la surface occupée se fait par le jeu de failles dites inverses. Mais des phénomènes thermiques peuvent provoquer des distensions en avant des reliefs (volcanisme du Tibet).

Inversement, si une zone est en distension, comme dans les grabens (fossés d’effondrement continentaux des grands lacs d’Afrique de l’Est, et plus modestement des Limagnes), ou les vallées axiales des dorsales océaniques, les failles sont dites normales et la surface s’accroît.

C’est lorsqu’une faille « joue », sous l’effet de contraintes accumulées au cours du temps, que se produit le séisme, la rupture des blocs rocheux en profondeur pouvant être observée en surface.

Les séismes ne sont en somme que des accidents de la circulation des plaques. Le déplacement le long de leurs frontières est d’ailleurs très souvent asismique. On observe ainsi en profondeur des séismes « lents » ou « silencieux » (comme dans l’état de Washington, en 2004), probablement liés à un tel glissement lent.

Carte des principales plaques tectoniques

Où en est la prédiction sismique ?

On peut dire que la prévision sismique est née avec la théorie de la tectonique des plaques 3. Elle se base sur les traces de paléoséismes sur des failles anciennes, l’existence de failles actives, les taux de glissement déduits de la tectonique globale, ou les observations de déformation par GPS. Ce travail est utile à long terme pour la planification des implantations de villes nouvelles ou d’équipements divers, l’évaluation d’assurances 4. Il fournit parfois la probabilité de répliques après un séisme moyen ou fort.

On appelle prédiction une prévision qui spécifie, avec leur incertitude, la position, la taille, la date du séisme, et donne une estimation de la probabilité de son propre succès. Ceci implique l’identification de phénomènes précurseurs fiables, sans ambiguïté, qui sera cependant nécessairement accompagnée de non-détections et de fausses alarmes. Les premières entraîneront d’innombrables procès pour les spécialistes, les dernières une perte de confiance des populations alertées, et éventuellement évacuées à tort, pendant des semaines, voire des mois. En Chine, une trentaine de fausses alarmes, ces dernières années, ont fortement perturbé les régions concernées, du point de vue économique aussi bien que social.

La recherche de signes précurseurs

Il est généralement admis qu’un gros séisme est précédé par des phénomènes précurseurs. On a, depuis longtemps, recherché toutes sortes de signaux géophysiques, géochimiques ou autres (comportement animal, par exemple), qui pourraient être utilisés à cette fin. Les sismologues chinois avaient réussi 5 à prédire à temps le séisme de Haicheng (février 1975, province du Liaoning) et, grâce à plusieurs décisions d’évacuation opportunes, à réduire notablement les pertes subies. Un grand espoir était alors né. Malheureusement, il fut ruiné l’année suivante par le séisme de Tangshan (province du Hebei), qui fit plus de 240 000 victimes.

Diverses méthodes, comme VAN, proposée par des géophysiciens grecs au début des années 80, sont basées sur l’étude de signaux électromagnétiques qui seraient associés à la préparation du séisme, mais elles n’ont jamais été considérées comme probantes.

Séismes et tsunamis

Pour des séismes qui se produisent en mer au voisinage des côtes, dans les zones de subduction, les dégâts les plus étendus sont généralement dus à des tsunamis.

Les zones proches du foyer sismique doivent être alertées immédiatement du danger. Ceci ne va pas sans le risque de fausses alertes, comme cela s’est produit le 14 mars dernier au Japon. En effet, tout séisme sous-marin ne déclenche pas automatiquement un tsunami.

Dans de nombreux cas, le foyer est éloigné de la côte – d’environ 150 km au Chili en février 2010 par exemple – et le délai avant l’arrivée de l’onde y est alors de l’ordre de 15 à 20 minutes, ce qui, si l’alarme est donnée aussitôt, permet à la population de se déplacer sur des hauteurs proches. Mais dans d’autres cas, les délais sont plus courts et il n’est pas toujours possible de déterminer à temps le potentiel du séisme à exciter une vague géante. Enfin, les moyens ne sont pas toujours disponibles pour alerter rapidement la population.

Le cas des zones éloignées du foyer ne présente pas en principe de difficulté majeure. La modélisation de l’avancée du tsunami est acquise et les caractéristiques de la rupture au foyer du séisme – nécessaires pour juger de la puissance de l’onde marine induite – peuvent être évaluées rapidement. La capacité de diffuser l’alerte à des milliers de kilomètres aussi. La difficulté essentielle est de faire passer l’information des centres de réception nationaux à la population menacée, qui ne saura pas toujours comment réagir lors d’une alerte. Cependant, les îles sans relief au voisinage des côtes resteront toujours sans protection.

L’étude la plus complète a été menée à Parkfield, aux États-Unis, sur la faille de San Andreas. Compte tenu de la régularité des séismes qui y ont été observés (1857, 1881, 1901, 1922, 1934, 1966), on attendait vers 1990 un séisme d’une magnitude supérieure à 6 et on y a installé un réseau très étendu d’appareils variés. Le séisme a bien eu lieu, mais le 28 septembre 2004. Il n’y avait pas eu de précurseur visible en surface.

À défaut de précurseurs détectés, on peut utiliser des ondes sismiques dépassant un certain seuil, pour arrêter automatiquement des installations à risque comme les centrales nucléaires, les réseaux de distribution de gaz ou d’électricité ou des trains à grande vitesse. Des systèmes efficaces de ce type ont été mis en place au Japon, au Mexique et en Roumanie. Il est surprenant que ce ne soit pas encore le cas en Californie 6.

La genèse des séismes

Les progrès ne pourraient venir que d’une meilleure compréhension de la préparation d’un séisme : la sismogenèse. Plus que le reste de la Terre, peut-être, la croûte continentale est un milieu hétérogène très complexe. Son état actuel est le résultat d’une évolution poursuivie sur des milliards d’années. Des failles s’y sont formées, ont guéri, se sont réactivées, selon l’évolution du système de convection mantellique qui commande la tectonique globale.

La faille de San Andreas. Les plaques du Pacifique et de l’Amérique coulissent le long de leur frontière et sont responsables de très importants séismes en Californie.

L’avance la plus notable vient d’une meilleure appréciation du rôle des fluides, tant mécanique (pression de pore) que chimique (recristallisation). C’est ce qui rend particulièrement intéressantes les recherches qui sont menées dans cette optique par le Programme européen d’étude du Golfe de Corinthe 7.

Une autre approche est basée sur le concept de criticalité auto-organisée proposé par Per Bak 8, dans laquelle apparaissent des lois en puissance comme en sismologie (loi de Gutenberg-Richter liant nombre de séismes et magnitude, distribution des longueurs de failles, géométrie fractale des épicentres et des patrons de failles). Mais on est encore loin d’en déduire un modèle efficace pour la prédiction des séismes.

Prévision ou prévention ?

On a pu faire un parallèle intéressant entre prévision météorologique et prévision sismologique 9 : la théorie du chaos et celle des systèmes dynamiques ont permis de comprendre les limitations de la première, où l’on dispose de mesures in situ autrement plus nombreuses que pour la seconde. De plus, on n’a pas en sismologie d’outil mathématique analogue à l’équation de Navier-Stokes, qui permet d’étudier l’évolution d’un fluide turbulent. La prédiction déterministe d’un séisme individuel, avec des limites assez étroites pour permettre de planifier l’évacuation de la population, est considérée par les spécialistes comme un but non réaliste.

Il faut rappeler que les failles sismiques elles-mêmes font très peu de victimes, qui – en dehors des tsunamis et autres effets indirects – sont essentiellement dues à l’effondrement de leurs habitations. Des normes de construction adaptées au risque, dites parasismiques, ont été mises au point. En France, la carte des risques sismiques pour l’ensemble des communes, vient d’être remise à jour. Des immeubles construits en respectant ces normes peuvent résister même à un séisme très violent. En ce qui concerne les immeubles anciens, les décisions relèvent de considérations socio-économiques tenant compte du risque sismique. Les pays développés ne font que médiocrement l’effort de remise aux normes et souvent, même pour les ouvrages neufs, le contrôle de la qualité des travaux effectués n’y est pas toujours très strict. Que dire alors des pays pauvres !

Un lien conseillé aux lecteurs intéressés : http://www.nature.com/nature/debates/earthquake/equake_frameset.html (indisponible—25 Fév. 2020).

Les lacunes sismiques
Deux lacunes sismiques identifiées au Nord et au Centre/sud du Chili qui semblaient mûres pour une rupture prochaine (les zones entourées en rouge). L’étoile rouge bordée de noir montre l’épicentre du séisme de Concepcion du 27 février, survenu au centre d’une de ces lacunes. Les cercles rouges montrent les épicentres des gros séismes passés, les points jaunes leurs répliques enregistrées pendant un mois après le choc principal. Elles dessinent la surface de la faille qui a rompu lors du séisme (les ellipses blanches).

La théorie du rebond élastique, due à Reid (1910), a été complétée par la prise en compte du frottement sur la faille. Le glissement sur celle-ci peut être bloqué par des aspérités, où s’accumulent les contraintes quand l’ensemble du milieu est déformé par le mouvement des plaques tectoniques. Toute une zone* où se sont déjà produits des séismes importants dans le passé, peut rester inactive pendant un certain temps : c’est une « lacune » sismique (seismic gaps). La rupture d’une aspérité permettra le déplacement des blocs et l’élimination provisoire des contraintes, avec un séisme d’autant plus fort que la période calme a été plus longue. On envisage à l’inverse qu’un mont sous-marin, sur la plaque plongeante, puisse constituer une de ces aspérités et limiter l’importance du séisme.

Pour passer de la prévision à la prédiction, il serait nécessaire de bien connaître le fonctionnement du réseau de failles voisines de la faille étudiée et d’arriver à estimer la probabilité d’occurrence de la rupture brutale.

* Une extension à la frontière complète d’une plaque a été envisagée. Si la séquence de gros séismes en 15 mois autour du Pacifique (2/2010 au Chili, 9/2011 en Nouvelle-Zélande, 3/2011 au Japon) correspondait à un processus global, on pourrait craindre un séisme de magnitude analogue dans la zone de subduction de la petite plaque de Juan de Fuca au large du Canada et de l’Oregon, qui est bloquée depuis des siècles. Les villes de Vancouver, Seattle, Portland, seraient alors menacées.

Séismes et ionosphère

Les relations entre séismes et ionosphère* ont fait récemment l’objet de nombreux commentaires sur Internet, en particulier à cause de projets russe, SURA, et américain, HAARP, consistant à envoyer dans l’ionosphère de puissants faisceaux d’ondes électromagnétiques à très haute fréquence, pour modifier son état dans une zone donnée. Ces projets ont été abondamment dénoncés comme sources potentielles de nombreux dangers pour l’Humanité : tornades, tsunamis, changements climatiques et même fonctionnement cérébral humain.

Est-ce là une conséquence inattendue d’une publication** qui décrit les effets à basse fréquence dans l’ionosphère d’ondes sonores émises par un séisme et en déduit une méthode de détection d’un séisme ou d’un tsunami ? La causalité dans ce sens paraît bien établie. Pour l’instant, rien ne permet de dire qu’elle fonctionne aussi dans l’autre sens. En général, des phénomènes qui se produisent dans des gammes de fréquence extrêmement éloignées n’interagissent pas.

* L’ionosphère est la couche externe de l’atmosphère terrestre, caractérisée par une ionisation partielle des gaz.

Séismes induits par l’activité humaine (barrages, injections de fluide...

Un barrage hydraulique provoque l’infiltration d’eau dans le sous-sol, qui modifie le coefficient de frottement sur une éventuelle faille, soumise alors à un surplus de charge. On a attribué de telles causes à différents séismes, comme celui du Sichuan de mai 2008.

Dans une zone sismique, la menace qu’un barrage affaibli ferait peser sur les habitants en aval de sa vallée ne peut être ignorée.

Dans les années 1960, des séismes avaient eu lieu dans la région de Denver, après l’injection de rejets liquides dans des forages profonds. La fracturation hydraulique utilisée en géothermie et pour l’exploitation des schistes bitumineux en est un autre exemple.

Séismes et marées

Un lien de causalité est parfois invoqué entre ces deux phénomènes. Rappelons que les marées correspondent aux variations périodiques du champ de gravité dues au déplacement d’une planète par rapport à son étoile et aux autres planètes et satellites du système. Pour un couple donné, elles sont proportionnelles au produit des masses et inversement proportionnelles au cube de la distance. C’est pourquoi, pour la Terre, seuls interviennent le Soleil par sa masse, et la Lune par sa distance. Leurs actions sont voisines et de l’ordre du dix-millionième de la pesanteur, correspondant à des déplacements du sol de l’ordre du décimètre. La plupart des études statistiques entreprises pour détecter un éventuel effet sur les séismes ont échoué. Il faut signaler toutefois un travail de L.Métivier*, portant sur 400 000 séismes, qui indique un faible effet statistique, inutilisable pour une prédiction. A fortiori, aucune autre planète ne peut avoir une influence. Même si les marées océaniques peuvent être renforcées par leur canalisation et des conditions d’alignement ou de distance des astres, aucune influence n’a jusqu’ici été détectée.

* L.Métivier et al. Evidence of earthquake triggering by the solid earth tides EPSL 278 2009

Glissements de terrain

Comme pour les éruptions volcaniques, ces effets secondaires sont souvent très destructeurs*. Rappelons l’engloutissement en 1949 de Khait et de plusieurs villages au Tadjikistan, avec près de 30 000 morts, les 50 000 victimes du séisme d’Ancash au Pérou en 1970, le séisme du Salvador en 2001.

* https://hal.archives-ouvertes.fr/ha....

1 Voir par exemple : http://lgca.obs.ujf-grenoble.fr/perso/arepluma/recherche.html (disponible sur archive.org—25 Fév. 2020).

2 Un troisième cas est possible : celui de l’obduction, où une croûte océanique chevauche une croûte continentale, comme dans l’Oman. On n’observe actuellement aucun processus de ce genre.

3 Peu de séismes se produisent en dehors de leurs frontières. Dans certains cas, on peut attribuer ces séismes intraplaques aux lents réajustements post-glaciaires.

5 Voir une étude détaillée sur ce sujet : https://doi.org/10.1785/0120050191.

7 Voir : http://corinth.dt.insu.cnrs.fr/index_en.html (disponible sur archive.org—25 Fév. 2020).

8 Bak, P. Quand la nature s’organise : avalanches, tremblements de terre et autres cataclysmes. Flammarion 1999.

9 D.Sornette. Critical Phenomena in Natural Sciences : Chaos, Fractals, Selforganization and Disorder : Concepts and Tools, Springer 2000.


Publié dans le n° 295 de la revue


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L' auteur

Georges Jobert

Georges Jobert est géophysicien et professeur honoraire à l’université Pierre et Marie Curie. Il a été directeur (...)

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