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Quand la sismique se met en branle…

Publié en ligne le 15 octobre 2011 - Attentats du 11 septembre -
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Pour « prouver » l’utilisation d’explosifs dans les tours, les conspirationnistes utilisent souvent les déclarations de William Rodriguez, concierge dans la tour 1 et travaillant aux sous-sols au moment de l’impact du premier avion. Ce témoi du drame a affirmé que des explosions avaient eu lieu avant le crash 1. Pour soutenir ces allégations, les truthers ont tenté de faire appel à tou les domaines de la science. Avec la sismique, ils ont cru trouver une démonstration incontestable.

En effet, si le NIST (National Institute of Standards and Technology, chargé de l’enquête technique sur l’effondrement des tours) a effectué une chronologie des événements grâce aux nombreuses caméras et TV ayant enregistré les images des attentats en direct, une autre étude a été menée en parallèle et de manière indépendante : celle de sismologues du laboratoire d’observation terrestre LDEO (Lamont-Doherty Earth Observatory). Ces scientifiques ont étudié les relevés sismiques liés aux différents événements 2.

Or, les timings n’étaient pas du tout en concordance entre NIST et LDEO : les sismologues semblaient détecter des signaux avant les impacts, corroborant ainsi les affirmations de William Rodriguez.

Les datations successives des événements du 11 septembre 2001

Les manières de procéder ont été très différentes. Le NIST a travaillé à partir des images TV diffusées ce jour-là, qui montraient les événements en direct. Avec des incrustations qui donnaient l’heure en temps réel il était facile de dater les différents épisodes.

Les sismologues du LDEO ont, eux, travaillé à partir des sismogrammes qui ont été enregistrés à la station PAL (Palisades, État de New York), située à 34 km de Ground Zero. En prenant en compte le fait que les ondes, en raison de la distance, ont mis un certain temps pour arriver à la station, ils en ont déduit l’heure théorique d’émission de chaque signal. Il faut souligner qu’ils ont fourni successivement trois datations pour l’origine des signaux : une première le jour même des attentats, une autre trois jours après, et enfin la dernière dans le dernier rapport du NIST en 2008.

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Ces trois datations successives s’expliquent par une difficulté de taille : pour déterminer l’origine temporelle du signal, il fallait que les sismologues connaissent avec précision le temps de trajet des ondes entre Ground Zero et la station PAL. Or, ce temps de trajet dépend de beaucoup de paramètres :

  • d’abord, le type d’ondes qui se propagent ; car il en existe quatre types différents qui n’ont pas la même célérité ;
  • le type de signal qui est émis, puisqu’un séisme naturel ne créera pas les mêmes ondes qu’une explosion dans une mine ou un avion qui s’écrase sur une tour ;
  • enfin, la nature du terrain traversé par les ondes, qui joue énormément sur la vitesse de propagation.

S’il est acquis que les ondes enregistrées étaient des ondes de Rayleigh, des ondes de surface, les sismologues n’avaient pas à leur disposition d’éléments de comparaison tels que le crash d’un avion sur une tour ou l’effondrement d’un gratte-ciel suite à un incendie, le tout sur le même trajet. D’où la difficulté d’être précis et leur tâtonnement. Les dernières valeurs données sont d’ailleurs fournies avec de grandes tolérances qui montrent toute l’incertitude de cette datation.

En l’absence d’élément de comparaison fiable du point de vue sismique, on ne peut qu’être très prudent avec ces données. Néanmoins, il est possible d’utiliser l’un des événements pour effectuer ce calibrage manquant. En effet, si on fait l’hypothèse (raisonnable) que les événements se produisant au même endroit et tous au travers d’une interaction sol/bâtiment, ils vont produire à peu près les mêmes effets, les temps de trajets doivent alors être identiques pour chaque signal.

Comme les signaux sismiques à la station PAL sont déterminés à la seconde près, il est possible de prendre un événement dont on connaît précisément l’horaire pour « étalonner » le temps de propagation.

Pour faire cela, l’impact des avions est sûrement l’élément le plus fiable car c’est une impulsion, appelée Dirac en dynamique, qui donne de façon précise le début d’émission du signal. Il se trouve que le deuxième impact, celui sur la tour Sud, a été donné par plusieurs télévisions diffusant l’événement en direct à 09:02:59 3. Comme les ondes de Rayleigh ont été enregistrées à partir de 09:03:11 à la station de PAL, cela veut dire que le temps de propagation était de 12 secondes à plus ou moins une seconde.

Les ondes sismiques pour le deuxième impact sont arrivées à 13 :03 :11 GMT ± 1 seconde (construction d’après sismogramme du LDEO)

Cela permet alors de recalculer le début d’émission des signaux générés à Ground Zero et enregistrés à PAL, en fonction de leur heure d’arrivée :

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Et là, on constate que la concordance est très bonne avec la datation du NIST puisque :

  • le premier impact coïncide parfaitement ;
  • les datations des effondrements sont aussi très cohérentes, dans la mesure où les signaux n’ont pu être émis que lorsqu’une partie importante des débris ont heurté le sol, plus de 10 secondes après l’initiation des effondrements pour les tours jumelles (timing du NIST), lors de l’effondrement du penthouse pour la tour 7 (exactement sept secondes avant l’effondrement de la façade pris en compte dans le timing du NIST).
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Comme la station PAL est située à exactement 34 km de Ground Zero, 12 secondes de trajet donnent une vitesse de propagation de 2830 m/s, ce qui est cohérent avec les vitesses d’ondes de Rayleigh pour cette zone Nord-Est des États-Unis. Les cartes de tomographie (donnant les vitesses d’ondes suivant les régions) le montrent parfaitement 4.

Des observations prétendument « mystérieuses »

Les séismes lors des crashs d’avion ont duré 8 à 10 secondes… Les conspirationnistes affirment qu’une telle durée est incompatible avec un impact aussi bref 5.

En réalité, le phénomène s’explique tout naturellement. Les tours étant constituées essentiellement d’acier, un matériau très élastique, l’amortissement a été faible et les tours ont oscillé pendant de longues secondes après l’impact. D’ailleurs les fréquences observées sur les sismogrammes donnent des spectres très resserrés pour les impacts et très étalés pour les effondrements. Dans un cas, les tours ont vibré suivant leurs modes propres, alors que, lors des effondrements, la sollicitation était très chaotique.

La forme du spectre de fréquence dans le cas des effondrements est d’ailleurs d’une ressemblance étonnante avec les études réalisées par les sismologues dans le cas d’avalanches de rochers 6. Tout cela montre qu’il n’y a rien de bien mystérieux dans ces relevés sismiques.

Il a aussi été dit qu’il était très bizarre que le crash du Pentagone n’ait pas été plus documenté sur le plan sismique, qu’il était étrange que les sismogrammes n’aient rien détecté 7… En fait, les sismologues du LDEO ont indiqué que les stations étant situées assez loin de l’impact, il était impossible de sortir l’événement du bruit de fond enregistré 8.

Là aussi, il suffit de prendre le temps de regarder le bâtiment pour comprendre sans difficulté. Dans le cas du Pentagone, nous étions sur un bâtiment de faible hauteur, dont les fondations n’avaient rien d’exceptionnel, sûrement superficielles (terme utilisé en génie civil voulant dire peu profondes). Pour des tours de 400 mètres de haut, on imagine bien qu’elles étaient beaucoup plus importantes, et en particulier pour le WTC où les bâtiments reposaient directement sur la roche, parfois même en utilisant ce qu’on appelle des fondations profondes plongeant de 10 à 20 mètres dans le sol suivant les zones. Donc l’interaction sol/structure au moment du crash a été beaucoup plus faible dans le cas du Pentagone que celui des tours jumelles. Le signal étant plus réduit en amplitude, il s’est dissipé dans le sol avant que les sismogrammes, situés trop loin, puissent l’enregistrer.

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1 Des changements de version à répétition dans ce témoignage ont depuis grandement entamé sa crédibilité. Il faut surtout souligner qu’étant situé dans les sous-sols, il était impossible pour William Rodriguez de distinguer ce qui était le crash de ses conséquences : chute d’ascenseurs, propagation de boules de feu suite à l’explosion du kérosène, etc.

2 Seismic Waves Generated by Aircraft Impacts and Building Collapses at World Trade Center, New York City, W.Y. Kim, L. R. Sykes1, J.H.Armitage, J. K.Xie, K.H. Jacob P.G.Richards1, M. West1, F. Waldhauser, J. Armbruster, L. Seeber, W. X. Du, A. Lerner-Lam1 Lamont-Doherty Earth Observatory of Columbia University, Palisades

4 Ambient Seismic Noise Tomography and Structure of Eastern North America, Chuntao Liang, Charles A. Langston, Center for Earthquake Research and Information, The University of Memphis Memphis, TN, 38152, USA, 2007

6 Analysis of rock-fall and rock-fall avalanche seismograms in the French Alps, J. Deparis, D Jongmans, F. Cotton, L. Baillet, F. Thouvenot and D. Hantz, Laboratoire de Géophysiqu Interne et Tectonophysique, CNRS, Observatoire de Grenoble.

7 http://www.lepost.fr/article/2010/09/09/2212783_wtc-une-seconde-pour-survivre-ou-mourir.html (indisponible—16 Fév. 2020).

8 Seismic Observations during September 11, 2001, Terrorist Attack, Won-Young Kim, Gerald R. Baum, figure 3.

Publié dans le n° 296 Hors-série 11 septembre de la revue


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L' auteur

Jérôme Quirant

Jérôme Quirant est agrégé de génie civil, Maître de conférences au Laboratoire de Mécanique et Génie Civil de (...)

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