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Courrier des lecteurs : avril à juin 2011

Publié en ligne le 12 octobre 2011 - Rationalisme -

Manger tue ! (et ne pas manger ?...)

Je viens de lire sur le site de l’AFIS l’article « Horreur : ils ont mis de l’hydrogène dans ma flotte ! » à propos d’une émission diffusée sur ARTE. Je vous signale que France 3 a diffusé le 16 février 2011 à 22h55 une émission intitulée « Manger peut-il nuire à la santé ? » traitant d’un sujet similaire. Parmi les experts figurait le docteur David Servan-Schreiber spécialiste autoproclamé du cancer. Plus curieux, la journaliste ayant réalisé l’émission, Isabelle Saporta, publiait le même jour chez Fayard un livre, Le livre noir de l’agriculture. Publicité déguisée, copinage,... ? Je suis perplexe.

Y. M. M.

Oui, on peut dire que le sujet de l’alimentation et de ses dangers est à la mode en ce moment, comme en témoignent également un récent dossier de Télérama auquel j’ai emprunté le titre ci-dessus… ainsi qu’un dossier paru à peu près en même temps dans Le Nouvel Observateur sur le sujet (au risque de provoquer une indigestion chez les lecteurs !). Faut-il y voir davantage une forme de « suivisme » des journalistes, plutôt qu’une « stratégie marketing »… Rappelons que notre numéro 283 comprenait un large dossier sur l’alimentation, et surtout, ce présent numéro de SPS consacre à nouveau un dossier sur le même sujet..

Martin Brunschwig

Quelques remarques

Messieurs, J’ai découvert votre revue par hasard (il y a quelques années) dans une Maison de la Presse d’une petite ville bretonne. Je la lis depuis avec beaucoup d’intérêt mêlé parfois de perplexité. J’apprécie tout particulièrement les références qui sont systématiquement données pour chaque article [...]. Au nom de la rigueur indispensable, la science est extraordinairement conservatrice [...] et les « idées nouvelles » ont du mal à se faire une place. Les essais de vulgarisation scientifiques commencent souvent par une histoire de la science concernée ; l’inventeur d’une nouvelle thèse est largement cité et célébré, mais on constate souvent qu’une partie de cet historique signale qu’auparavant, X, puis Y, puis Z, avaient avancé dans la même voie, sans succès auprès de leurs pairs. L’un de ces X,Y,Z, fut notamment Galilée. Dans votre récent numéro, les auteurs de « Naissance de la médecine scientifique » me paraissent en fournir une bonne illustration (p. 71-72 :

« Malheureusement, parce que... contraires au point de vue en vogue à l’époque... hésitaient à les accepter, et parfois tentaient de les discréditer... mais les années passant... ». La science avance d’abord à partir de la qualité du raisonnement et de l’indépendance d’esprit des chercheurs. Il faut également noter que la science évolue aussi à grâce à l’évo- lution des matériels, et notamment de la progression du « pouvoir séparateur » des appareils utilisés. Dès lors, l’intuition peut s’exercer à partir de nouvelles données potentielles. Par exemple, dans l’usage des médicaments, il semble admis que l’heure de prise est importante ; il y a 20 ou 30 ans, les médecins considéraient cette approche comme du charlatanisme. En 1948, un jeune professeur de géographie dans un lycée de province enseignait en Seconde la théorie de Wegener ; c’est bien plus tard qu’elle a été acceptée. Dans ces conditions, peut-on toujours, à un instant donné, distinguer « science » et « pseudo-science », sans préciser les conditions existantes et/ou laisser dans certains cas une réserve de doute pour l’avenir. En ce temps-là, « Science & Pseudo science » [de l’époque] aurait-elle condamné, ou soutenu Galilée ?

C.B.

L’histoire de la science et de ses découvertes est jalonnée de « grandes étapes », c’est vrai, mais néanmoins, c’est un processus cumulatif. Dire comme on le fait trop souvent « ce que la science dit aujourd’hui sera faux demain » est plus qu’abusif : c’est oublier que chaque résultat scientifique rigoureusement établi peut être élargi par des découvertes ultérieures, mais ne devient pas faux ! C’est simplement mieux encadré (je pense à des « domaines de validité », par exemple). La physique de Newton n’est pas « invalidée » par celle d’Einstein, elle est complétée et précisée. La mécanique newtonienne reste largement utilisée dans la plupart des applications, là où celle d’Einstein n’apporterait que des complications inutiles. Quant à Galilée, ce n’est pas la « science officielle » qu’il a dû affronter, mais la foi et l’ignorance. De même pour les exemples que vous prenez dans notre article sur la médecine : ce sont bien des préjugés qui étaient combattus, non des résultats scientifiques ! Ajoutons aussi que la méthode scientifique, procédant au point de départ du doute et de la remise en cause, fait que beaucoup de scientifique aujourd’hui ont une attitude ouverte, et regardent avec intérêt tout ce qui pourrait remettre en cause les théories établies. Pour autant que ces remises en causes soient étayées sur des faits et des observations…

Quant à savoir si Science et pseudoscience aurait soutenu Galilée... Nous aimerions en tout cas le penser ! Car notre propos n’est pas tant de distinguer les sciences des « pseudosciences » en tant que ce serait de la science naissante ou balbutiante : c’est bien de dénoncer ce qui est connu comme non-scientifique, ce qui est « démontré faux » en quelque sorte. Il me semble que vous ne comparez pas science et pseudo-science, mais science « établie » et science « en train de se faire ». (voir sur ce thème notre n° 290, avec plusieurs articles de Fabrice Neyret qui explore précisément ces problématiques).

M.B.

Comités d’experts, un cinquième pouvoir ?

Mes félicitations pour le dernier numéro de la revue. Par la variété des sujets abordés, la qualité des contributions, cela a été un plaisir de le lire. Après un numéro exclusivement consacré à la psychanalyse, le contraste est saisissant. Non pas que le sujet ne soit pas important. J’ai, en particulier, été intéressé d’apprendre que les fondements expérimentaux de cette discipline étaient pour le moins chancelants, mais de mon point de vue, cela ne nécessitait pas tout un numéro pour le dire.

Alors que dans ce dernier exemplaire de la revue, quels que soient les centres d’intérêt du lecteur, chacun peut y trouver son compte : dénonciation de la pseudo-archéologie, analyse de l’effet placebo, débat autour du réchauffement climatique mais aussi autour du Big-bang […]. Dans ce numéro, deux sujets m’ont plus particulièrement intéressé, il s’agit de l’affaire du Mediator et du procès fait au professeur Fellous […].

En dehors de l’impact sanitaire du Mediator, le plus ennuyeux dans cette affaire, c’est qu’elle jette le trouble sur les comités d’experts. Aussi la question que je pose est : est-ce que l’agence du médicament est véritablement en cause, ou seulement sa direction, à moins que ce ne soit auprès des experts-conseils du ministère de la santé, qu’il faille rechercher la cause du dysfonctionnement ? En effet, il semble qu’il y avait parmi ces experts, conseillers du ministère, des médecins directement appointés par les laboratoires Servier. En faisant le parallèle avec l’interdiction des OGM, ne faudrait-il pas que ce soit en dernier ressort les comités d’experts qui interdisent ou autorisent et non pas le pouvoir politique ? L’idée d’une justice totalement indépendante du pouvoir politique est complètement intégrée au fonctionnement de nos sociétés démocratiques, pourquoi pas la même chose avec des comités d’experts qui jugeraient selon des règles établies par le pouvoir politique ; ce qui pourrait permettre d’éviter les ingérences économiques, idéologiques ou simplement les calculs politiciens dans les décisions, puisque aujourd’hui, ce sont bien au final les ministères de tutelle qui autorisent ou pas une mise en marché.

En ce qui concerne le procès fait au professeur Fellous, on est désappointé que la justice lui ait donné tort, et on est rassuré par les motifs invoqués […].

J-J H.

Votre suggestion de donner le pouvoir décisionnel final aux comités d’experts n’est-elle pas un peu réductrice ? Contrairement au pouvoir judiciaire, qui doit œuvrer en toute indépendance, il ne nous paraît pas absurde que le politique ait le « dernier mot » : il est normal, me semble-t-il, qu’une décision politique n’englobe pas forcément la seule « vérité » scientifique, mais aussi d’autres considérations (acceptation sociale, craintes, fondées ou non, une certaine « vision » de la société, etc.) ; le scandale, qui arrive bien trop souvent, c’est quand la décision politique se pare de faux atours scientifiques, ou pire, instrumente les commissions d’expertise pour leur faire endosser des décisions qui sortent du domaine de la connaissance scientifique. Avec, en complément, le risque de voir ces commissions d’expertise décrédibilisées, car étant sorties de leur domaine de compétence.

M.B.