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Des martiens au Sahara

Publié en ligne le 18 juin 2011
Des martiens au Sahara
Chroniques d’archéologie romantique

Jean-Loïc Le Quellec
Actes Sud – Errance, 2009, 318 pages, 25 €

Dans cet ouvrage, Jean-Loïc Le Quellec offre en une trentaine de courts chapitres un large panorama de ce que peut produire la « pseudo-archéologie ». La note d’intention épouse pleinement les objectifs qui sont ceux de l’AFIS : « Lecteurs et spectateurs ne sont pas toujours bien armés pour déceler les erreurs et tromperies qui abondent dans ces productions, et soit les prennent au pied de la lettre en tenant pour garanti ce que racontent (ou inventent) leurs auteurs, soit concluent inexactement qu’il y a là matière à controverse ». Mais « pourquoi perdre du temps avec de telles élucubrations ? », penseront certains. « Parce que les thèses fondamentalistes et créationnistes ne peuvent séduire que des personnes mal informées, et parce que l’archéologie fantasque (ou romantique, ou alternative, ou pseudo-archéologie) véhicule souvent des idées racistes, en recyclant éternellement les mêmes billevesées. La mauvaise archéologie peut faire sourire, elle n’en est pas moins potentiellement dangereuse » (p. 9-10).

L’auteur identifie les principaux vecteurs médiatiques de la diffusion de ces thèses fantaisistes et constate que les erreurs se répètent d’ouvrage en ouvrage malgré les démentis – comme cette erreur d’interprétation consistant à lire dans un bas-relief maya du VIIe siècle la représentation d’un cosmonaute 1. Jean-Loïc Le Quellec résume ainsi la démarche typique des pseudo-archéologues : « Ignorant la documentation archéologique pourtant largement disponible, ils s’attachent à une poignée de documents très bien connus des spécialistes mais qu’ils cherchent à faire passer auprès du public pour de précieux témoignages ignorés des chercheurs “officiels”, soigneusement cachés au fond des réserves des musées ou récemment découverts. S’extasiant sur l’intelligence ou la technologie supérieure qui leur paraissent nécessaires à la confection de ces objets, décors ou monuments (puisqu’ils n’ont eux-mêmes pas la moindre idée à ce propos), ils dénient ensuite aux “indigènes”, “primitifs” et autres “sauvages” toute capacité à les avoir réalisés. Enfin, ils cherchent dans l’espace ou vers des lieux imaginaires (comme l’Atlantide) des intelligences supérieures, technologies hyper-avancées, sagesses transcendantes et autres Grands Inconnus qui seuls auraient pu donner corps aux pièces par lesquelles ils espèrent nous convaincre  » (p. 19). En général, l’auteur avance l’idée qu’il est très hasardeux de se lancer dans une interprétation des peintures rupestres en l’absence des auteurs de celles-ci, qui pourraient confirmer ou non l’interprétation proposée. Même ce pauvre Indiana Jones, modèle revendiqué des archéologues romantiques et aventuriers, se voit explicitement remis en cause à propos de sa manière de lutter contre les archéologues nazis : « On pourrait s’attendre à ce qu’il les contre en pratiquant, lui, une archéologie véritablement scientifique, par exemple en effectuant de minutieuses fouilles, mais non : lui aussi recherche l’Arche d’Alliance ou le Graal en se tenant au-dessus des lois de protection du patrimoine des pays où il opère, et surtout en confortant le mythe de l’archéologue-aventurier à la recherche d’objets-symboles nécessaires à l’accomplissement de projets politiques » (p. 22).

Après un exposé de principes particulièrement pertinent, l’auteur, avec une ironie mordante, passe en revue sur vingt-huit chapitres des exemples d’archéologie romantique, avec souvent pour cible les créationnistes. Il est aussi inutile qu’impossible de tout recenser ici, mais l’on peut toutefois mettre en lumière certains phénomènes récurrents, comme celui de la « pareidolie », par lequel quelqu’un projette des images qu’il a en tête sur des objets (par exemple, des pierres sculptées par le hasard et la nature). Évoquons aussi les faux et autres canulars : dès 1889, un archéologue nommé Holmes (!) avait estimé que les trois quarts des objets de cuivre et sans doute le tiers des objets de pierre des collections des musées américains étaient des faux. « Cette pléthore de contrefaçons est due au fait que le gros des collections des musées a été obtenu par achat, à une époque où les fouilles véritables étaient très rares […] » 2 (p. 57).

Beaucoup de ces petits récits servent de supports à la présentation des principes généraux de la zététique, qui viennent souvent conclure les chapitres sous forme de « morale de l’histoire ». Bien souvent, celle-ci est : « on voit ce que l’on croit plus qu’on ne croit ce que l’on voit ». À la lecture de ces exemples, on est parfois éberlué de la naïveté des victimes de faussaires : entre 1862 et 1870, le faussaire Vrain-Lucas a ainsi vendu au géomètre Chasles, pourtant membre de l’Académie des sciences, de très nombreuses pièces particulièrement fantaisistes, comme une lettre de défi que Jules César aurait rédigée à l’intention de Vercingétorix, et ce... en français ! Il ne faudrait toutefois pas trop ironiser sur la crédulité de nos ancêtres : en décembre 2006, la revue Ça m’intéresse annonçait encore en une : « Les stupéfiantes révélations d’un site archéologique : on a retrouvé le Paradis terrestre » !

Au total, cet ouvrage très solidement documenté nous fournit les armes pour porter le fer face aux pseudo-sciences sur des terrains moins balisés que l’homéopathie ou l’astrologie.

1 Cet exemple avait déjà été évoqué en détail dans l’ouvrage classique d’Henri Broch, Le Paranormal. Le premier auteur de cette interprétation cosmonautique, Anton Paul Eric, avait fait l’objet de ce commentaire de Carl Sagan : « A chaque fois qu’il voit quelque chose qu’il ne comprend pas, il l’attribue à une intelligence extraterrestre, et comme il ne comprend pratiquement rien, il voit des intelligences extraterrestres sur toute la planète  » [cité par J.-L. Le Quellec p. 15].

2 D’après son catalogue en ligne, le musée du Quai Branly possèderait ainsi dans ses stocks 1469 faux identifiés.