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Affaire Strauss-Kahn : les psychanalystes « se défoulent »

Publié en ligne le 27 mai 2011 - Psychanalyse -
par Brigitte Axelrad - SPS n° 297, juillet 2011

Une affaire de sexe qui frappe un homme de pouvoir, voilà une aubaine pour les psychanalystes ! Stations de radio, chaînes de télévision, journaux, tous les ont convoqués pour nous aider à penser l’affaire DSK.

Pour le psychologue psychanalyste interviewé par Psychologies.com 1, DSK vient perturber nos représentations, car pour lui « toute personne appelée à exercer de très hautes fonctions renvoie forcément à l’image du père […] Cette affaire vient donc toucher chez chacun de nous des zones très profondes, des représentations inconscientes. » Il va encore plus loin : « les charges qui pèsent nous laissent entrevoir un père avec une face beaucoup plus obscure : celle d’un abuseur, peut-être d’un violeur. S’il n’est pas innocenté, cela peut s’apparenter à un processus de désillusion quasi-oedipien. […] cela nous renvoie presque à la fameuse scène primitive […] à une image de père abîmé. Et ce n’est pas anodin, la désidéalisation du père relève d’une véritable blessure narcissique. »

On retrouve la prétention à tout expliquer à partir d’une théorie unique et son jargon : sexualité, inconscient, Œdipe, blessure narcissique, scène primitive…

Dans un article du Monde 2, un autre psychanalyste émet l’hypothèse de l’« autodestruction », « meurtre symbolique d’un homme au faîte de sa gloire », une sorte d’apogée de l’acte manqué. Il ajoute : « Difficile d’imaginer qu’il n’a pas "quelque part" désiré cette chute qui marque le refus d’un destin préconçu. » Il poursuit dans la logique psychanalytique, qui tente de faire remonter au plein jour les éléments cachés et en donne une traduction invérifiable : « Nous pressentons que ces actes ont un sens profond, caché, mystérieux qui nous dépasse et que nous tentons désespérément de déchiffrer ». Il termine avec une emphase onirique : « Ces forces telluriques qui nous habitent se nourrissent d’une mythologie intime où se côtoient Icare et Œdipe, Caïn et Antigone, et tous ces héros dépassés par un destin marqué par la gloire et la chute, parfois la résurrection. Ils incarnent l’hybris, la toute-puissance, les désirs incestueux, la rivalité fraternelle et parfois un simple mortel se targue de les représenter. »

Mais les Lacaniens ne sont pas en reste. Dans Libération 3, on assiste à l’apothéose : « DSK est un personnage philosophique, un symptôme de notre temps (un « saint-homme », dirait Lacan), en ce qu’en lui bestialité et rationalité luttent à l’extrême […] son passage à l’acte du Sofitel est un refus de l’avenir tout tracé que la plupart lui prédisaient. En cela, l’assaut de l’ouvrière de chambre est un geste fou de libération totale, presque une œuvre d’art... » « Presque une œuvre d’art » ! Excusez du peu !

Parlant du peuple français, le ton devient épique et surréaliste : « Ce peuple aimable, admirable, semble vivre désormais à la limite de l’explosion psychotique, en plein retour du refoulé. Il veut du sang. Refoulé de quoi ? De deux cents ans d’une devise intenable : « Liberté, égalité, fraternité ». Un corset psychorigide qui craque de toutes parts, une injonction impossible et folle. Sublime, au sens kantien. C’est-à-dire réversible à tout moment en son contraire… »

Comme il arrive souvent, les psychanalystes se livrent en chœur à une interprétation exaltée et délirante. Armés de la théorie psychanalytique, ils se croient habilités à tout expliquer. N’a-t-on pas là encore une vérification de la thèse de Mikkel Borch-Jacobsen dans le Livre Noir de la Psychanalyse, selon laquelle la psychanalyse pourrait bien être une « théorie zéro », « une théorie vide », « une théorie creuse », capable d’expliquer à peu près tout, mais aussi et surtout, son contraire ? En conclusion du chapitre, celui-ci écrit : « La psychanalyse, c’est très exactement tout et n’importe quoi – tout parce que n’importe quoi. » 4

4 Mikkel Borch-Jacobsen, 2005, Le Livre Noir de la Psychanalyse, « Une théorie zéro », p 233, Paris, Ed des Arènes, 10-18