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Courrier des lecteurs : janvier à mars 2011

Publié en ligne le 6 juin 2011 - Rationalisme -

Le Quotient émotionnel

[J’écris] d’abord pour vous dire que j’ai beaucoup apprécié votre hors-série sur la psychanalyse, particulièrement l’article de Jacques Van Rillaer sur la « pratique » psychanalytique de Jacques Lacan. J’avais personnellement lu, sur le sujet de la psychanalyse, Les Illusions de la psychanalyse de Jacques Van Rillaer, Mensonges freudiens de Jacques Bénesteau, ainsi que le Livre noir de la psychanalyse. J’avais beaucoup apprécié tous ces livres, mais j’avais quand même regretté une chose : qu’ils parlent si peu de Lacan comparé à Freud. [En France], l’écrasante majorité des psychanalystes sont d’obédience lacanienne (et ils continuent à recruter, particulièrement dans les départements de psychologie des universités). Un livre qui serait exclusivement consacré à Lacan ainsi qu’au lacanisme serait donc le bienvenu […] À quand un Livre noir du lacanisme ou un Mensonges lacaniens ? […]

Venons-en maintenant à la question que je souhaitais vous poser : j’entends de plus en plus parler autour de moi d’un certain « Quotient Emotionnel » ou « QE ». J’ai conscience que l’on doit se méfier des données issues de sa seule expérience personnelle, mais il se trouve que j’en ai toujours entendu parler en des termes tellement flatteurs que cela a immédiatement suscité ma méfiance, surtout quand on me répétait que le QE était supérieur au QI, en utilisant des arguments très flous, mais où surnageait toujours l’idée que, pour mes interlocuteurs, il allait de soi que les émotions étaient par définition supérieures à l’intelligence ; quand il se rendaient compte que je ne partageais pas leur opinion sur ce point, mes interlocuteurs ne pouvaient réprimer une forte stupéfaction apparemment mêlée d’une certaine indignation. D’où ma question : quelle est la scientificité du QE ? S’agit-il d’une énième nouvelle forme de pseudoscience (à l’instar de la graphologie, par exemple) ?

M. B.

À propos du QE, nous avons demandé son avis à Franck Ramus, du Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, Département d’Études Cognitives, de l’École Normale Supérieure, et auteur d’un article dans notre dossier sur l’intelligence et le QI (SPS n° 289, janvier 2010).

Le QE n’est pas une pseudo-science, c’est un concept validé, sans être non plus la panacée qu’en font certains. La communauté scientifique s’accorde pour dire que le QI ne mesure qu’une partie de ce qui fait l’intelligence humaine au sens large. Le QI a l’avantage de mesurer une partie très importante de l’intelligence, dans le sens où c’est la partie qui est par exemple la plus prédictive de la réussite scolaire et académique. Mais il n’y a pas que ça dans la vie. Le QI occulte par exemple les compétences sociales, la créativité, les capacités sensorimotrices, le talent artistique, etc. Le QE est une échelle parmi d’autres (pas forcément la meilleure d’ailleurs) qui tentent de combler cette lacune, en mesurant pour l’essentiel les compétences sociales de l’individu. Si le QE est complémentaire du QI, le couple QI+QE ne suffit pas non plus à couvrir l’ensemble des capacités cognitives humaines. En revanche l’appellation QE est trompeuse, et visiblement basée sur cette fausse dichotomie entre cognition et émotion qui a la vie dure. Il serait plus juste de dire que le QE est une échelle d’intelligence sociale ou de cognition sociale, avec une composante émotionnelle, mais pas exclusivement. À propos de la graphologie, voir nos articles dans ce numéro.

Les Power Bracelet entrent en pharmacie

En me rendant à ma pharmacie ce matin, j’ai été extrêmement surpris de voir juste à coté de la caisse une publicité qu’on ne pouvait ignorer vantant les mérites du « power bracelet ». Je pensais que les pharmaciens étaient tenus à lutter contre le charlatanisme (ils doivent contribuer à l’information et à l’éducation sanitaire du public, à la lutte contre la toxicomanie, les maladies sexuellement transmissibles, le dopage et le charlatanisme), je m’étonne donc de trouver en pharmacie la vente de produits manifestement dépourvus du moindre effet bénéfique, comme l’indiquent [certains de vos] articles 1.

Comment se fait-il que les pharmaciens se fassent le relais d’entreprises de charlatanisme de cet ordre ? Bientôt la boule de cristal en vente dans toutes les pharmacies ?

Docteur G. L.

Nous avons dénoncé l’imposture que représentent les allégations des fabricants des divers bracelets magiques (voir SPS n° 292, octobre 2010). Par contre, vous nous apprenez que des pharmacies s’en font les relais, au moins par publicité interposée. On ne voit pas bien, effectivement ce qui peut justifier cette promotion de produits qui ne se contentent pas d’être inefficaces, mais qui de plus n’ont rien de médical, quand bien même ils « marcheraient » ! L’information et l’éducation sanitaire que vous rappelez, partie prenante des missions des pharmaciens (article R4235-2 du code de la santé public) devaient déjà s’accommoder des granules homéopathiques sans fondement scientifique ou expérimental, et, ici ou là de quelques crèmes amincissantes, quelques fortifiants et autres produits bien peu « médicaux »...

Martin Brunschwig

Soleil levant

Connaissez-vous cette revue (a priori mensuelle), dont je viens par hasard de trouver un exemplaire (n° 178 octobre 2010), qui se nomme Soleil Levant ? […] Je comprends bien que chacun ait le droit de s’exprimer, de proposer des soins basés sur des conceptions personnelles, et aussi de ne pas comprendre une théorie et de la manier à sa façon, voire de délirer un peu... mais là c’est un peu fort à mon goût. Que ce soit volontairement ou non, tenir (et bien entendu sous la plume de « médecins » et « professeurs ») des propos hautement fantaisistes sur la physique quantique qui font évidemment, pour le commun des mortels, très sérieux et scientifiquement approuvés, pour faire la promotion de soi-disant matériels ou méthodes sophistiqués de détection et de correction des émotions, des énergies négatives, des blocages, des problèmes d’aura, que sais-je encore, me paraît vraiment abusif. J’ai d’ailleurs rencontré plusieurs personnes, psychologiquement affaiblies, avides de stages de guérison spirituelle et autres, qui ouvrent des yeux émerveillés dès que leur thérapeute sort le mot « quantique » pour dire tout et n’importe quoi : un vrai danger pour ces gens qui font alors confiance à quelqu’un que je considère au mieux comme un doux rêveur, au pire comme un vrai charlatan.

Avez-vous des actions dans cette direction ? Est-ce que je frappe bien à la bonne porte pour tenter de signaler un contenu qui m’a vraiment paru abusif voire dangereux ?

D. V.

Oui, vous frappez à la bonne porte. J’en profite d’ailleurs pour répondre à travers vous à tous ceux (que nous remercions) qui nous signalent régulièrement les aberrations qu’ils découvrent de plus en plus souvent. Vu la quantité désolante de ces revues/articles/publicités/stages ou autres occasions d’être confrontés à ces discours qui vont, c’est vrai, des rêveurs aux charlatans, nous sommes bien peu nombreux et un peu démunis... Nous ne pouvons entreprendre « d’actions », et notre travail consiste surtout à informer et tenter de faire savoir le plus possible que l’on est en danger devant ces pratiques 2. Mais si vous me le permettez, je considère qu’il faut aussi « tiquer » devant l’astrologie ou la naturopathie : l’esprit critique ne se « saucissonne » pas, et l’exercer dans tous les domaines est le plus sûr moyen de garder la tête sur les épaules. On ne peut être expert en tout, mais ce n’est pas une raison pour « abdiquer » !

M.B.

Les miracles de l’eau dynamisée

La une du magazine Le point du 30/7/2009 avait pour titre « Les plantes qui guérissent tout (ou presque) » (avec « ou presque » en plus petits caractères pour qu’on le remarque moins). Rien que de très banal par les temps qui courent : c’est très tendance ! J’avais toutefois remarqué un article vantant la « Culture hydrodynamique ». Celle-ci utilise de « l’eau dynamisée » préparée de la façon suivante : (1) dans 60 litres d’eau verser un peu de bouse de vache qui a passé tout l’hiver dans une corne de vache enterrée dans le sol ; (2) Brasser l’eau pendant quelques secondes dans un sens puis quelques secondes dans l’autre, le tout pendant une heure ; (3) Ça y est ! Vous avez de l’eau dynamisée qui va vous permettre d’obtenir des plantes aux qualités miraculeuses !

J’avais un peu oublié cet article car je ne pensais pas qu’une recette aussi saugrenue puisse atteindre le grand public. J’avais tort car le site Internet http://www.legattilier.com semble encore aujourd’hui celui d’une entreprise prospère. On y propose des conférences, des cours, des stages et des centaines de produits qui guérissent à peu près tout (il suffit d’y croire très fortement). Le fondateur de cette entreprise se dit ancien ingénieur en physique théorique. Ne serait-il pas surtout un as du marketing ?

M. L.


Encore un exemple de ces aberrations qui semblent de plus en plus fréquentes... Les choses sont maintenant présentées sérieusement par des journaux sérieux, et ne peuvent qu’apporter la confusion ! Si encore ces articles cherchaient à dénoncer ces pratiques... Mais il semble bien que les « recettes » ainsi proposées le soient sans aucun recul.

Les communes et les choix technologiques

Le conseil municipal de ma commune (Saint Gilles, commune de 3 800 habitants dans la banlieue rennaise) a adopté trois délibérations sur les OGM (à l’unanimité) : pas d’OGM au restaurant scolaire, pas de culture d’OGM en plein champ, un étiquetage précisant l’utilisation d’OGM. Voici les justifications données pour la première résolution : « Le Conseil Municipal a décidé de ne pas utiliser au restaurant scolaire municipal de produits contenant des OGM, ni produits à partir d’OGM, ni contenant des ingrédients produits à partir d’OGM, ni issus d’animaux nourris avec aliments « génétiquement modifiés », car : (1) les conditions d’évaluation actuelles menées sur les OGM ne fournissent pas les garanties suffisantes permettant d’affirmer que les risques pour la santé humaine liés à la consommation d’organismes génétiquement modifiés sont suffisamment maîtrisés ; (2) les études sur le long terme sont insuffisantes comme le montre l’étude menée par le professeur Séralini sur le maïs MON863. »

Il faut dire que le conseil municipal (27 membres) ne contient aucun scientifique. […] On a encore beaucoup à faire pour développer et faire connaître la culture scientifique.

A. G.

De plus en plus de communes sont confrontées à des demandes d’administrés relatives aux OGM, aux antennes relais ou à d’autres sujets pour lesquelles elles sont démunies. Elles sont donc très sensibles aux peurs de leurs administrés, et comme vous le soulignez, ne disposent malheureusement pas des compétences pour évaluer le problème. Plus anormal, les documents qui permettraient de les éclairer ne sont souvent pas facilement accessibles et ne sont pas systématiquement fournis. Ainsi, les conseils municipaux sont-ils parfois conduits à prendre des arrêtés qui n’ont aucun fondement scientifique, mais qui vont, en retour, confirmer et conforter les peurs (« si un arrêté est pris, c’est qu’il y a bien un danger contre lequel il faut se prémunir »).

J-P.K.

2 Parfois, c’est seulement notre porte-monnaie qui est attaqué, mais bien sûr, il y a aussi des cas plus graves, principalement ceux où le « thérapeute » conseille d’abandonner les traitements classiques.