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À propos du livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer »

Publié en ligne le 23 mars 2011 - Médecine -
par Martial Van der Linden
Le mythe de la maladie d’Alzheimer
Peter Whitehouse & Daniel George, Éd. Solal, 2009.

La maladie d’Alzheimer existe-t-elle vraiment ? Peut-on la distinguer du vieillissement cérébral ? Le point de vue des auteurs du livre, exposé ici, fait débat dans la communauté scientifique. Il nous a semblé intéressant de faire partager à nos lecteurs quelques éléments de cette controverse et de ses implications.

Face aux recherches de plus en plus nombreuses qui attestent de l’extrême complexité du vieillissement cérébral et face à l’incapacité qu’a la conception biomédicale dominante (« kraepelinienne ») de rendre compte de cette complexité, Peter Whitehouse et Daniel George, dans leur livre Le mythe de la maladie d’Alzheimer, dont nous avons effectué la traduction, en appellent à un véritable changement de paradigme.

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L’approche biomédicale traditionnelle, qui postule l’existence de différents types de maladies neurodégénératives, est en effet confrontée à de nombreuses difficultés. Tout d’abord, au plan de l’évaluation et du diagnostic cliniques, on ne peut qu’être frappé par l’hétérogénéité considérable des profils et des évolutions observés chez les personnes âgées qui consultent pour des difficultés cognitives (de mémoire, d’attention, etc.). Ainsi, par exemple, les personnes âgées ayant reçu le diagnostic de maladie d’Alzheimer présentent en fait des déficits cognitifs extrêmement variés. En particulier, un nombre non négligeable de ces personnes montrent un profil de trouble disproportionné pour un domaine cognitif autre que la mémoire épisodique (contrairement à ce que requièrent les critères diagnostiques) : dysfonctionnements visuels, problèmes praxiques et visuo-spatiaux, troubles du langage, troubles exécutifs, etc. Il en va de même pour la multitude des facteurs psychologiques (anxiété, stress, dépression, estime de soi, etc.), environnementaux (précarité, isolement, nutrition, niveau d’éducation, changement de culture, etc.), médicaux (problèmes cardio-vasculaires, insomnie, traumatisme crânien, douleurs chroniques, diabète, alcoolisme etc.) qui sont susceptibles d’influer sur le fonctionnement cognitif de ces personnes et sur son évolution. Il s’ensuit que l’acte consistant à poser un diagnostic (essentiellement sur base d’un examen neuropsychologique), c’est-à-dire à attribuer une étiquette de maladie à une personne (maladie d’Alzheimer, démence fronto-temporale, démence avec corps de Lewy, etc.) est constamment ressenti comme ayant un caractère éminemment arbitraire. L’hétérogénéité des profils et des évolutions est tout aussi visible dans les examens d’imagerie cérébrale qui ont pour but d’évaluer l’intégrité du fonctionnement du cerveau. Même les examens anatomopathologiques montrent que la majorité des personnes ayant reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer montrent en fait des anomalies cérébrales censées refléter des diagnostics différents (comme, par exemple, la coexistence très fréquente de modifications cérébrales considérées comme le signe d’une maladie d’Alzheimer, à savoir des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires, mais aussi des problèmes vasculaires, des corps de Lewy, etc.). Plus perturbant encore, les modifications cérébrales considérées comme typiques de la maladie d’Alzheimer se retrouvent également chez des personnes ne présentant aucun signe de détérioration cognitive. Plus globalement, la frontière entre le vieillissement dit normal et la prétendue maladie d’Alzheimer est loin d’être claire : d’une part, un grand nombre de difficultés cognitives observées chez les personnes ayant reçu le diagnostic de maladie d’Alzheimer sont de même nature que les difficultés cognitives rencontrées dans le vieillissement dit normal, mais plus importantes ; d’autre part, le vieillissement dit normal s’accompagne de modifications cérébrales dans des régions où l’on observe également des changements – mais plus importants – chez les personnes ayant reçu le diagnostic de maladie d’Alzheimer. De plus, comme l’ampleur des difficultés cognitives et des modifications cérébrales varie considérablement, tant chez les personnes âgées considérées comme normales que chez celles ayant reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer, il n’est pas possible de définir clairement quelle est la limite entre le « normal » et le « pathologique ».

Il faut par ailleurs ajouter qu’il n’existe à ce jour aucune explication convaincante de la cause de la prétendue maladie d’Alzheimer. En fait, de très nombreuses explications coexistent, faisant appel à des mécanismes très différents, et sans qu’aucune explication ne puisse être considérée comme plus valide qu’une autre. En outre, on ne dispose aujourd’hui d’aucun médicament ayant une réelle efficacité sur l’autonomie et la qualité de vie des personnes qui ont reçu le diagnostic de maladie d’Alzheimer.

Les différentes composantes du vieillissement cérébral

Peter Whitehouse et Daniel George ne nient absolument pas que le vieillissement cérébral puisse conduire à des problèmes et troubles graves, et ils ne contestent nullement l’importance de la recherche biomédicale. Ils suggèrent néanmoins de se libérer du concept dépassé de maladie d’Alzheimer (et, même s’ils ne développent pas ce point, cela vaut aussi pour d’autres « maladies neurodégénératives »), pour réintégrer les diverses manifestations de ces prétendues « maladies spécifiques » dans le contexte plus large du vieillissement cérébral, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, sous l’influence de nombreux facteurs (environnementaux, psychologiques, biologiques, médicaux, sociaux et culturels) intervenant tout au long de la vie.

Une telle approche permet notamment de s’affranchir de la distinction éminemment arbitraire entre le vieillissement cognitif dit normal et le vieillissement cognitif dit pathologique, distinction qui a conduit l’approche réductrice de la maladie d’Alzheimer à créer des catégories intermédiaires (« Mild Cognitive Impairment » ou MCI, pre-MCI, etc.) dont la validité scientifique et la pertinence clinique sont on ne peut plus contestables. Une description de ce nouveau paradigme, plus formalisée et étayée par la présentation de données empiriques récentes, peut être trouvée dans un article rédigé par Majid Fotuhi, Vladimir Hachinski et Peter Whitehouse et publié en décembre 2009 dans la revue Nature Reviews Neurology.

Les auteurs défendent ainsi une approche de la recherche et du soin qui accepte de se remettre en question et qui assume réellement la complexité du vieillissement cérébral. Ils plaident aussi pour un rééquilibrage des financements, tant au plan de la recherche que de la prise en charge, en faveur de la prévention et des approches psychosociales. Il ne s’agit pas de rejeter le médicament, mais de lui laisser la place que la personne âgée souhaite lui donner, après avoir été correctement informée des mérites réels de la substance (quand ses bénéfices sur la qualité de vie ont été adéquatement évalués, ce qui est loin d’être le cas) et de ses possibles effets secondaires, et après qu’on ait également décrit à cette personne (et à ses proches) l’ensemble des démarches psychologiques et sociales qui pourraient lui permettre de réduire les manifestations problématiques de son vieillissement cérébral, tout en restant partie prenante dans la société et en conservant un sens à sa vie.

Par ailleurs, en adoptant une vision plurifactorielle du vieillissement cérébral et en l’inscrivant sur un continuum, les divers types d’interventions, y compris biologiques et médicamenteuses, devraient gagner en efficacité.

La maladie d’Alzheimer : une construction artificielle

Un autre aspect important de l’ouvrage est de montrer en quoi la maladie d’Alzheimer est une construction artificielle, au bénéfice de ce que les auteurs appellent l’« empire Alzheimer », dans ses différentes composantes. Cette construction, véhiculant l’idée d’une guerre implacable contre une maladie dévastatrice, a permis d’obtenir des fonds de recherche (jamais assez d’ailleurs : « La guerre n’est pas destinée à être gagnée. Elle est destinée à être permanente », une citation de Georges Orwell, reprise dans le livre, p. 145), mais pour la plus grande part, dans une perspective neurobiologique, entretenant ainsi un déséquilibre manifeste en défaveur des approches psychologiques, sociales et culturelles. Cette conception réductrice de la maladie d’Alzheimer a également permis de mobiliser les pouvoirs publics et de focaliser l’attention sur les besoins des familles, mais elle a aussi propagé une vision apocalyptique du vieillissement cérébral, contribuant ainsi à la stigmatisation, aux stéréotypes « auto-réalisateurs », à l’isolement social, à la non prise en compte des capacités préservées, à l’attente passive, désespérée et régulièrement entretenue du remède biologique « miracle », et plus largement à la médicalisation (à l’« alzheimérisation ») du vieillissement.

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Les auteurs montrent aussi en quoi il existe de multiples axes d’intervention pouvant contribuer à différer ou ralentir les manifestations problématiques du vieillissement cérébral. Très loin d’une démarche obscurantiste, ils se basent sur les nombreuses études (épidémiologiques et autres) qui ont mis en évidence la myriade de facteurs susceptibles d’influer sur le fonctionnement cérébral et cognitif des personnes âgées afin de suggérer des démarches (applicables à différents moments de la vie) visant à prévenir (différer ou ralentir) les manifestations problématiques du vieillissement cérébral, ce que les auteurs appellent les « défis liés à l’âge ».

Avec un appel constant à la prudence et à la lecture éclairée des études, ils proposent ainsi des pistes concrètes en lien avec l’activité physique, l’engagement dans la communauté, les relations sociales, les défis intellectuels, la nutrition, la réduction des toxines environnementale (telles que le plomb, les polychlorobiphéniles ou PCB, le mercure ou encore les pesticides) et des risques cardiovasculaires, la gestion du stress, en mettant un accent particulier sur les relations intergénérationnelles et sur le pouvoir bénéfique des récits de vie sur l’identité, le sentiment de continuité personnelle et l’acceptation de sa mortalité.

Exploiter les capacités préservées

S’il est un reproche que nous, en tant que psychologues, pourrions faire aux auteurs, c’est le peu de place qu’ils accordent aux diverses interventions de nature psychologique permettant d’optimiser le fonctionnement des personnes dans leur vie quotidienne, en exploitant les capacités préservées. Dès la fin des années 80 et sous le regard sceptique et parfois condescendant de beaucoup de cliniciens et chercheurs, nous avons mis en question l’approche déficitaire de ce que nous appelions encore à l’époque la « maladie d’Alzheimer », nous avons indiqué en quoi ses manifestations étaient hétérogènes et nous avons montré qu’il était possible d’aider les personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence » à mener aussi longtemps que possible une existence autonome et plaisante, ainsi qu’à maintenir leur dignité, leur identité et un sens à leur vie.

Depuis lors, les données scientifiques se sont accumulées pour confirmer cette hétérogénéité ainsi que la présence de capacités préservées et pour montrer l’efficacité de divers types d’interventions psychologiques et sociales, pouvant être incorporées dans l’environnement quotidien de la personne et disséminées dans une variété de contextes de vie. La psychologie contemporaine dispose de cadres théoriques, fondés empiriquement, permettant de mieux comprendre les relations complexes qu’entretiennent les processus cognitifs, les émotions, la motivation, les relations interpersonnelles et l’identité (dans leurs aspects plus ou moins conscients). Elle est ainsi à même d’interpréter les effets des facteurs biologiques, sociaux et événementiels sur le fonctionnement psychologique d’une personne âgée et de formuler des propositions d’intervention adaptées aux caractéristiques spécifiques des difficultés psychologiques de chaque personne.

Une autre conception du vieillissement cérébral et de sa prise en charge

De façon plus générale, Peter Whitehouse et Daniel George concluent leur livre en montrant comment cette approche différente du vieillissement cérébral constitue une voie possible vers plus de sagesse individuelle et collective, plus de solidarité et d’engagement, et aussi vers une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs. S’approprier son vieillissement cérébral et cognitif plutôt que le laisser aux mains d’une « maladie dévastatrice de fin de vie », c’est changer profondément le regard que l’on porte sur soi et que les autres vous adressent. Il ne s’agit pas de rendre la personne âgée ou ses proches responsables des problèmes ou des troubles, mais de les amener à réaliser qu’un changement de perspective et des démarches simples peuvent contribuer à une plus grande qualité de vie et que même en présence de troubles cognitifs, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté.

La conception du vieillissement cérébral défendue par Whitehouse et George, qui s’abstrait des critères diagnostiques traditionnels, soulève indéniablement des questions délicates concernant le financement et le remboursement des soins de santé, mais nous devrions avoir assez d’imagination collective pour élaborer des propositions qui prennent en compte la complexité et les nuances du vieillissement cérébral, tout en garantissant des soins de qualité à toutes les personnes âgées. Comme l’indiquent les auteurs (page 268), « nous ne devrions pas laisser aux assureurs le pouvoir de dicter le type d’histoires que notre ‘establishment’médical raconte ensuite aux personnes âgées et à leur entourage. »

Références

1 | Fotuhi, M., Hachinski, V., Whitehouse, P. (2009). “Changing perspectives regarding late-life dementia”. Nature Reviews Neurology, 5, 649-658.
2 | Whitehouse, P.J., & George, D. (2009). Le mythe de la maladie d’Alzheimer. Ce qu’on ne vous dit pas sur ce diagnostic tant redouté. Marseille : Solal.
Une description de différentes études empiriques (ainsi que leurs références) indiquant les limites de l’approche biomédicale dominante de la maladie d’Alzheimer et la nécessité d’une autre approche peut être trouvée sur le site http://www.mythe-alzheimer.org

Quelle place pour les médicaments anti-Alzheimer dans la prise en charge des patients ?

La Commission de la transparence de la Haute Autorité de santé a réévalué les quatre médicaments indiqués dans la maladie d’Alzheimer : le donépézil, la galantamine, la rivastigmine et la mémantine. Les effets de ces médicaments sont modestes. Toutefois, leur service médical rendu (SMR) reste important, du fait notamment de la gravité de la maladie et de la place du traitement médicamenteux dans la prise en charge des patients. Le progrès thérapeutique apporté par ces médicaments ne s’est pas révélé aussi important qu’attendu lors de leur mise sur le marché et peut être qualifié de mineur.

Haute Autorité de Santé (HAS), septembre 2007.

http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_594403/quelle-place-pour-les-medicaments-anti-alzheimer-dans-la-prise-en-charge-des-patients