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La morphopsychologie

Publié en ligne le 11 juillet 2004 - Pseudo-sciences -
par Jean-Pierre Thomas — Le 19.03.1999

Discipline inventée par Louis Corman en 1937 dans son ouvrage "15 leçons de morphopsychologie" et dérivée d’une "loi" dite de "dilatation - rétractation" relatée par un certain docteur Claude Sigaud dans un opuscule paru en 1914.

Le précurseur de ces théories qui prétendent déterminer les caractéristiques de la personnalité à partir des traits du visage et de leurs formes et proportions, est sans doute François Joseph Gall (1758-1828), auteur de "Exposition de la doctrine physionomique" (Henrichs, libraire, 1804) et inventeur de la phrénologie (terme inventé en 1818 par son disciple Spurzheim). Né allemand, il a enseigné à Vienne jusqu’en 1801, avant de trouver refuge en France où ses travaux ont connu un certain succès dans les années 1830 (Broussais en fut un adepte), ainsi qu’en Angleterre.

Cette spécialité prétendait établir des relations entre la forme et les dimensions du crâne (avec des manifestations au niveau du visage) et le caractère et les capacités intellectuelles, morales et "animales" des individus. Ainsi, on pouvait rechercher les organes du courage, de la ruse, du vol, de la mémoire, de la bonté, de l’athéisme ou du meurtre dans les conformations du crâne des individus. Autant dire que la physiologie moderne a balayé toutes les prétentions naïves de cette théorie. On justifiait également l’intelligence supérieure des européens par rapport à celle des "nègres" par la mesure de "l’angle de Camper" (angle de la ligne du front avec une autre située à la base du cerveau qui aurait été en relation avec la taille du cerveau, elle-même supposée proportionnelle aux facultés mentales, d’après les travaux de Pierre Camper (1722-1789))... On voit où de tels raisonnements ont pu conduire. Ce type de théorie a pu servir de caution scientifique aux dérives idéologiques de Gobineau ou Hitler avec les conséquences que l’on sait.

Plus humoristiquement, notons que c’est un résidu de cette vision des choses archaïque dont nous avons hérité avec la fameuse "bosse des maths".

Toutes ces théories à prétention scientifique ne reposent bien sûr sur aucun fait, constatation ou expérience sérieusement validé, mais seulement sur des postulats dogmatiques invérifiés et parfaitement arbitraires.

Léon Foucault (1819-1868), physicien et inventeur, qui a laissé son nom au pendule suspendu à la voûte du Panthéon qui démontre la rotation du globe terrestre par le lent déplacement de son plan d’oscillation, dénonçait déjà en son temps la non - scientificité de cette théorie.

Signalons aussi que Louis Corman a publié en 1970 un ouvrage intitulé "Le diagnostic de l’intelligence par la morphopsychologie". Quand on sait le peu de signification que peut avoir le terme trop général d’intelligence dans les sciences cognitives (neurologie, psychologie, psychiatrie,...), on voit déjà le crédit que l’on peut accorder à ce type de théorie. Là aussi, on serait en peine de nous fournir un quelconque début de travail de recherche expérimentale qui vienne scientifiquement corroborer les assertions des spécialistes de cette discipline. Pourtant certains cabinets de recrutement s’en servent comme outil de sélection entre candidats à l’embauche.

D’ailleurs à bien y réfléchir, en simplifiant un peu, s’il existait un type de visage lié à une forme de caractère donné, pourquoi les acteurs qui interprètent des malfrats, des assassins, des sadiques, ou des êtres monstrueux et qui ont "la tête de l’emploi" ne sont-ils pas REELLEMENT des malfrats, des assassins, des sadiques, etc. ?

A contrario, que pourrait donner l’analyse morphopsychologique du visage hideux d’Elephant man, alias John Merrick, homme atteint d’une monstrueuse difformité du crâne, dont l’histoire véridique est relatée dans le superbe film de 1980 réalisé par David Lynch, plaidoyer vibrant contre toute forme de racisme primaire et de discrimination basés sur les différences ?

Hormis ces cas extrêmes, Jean Paulhac, docteur en psychologie, consultant spécialisé dans le recrutement, fait judicieusement remarqué qu’à [bien regarder] les portraits des escrocs dans les journaux : ils ont tous de bonnes têtes. Ce sont tous de "bons gros". Comment pourraient-ils tromper le monde s’ils avaient des "profils inquiétants, des nez en forme de lame de couteau, des sourcils broussailleux, des lèvres sinueuses" ? Vous trouverez ces clichés dans Balzac qui aurait dû écouter La Fontaine nous disant : "Garde-toi, tant que tu vivras, de juger les gens sur la mine." (...). L’adage populaire dit : "l’habit ne fait pas le moine", ajoutons le visage non plus. Se référer, parfois inconsciemment, à des schémas de caractérologie physionomique préconçus peut valoir de sérieuses méprises, voire de méchantes déconvenues si l’on n’y prête pas attention.

Références


1 | Alain Juniot, Incroyable... mais faux !, L’Horizon Chimérique, collection "Zététique", Bordeaux, 1989 pp 178 sq.
2 | Pierre Tuilier, Le petit savant illustré, Le Seuil, collection "Science Ouverte", Paris, 1980 pp. 41-45
3 | « Léon Foucault, expérimentateur polyvalent et journaliste pourfendeur des pseudo-sciences », Science et pseudo-sciences, n°187, septembre1990, pp. 31-33
4 | Jean Paulhac, « Les tests d’embauche : entre les pratiques de la science et celles de la magie », La pensée scientifique et les parasciences, Actes du colloque de La Villette des 24-25 février 1993, Albin Michel, Paris, 1993, pp134-145
5 | Christian Baricco, Les méthodes d’évaluation en ressources humaines. La fin des marchands de certitude, Editions d’Organisation, Paris, 1997 pp 215 sq.


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