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C’est (vraiment) moi qui décide ?

Publié en ligne le 21 octobre 2009
C’est (vraiment) moi qui décide ?

Dan Ariely
Éditions Flammarion, 2008, 302 pages, 20 €

L’économie aurait beaucoup à gagner à se fonder sur le comportement réel des gens, et non sur leur comportement supposé.

Extrait, page 259.

Le titre original en anglais est sans doute plus explicite et mieux adapté : Predictably irrationnal, the hidden forces that shape our decisions. Notre comportement est irrationnel, mais il l’est souvent de façon prédictive. La plupart des modèles économiques supposent un comportement rationnel des différents acteurs, en particulier de l’être humain (en tant que consommateur par exemple). On suppose, que face à différentes alternatives, il choisira celle qui est objectivement la plus favorable pour lui, celle qui minimise ses coûts, qui maximise ses bénéfices, les chances d’atteindre ses objectifs. Les modèles économiques sont basés sur ces suppositions (en particulier, la fameuse loi de l’offre et de la demande). Nous-mêmes préférons nous voir en « agents rationnels » plutôt qu’en êtres humains faillibles, et rationalisons a posteriori tous nos choix. La réalité est pourtant bien différente. Nous prenons régulièrement des décisions absurdes, ou absurdes en apparence, quand nous faisons l’acquisition d’un bien (petit ou gros), quand nous changeons de travail, quand nous nous lançons dans des relations sentimentales. C’est à un exposé de travaux en économie comportementale auquel l’auteur nous invite, à la frontière entre l’économie et la psychologie individuelle et sociale. Au cœur des expériences : l’être humain en situation de prise de décision.

Les questions abordées ont toutes fait l’objet d’expérimentations, de mises à l’épreuve (et l’auteur nous décrit en détail les conditions, parfois très amusantes de la mise en œuvre). Parmi les thèmes abordés, citons : comment nous jugeons les prix d’objets non pas dans l’absolu, mais relativement à des prix de références – des ancres –, que des campagnes de marketing astucieuses vont réussir à nous suggérer, et qu’il nous sera difficile dès lors d’abandonner ; comment la gratuité exerce un attrait émotionnel sur nous, nous conduisant à des choix irrationnels ; la meilleure efficacité d’un médicament placebo quand son prix est élevé ; l’équilibre entre normes sociales et normes du marché (par exemple ; le fait d’être payé ôte, dans certaines conditions, une partie du plaisir à faire quelque chose) ; le rôle du « facteur excitation » qui nous conduit à nous comporter à l’opposé de ce que nous avions convenu en nous-mêmes (la mise en œuvre expérimentale mérite la lecture) ; la surestimation systématique de la valeur des biens que nous possédons ; l’auto-persuasion (où comment des attentes trop fortes nous font voir et nous rappeler la réalité différemment de ce qu’elle a été) ; la propension de tous les individus à adopter un comportement malhonnête quand les conditions se présentent ; la tendance à reporter au lendemain les activités qui peuvent l’être, même si c’est irrationnel de le faire… Autant de questions abordées de façon vivante et amusante.

L’économie comportementale invite à réviser les modèles économiques en prenant en compte le fait que les agents économiques, l’homme en particulier, ne sont pas des agents rationnels optimisant leurs décisions à l’aune de leurs objectifs. Une des conclusions de l’auteur, dans l’optique d’une société mettant en œuvre – de façon rationnelle – des lois et des cadres réglementaires visant à protéger objectivement l’intérêt collectif, est qu’il faut parfois faire d’avantage appel à la régulation, à l’imposition de modes de comportement (en économie ou en santé publique par exemple).

Les principales critiques que l’on peut adresser à l’ouvrage sont de deux ordres. Tout d’abord, l’auteur se livre à des extrapolations sur la portée de ses expériences qui mériteraient de plus solides argumentations. Mais le lecteur est libre de suivre, ou non, l’auteur dans ces développements, toujours clairement séparés de l’expérience initiale. Le second type de critique qui a été adressée à Dan Ariely porte sur les conclusions tirées à propos de la régulation, et la nécessité d’une plus grande contrainte quand des enjeux d’intérêt publics sont en jeu (vaccination, protection des jeunes, santé publique). L’économie comportementale est-elle une discipline suffisamment assise pour permettre ces conclusions ? En tout état de cause, l’approche expérimentale est séduisante, mais l’objet est complexe, et la discipline encore balbutiante.


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