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Le rapport BioInitiative, ou l’apparence de sérieux scientifique

Publié en ligne le 30 avril 2009 - Ondes électromagnétiques -

Pour l’association Robin des toits, le rapport BioInitiative apporte « les preuves scientifiques définitives des dangers pour la santé de la téléphonie mobile » 1. Son fondateur, Etienne Cendrier, ajoute même que cette dangerosité « ne fait plus aucun doute aujourd’hui pour la plupart des scientifiques […] et à la lecture des preuves apportées […] il s’agit de mettre en place une politique de santé publique efficace […] afin d’éviter un scandale sanitaire imminent ». 2 Pour l’association Priartem, ce rapport est « un pavé dans la mare trop tranquille des experts officiels » 3. Next-Up, une autre association active dans le domaine 4, relaie sur son site Internet une pétition internationale en « soutien aux recommandations du rapport BioInitiative » affirmant que « les preuves actuelles, bien que limitées, sont suffisamment solides pour remettre en cause la base scientifique des limites actuelles d’exposition aux REM ». Ce rapport a d’ailleurs été l’un des éléments importants de l’accusation lors d’un récent procès impliquant un des opérateurs de téléphonie mobile.

Le rapport

On le voit, BioInitiative est la pierre angulaire de l’« argumentation scientifique » des associations dénonçant pêle-mêle un scandale sanitaire à venir, la non-indépendance des agences gouvernementales d’expertise et la non-adéquation des normes de protection. Le texte a été publié sur Internet le 31 août 2007 5. Il se présente sous la forme d’un volumineux rapport de 610 pages, organisé en 21 sections, et coédité par David Carpenter, Directeur de l’Institute for Health and the Environment de l’Université d’Albany (New York), et Mme Cindy Sage, propriétaire de Sage EMF Design une division de Sage Associates, entreprise de consultance localisée en Californie.

Un « résumé des conclusions pour le public » rédigé par Madame Cindy Sage ouvre le rapport, suivi de quelques sections « de synthèse », en général rédigées par la même Cindy Sage, seule ou en collaboration avec son coéditeur, le Dr David Carpenter. Viennent ensuite des articles indépendants écrits par un groupe d’auteurs des USA, d’Europe (Suède, Danemark, Grande-Bretagne) et de Chine (au total, 14 contributeurs).

Le rapport porte à la fois sur les champs électromagnétiques de très basse fréquence (50-60 Hz) et sur ceux associés aux radiofréquences comme celles utilisées dans la téléphonie mobile. Les principales conclusions peuvent se résumer ainsi : les effets biologiques négatifs des champs électromagnétiques sont avérés, avec plus ou moins d’incertitudes selon les cas, les normes actuelles d’exposition aux rayonnements électromagnétiques sont inadaptées et doivent être révisées à la baisse, d’autres effets biologiques (autres que les effets thermiques actuellement retenus) doivent être pris en compte.

Une apparence d’« expertise collective »

Présenté comme tel par les ONG qui s’en font l’écho, le rapport BioInitiative n’a en réalité rien d’une expertise collective. L’expertise collective est une procédure d’évaluation des connaissances scientifiques initiée en France par l’INSERM en 1993 qui vise à s’appuyer sur les compétences d’un réseau regroupant de nombreuses équipes de recherche travaillant dans les champs de la biologie, de la médecine et de la santé afin d’analyser l’ensemble de la littérature disponible sur un sujet, et de dégager un état de la connaissance et de ses incertitudes dans un domaine donné. Dans ce modèle, les experts impliqués rédigent un rapport ou une évaluation. Le texte fait l’objet d’une approbation collective, mentionnant le cas échéant les positions minoritaires.

Rien de tel dans le rapport BioInitiative. Chacune des sections est signée de ses auteurs, et comme le rappelle la préface, « les informations et conclusions de chacun des chapitres sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs ». Aucune information n’est donnée sur la méthode de travail, ni même si un quelconque travail collectif a été organisé. Tel est en particulier le cas des conclusions du rapport (signées de Cindy Sage et du Docteur David Carpentier) et du résumé pour le public (signé de Cindy Sage). Les différents chapitres reflètent les opinions ou convictions personnelles de leurs auteurs, souvent sans réelle confrontation avec les données scientifiques disponibles.

Ainsi, le chapitre traitant de l’influence des champs électromagnétiques sur les cancers du sein (rédigé par Cindy Sage) se résume pour l’essentiel à une simple liste de références 6, incluant de nombreux « abstracts » de congrès, des textes non soumis à revue à comité de lecture, sans analyse, mélangeant les études in vitro et in vivo et des études épidémiologiques (incidence et mortalité). Mais permettant néanmoins, pour l’auteur, de conclure que « la constellation de textes scientifiques fournissent des preuves concordantes d’une association entre cancers du sein et champs électromagnétiques de basse fréquence ».

L’analyse de grandes institutions

La médiatisation du rapport a conduit plusieurs grandes institutions scientifiques à se pencher sur son contenu. En France, l’AFSSET 7 devrait rendre public son avis dans les semaines à venir.

Le réseau EMF-Net, programme européen de recherche et de développement technologique 8, après avoir relevé les termes alarmistes et émotionnels du rapport, « sans base scientifique provenant d’une recherche bien conduite », souligne qu’« aucune mention n’est faite des rapports qui ne concordent pas avec les déclarations et les conclusions des auteurs » et que « les résultats et les conclusions sont très différents de ceux de revues nationales et internationales de ce sujet » 9.

Pour le Danish National Board of Health 10, le rapport BioInitiative n’apporte aucune raison de changer l’évaluation actuelle du risque pour la santé de l’exposition aux champs électromagnétiques, ne comporte pas de nouvelles données, et n’a pas pris en considération de la manière habituelle la qualité scientifique des travaux cités.

L’Office Fédéral Allemand de Radioprotection indique dans son analyse 11 que « le rapport BioInitiative a des faiblesses scientifiques claires, y compris un biais de sélection dans plusieurs domaines de recherche ».

Le Conseil de Santé des Pays-Bas 12, en réponse à une demande du Ministère du Logement, de l’Aménagement et de l’Environnement, exprime lui aussi de très sérieuses réserves sur la méthode suivie pour la préparation du rapport : « le rapport BioInitiative n’est pas un reflet objectif et équilibré de l’état actuel de la connaissance scientifique, en conséquence, il n’apporte aucune base pour réviser les points de vue actuels sur les risques liés à l’exposition aux champs électromagnétiques ». Au passage, le Conseil de Santé des Pays-Bas relève quelques erreurs flagrantes, approximations ou non-sens, comme par exemple le fait que ce serait « l’information transportée par les champs électromagnétiques (et non la chaleur) qui [serait] à l’origine des effets biologiques, certains de ces effets conduisant à une perte de bien-être, la maladie, et même la mort » 13. Or, selon le Conseil, pour les champs basse-fréquence (liés aux usages de l’électricité), aucune information n’est transportée, et de plus, aucun échauffement n’intervient. Pour les champs aux fréquences radio, l’information est transportée par modulation, et si certaines études expérimentales semblent indiquer que des effets biologiques pourraient intervenir dans le cas de l’exposition à un signal modulé, il n’existe à ce jour aucune base scientifique pour affirmer que ces effets puissent conduire à des conséquences sanitaires 14.

Conflit d’intérêts autour de BioInitiative : le silence des lanceurs d’alerte

Cindy Sage, co-éditrice et principale rédactrice du rapport BioInitiative, est également gérante d’un cabinet de consultants spécialisé dans les domaine de la protection contre les champs électromagnétiques.

Les « lanceurs d’alertes », comme ils se proclament eux-mêmes, s’en prennent souvent de façon particulièrement virulente au service public de l’expertise scientifique et aux instituts scientifiques dont les résultats n’abondent pas dans leur sens. Ces organismes sont accusés de partialité, de non-indépendance vis-à-vis des lobbies industriels, d’avoir des conflits d’intérêts, d’incompétence.

Il est alors curieux de constater le silence qui entoure un conflit d’intérêts avéré autour de BioInitiative de la part de ceux qui, justement, encensent le rapport. Le réseau scientifique EMF-net cité plus haut relève qu’il n’est mentionné nulle part « qui a initié l’étude, qui finance le travail, pas plus que les éventuels conflits d’intérêt » 15.

Et justement, concernant la principale éditrice du rapport, auteur de six chapitres entiers, et co-auteur d’un septième, aucun des « lanceurs d’alertes » ne relève que Cindy Sage est propriétaire d’un cabinet de consultants 16 (Sage EMF Design, une division de Sage Associate) spécialisé dans l’étude des environnements électromagnétiques, et qui propose des solutions pour « caractériser ou atténuer » les impacts des champs électromagnétiques. Ses clients sont, entre autres, les services professionnels des collectivités locales. Mais Sage EMF Design offre également la location de EMF EMDEX, un petit appareil de mesure des champs électromagnétiques à utiliser au bureau ou chez soi. Des interventions sur place sont proposées pour remédier à des champs trop élevés. Enfin, Sage EMF Design travaille en collaboration avec des architectes pour concevoir et réaliser des maisons à « bas champs électromagnétiques ».

Bien entendu, BioInitiative doit être jugé d’abord sur son contenu, et non pas sur le conflit d’intérêts évident entre sa principale initiatrice et rédactrice. Et de ce point de vue, nous l’avons montré, le rapport est loin d’être la « preuve incontestable » proclamée par certains.

2 Etienne Cendrier, Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire ?, Éditions du Rocher 2008, page 40.

4 Next-up se présente comme « une Organisation Non Gouvernementale (ONG) concourant à la Défense de l’Environnement Naturel, contre les irradiations des Champs électromagnétiques ». www.next-up.org.

5 http://bioinitiative.org, BioInitiative : A rationale for a biologically-based exposure standard f or electromagnetic radiation.

6 Sur les 8 pages du chapitre, une demi-page est consacrée à une introduction, une autre à la conclusion, les 7 autres à la liste de références, donnée sans analyse.

7 Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail.

8 EMF-Net est un programme de recherche financé par la commission européenne et portant sur l’étude des effets biologiques de l’exposition aux champs électromagnétiques. Il regroupe plus d’une quarantaine d’organismes, publics et privés, issus de 13 pays de l’Union européenne. http://web.jrc.ec.europa.eu/emf-net/index.cfm (disponible sur archive.org — 9 nov. 2019).

9 http://www.izmf.de/download/archiv/EMF-Net-Bioinitiative-608.pdf (indisponible — 9 nov. 2019).

10 http://www.sst.dk/upload/forebyggelse/cff/miljoemedicin/ikke_ion/bioinitiative_4okt07.pdf (indisponible — 9 nov. 2019).

13 Page 6 du rapport, « résumé des conclusions pour le public », Cindy Sage.

14 L’analyse du Conseil de Santé des Pays-Bas souligne également la confusion faite entre effet biologique et dommages sanitaires, lorsque le rapport BioInitiative recommande que tout effet des champs électromagnétiques sur les systèmes biologiques doive être évité.

15 Ibid. note n° 9.

16 http://www.sageassociates.net (disponible sur archive.org — 9 nov. 2019).


Publié dans le n° 285 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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