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Cerveau et foi

Publié en ligne le 23 mars 2009 - Science et religion -

Dans son édition du 10 mars, Le Monde publie un article intitulé : « Le cerveau humain a la foi » et annonce la grande nouvelle : « Des chercheurs déclarent, dans le journal américain Proceedings of the National Academy of Sciences du 9 mars, avoir localisé la zone du cerveau qui contrôle la foi religieuse. Selon leurs travaux relatés dans The Independent, la croyance en un pouvoir supérieur, céleste, est un atout de l’évolution qui aide les hommes à survivre ».

Le titre du Monde, déjà, pourrait faire sourire tous ceux qui n’ont pas la foi : appartiendraient-ils à une autre race, non humaine, ayant suivi une autre évolution, et dont le cerveau serait hors normes ?

Dès le troisième paragraphe, on apprend qu’en réalité, « les scientifiques qui cherchaient “l’aire de la foi”, supposée contrôler la croyance religieuse, pensent qu’il n’y pas une mais plusieurs zones du cerveau qui forment les fondations biologiques de la foi ». Nous voilà donc dans un champ d’hypothèses bien éloigné des affirmations péremptoires du premier paragraphe. Il est clair que Le Monde n’a pas bien traduit les phrases du journal anglais qui avait peut-être déjà fait l’exégèse des versets de l’étude relatée par le Proceedings of the National Academy of Sciences

Rien de sûr et rien de neuf sous le soleil. Ces dernières études font écho à celles relayées en 2005 par le magazine Science et Vie 1 ainsi qu’à d’autres, plus anciennes, de Newberg et Alavi (2001) et de Persinger, qui, depuis plus de vingt ans, se penche sur les relations entre certaines activités électriques repérées dans les lobes temporaux et les expériences mystiques.

Voyons ce que nous apprend l’étude du 9 mars publiée dans le PNAS : « Ces résultats soutiennent l’opinion que la religiosité est intégrée dans les processus cognitifs et dans les réseaux du cerveau utilisés dans la cognition sociale, plutôt que d’être sui generis. L’évolution de ces réseaux fut probablement amenée par leurs rôles initiaux dans la cognition sociale, le langage et le raisonnement logique. La cognition religieuse a probablement émergé, dans le cadre de cette évolution, comme unique combinaison de plusieurs de ces processus cognitifs importants.
Il se peut que des différences individuelles mesurables de ces compétences essentielles (théorie de l’esprit, imagination, etc.) permettent de prédire des schémas spécifiques de l’activation du cerveau en réponse aux stimuli religieux.
Le canevas défini dans cette étude reflète la religiosité (ou son absence) de membres de la société moderne occidentale.
Des religions tribales et non occidentales peuvent enclencher différemment les processus cognitifs et les circuits identifiés ici ou en engager de nouveaux. Cette conjecture est facilement testable dans un groupe plus grand et religieusement plus diversifié, dans des conditions écologiques variables.
Que Dieu existe ou non, les croyances religieuses existent bel et bien et peuvent être mesurées expérimentalement comme nous le montrons dans cette étude. »
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Il est quand même désolant de constater que de grands quotidiens s’amusent, de façon récurrente, à propager – en les interprétant de façon tendancieuse – des hypothèses qui sont loin de faire consensus dans le monde scientifique où circulent encore bon nombre de suggestions quant à l’origine de la foi et de la croyance. 3

Laissons le dernier mot à un des signataires de l’étude, le Pr. Jordan Grafman : « Notre connaissance incomplète du monde nous offre la possibilité de croire en Dieu. Lorsque nous ne disposons pas d’explications scientifiques, nous avons tendance à faire appel à des explications surnaturelles (…) Peut-être l’obéissance à des forces surnaturelles dont nous ignorons tout rend-elle plus aisée l’apparition des formes de croyances religieuses. » 4

The Independent, qui relate ces propos, précise aussi que le Pr. Grafman croit en Dieu…

1 Dans son n° 1055 d’août 2005, Science et Vie titrait : « Pourquoi DIEU ne disparaîtra jamais ? » avec les accroches suivantes : « Notre CERVEAU est programmé pour croire », « La "MOLÉCULE DE LA FOI" identifiée » et « La religion augmente L’ESPÉRANCE DE VIE » – article de Nicolas Revoy et Isabelle Bourdial. Voir notre article dans le n° 269 de SPS à propos de cette publication.

2 « Cognitive and neural foundations of religious belief », Proceedings of the National Academy of Sciences, page 4.

3 Voir, par exemple, l’avis de Daniel Dennett sur le site Automates intelligents.

4 Texte original : « When we have incomplete knowledge of the world around us, it offers us the opportunities to believe in God. When we don’t have a scientific explanation for something, we tend to rely on supernatural explanations (...) Maybe obeying supernatural forces that we had no knowledge of made it easier for religious forms of belief to emerge. »


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L' auteur

Nadine de Vos

Nadine de Vos a été membre du comité de rédaction de Science et pseudo-sciences de 2006 à 2013.

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