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Une nuit

Publié en ligne le 20 novembre 2018
Une nuit

Trinh Xuan Thuan
L’Iconoclaste, 2017, 280 pages, 24,90 €

L’espace d’une nuit, Trinh Xuan Thuan, professeur à l’université de Virginie, nous invite à l’accompagner au sommet du Mauna Kea, l’un des meilleurs endroits au monde pour observer le ciel. Nous le suivons alors qu’il prépare son programme scientifique, vérifie le bon fonctionnement du télescope tourné vers de lointaines « galaxies bleues compactes », puis traite les données acquises... Profitant de moments de répit pour sortir de la coupole et contempler les étoiles, il nous livre un panorama des connaissances en astrophysique. S’adressant au plus grand nombre, le professeur s’efface ici devant le vulgarisateur. Il appelle à l’émerveillement poétique, à cette émotion première que suscite la contemplation du ciel étoilé. Sans développer les aspects scientifiques qu’il aborde trop brièvement, Trinh Xuan Thuan revient sur des thèmes qui lui sont chers.

Une nuit a sa part de lumière, celle du bleu du ciel et des couchers de soleil. L’auteur part en lutte contre un éclairage dispendieux en énergie et souvent délétère pour les espèces nocturnes, les enfants qui ne voient plus la Voie lactée et... les astronomes qui cherchent à l’étudier. Le livre est beau, magnifiquement mis en page et illustré par des photographies du ciel, des tableaux de maîtres et des citations littéraires. Il est conçu comme un catalogue d’exposition.

Quand la nuit tombe, l’auteur aborde la « subtile interaction » entre la Terre et son « satellite idéal » (p. 39), prenant à témoin un animal marin : « À la fin de chaque mois, quand la Lune a fait un tour complet autour de la Terre, le nautile a sécrété trente stries. Ainsi, sa coquille permet de retracer l’évolution des mouvements de la Lune autour de la Terre » (p. 51). Grâce aux fossiles de cet animal qui construirait exactement une strie par jour et une cloison à chaque lunaison, il serait aisé de suivre, depuis 400 000 ans, l’évolution de la période orbitale et l’éloignement de la Lune. Las ! Ceux qui ont eu l’idée de vérifier cette hypothèse, intéressante au demeurant 1, l’ont infirmée 2. Elle implique par ailleurs un taux actuel d’éloignement de la Lune de plusieurs mètres par an 3, incompatible avec celui qui est mesuré par tir laser, moins de 4 cm par an, « Soit à peu près le taux de croissance de nos ongles », comme le souligne l’auteur (p. 50). Il apparaît ainsi clairement que celui-ci privilégie de belles histoires et de belles images, aux dépens de la mise à jour des connaissances.

Au cœur de la nuit, l’astrophysicien nous explique comment l’ensemble de l’Univers est, selon lui, interconnecté. Au fil de ses livres, Trinh Xuan Thuan est un peu devenu l’homme qui a vu le pendule. Le plan d’oscillation du pendule de Foucault, qui semble s’aligner sur les positions des astres les plus lointains, « [...] nous oblige à constater qu’il existe dans l’univers une interaction d’une tout autre nature que celles décrites par la physique connue […] qui relie l’univers en son entier  » (p. 150). Un détour sans surprise par la physique quantique, et de cet ensemble « holistique » découlerait «  […] une conséquence éthique profonde qui touche à notre sentiment de compassion et d’empathie ». Et l’auteur de conclure par la nécessaire solidarité « qui devrait tracer un trait d’union entre tous les hommes de bonne volonté » (p. 151).

C’est à la fin de la nuit que l’auteur se dévoile pleinement. Les cosmologistes, les astrophysiciens et les biologistes reconstituent une histoire, celle du Big-bang, de la formation des noyaux atomiques au cœur des étoiles et de notre apparition sur Terre. Loin de faire appel à la seule contingence – dont Stephen Jay Gould explique dans La vie est belle 4 qu’elle empêcherait le film de l’évolution de se rejouer à l’identique –, cette histoire témoignerait de « quelque chose » qui ressemble fort à la Providence (sans la présence de la Lune, la Terre aurait un mouvement un peu fou, avec plein de conséquences néfastes pour la vie, etc.). L’auteur pense que la conscience des êtres humains a été « programmée » et l’Univers «  réglé de manière extrêmement précise » (p. 218).

Au-delà de ses aspects convenus, le propos se situe plus que jamais aux confins de la vulgarisation et d’une forme de prosélytisme pour les idées proches du « dessein intelligent ». L’auteur recycle l’expression « code cosmique » et interprète de manière très orientée certains résultats ou énoncés (théorème de Gödel, principe anthropique), donnant ainsi à son livre des accents « bogdanoviens ». Cette impression de déjà lu est confirmée par l’emploi répété de l’acronyme NASA – sorte d’argument d’autorité censé, au passage, épater le chaland. Intrusion spiritualiste dans la science ou scientisme au service de la métaphysique ? Ce dernier terme est parfois employé pour qualifier les écrits de Trinh Xuan Thuan, bien qu’il nous soit ici difficile d’en donner une claire définition à moins de se référer à celle de Kamel Daoud, prix Goncourt 2015, pour qui « La métaphysique, trop envahissante, est nécessairement le contraire de l’astronomie » 5, 6.

1 Kahn PGK, Pompea SM, “Nautiloid growth rhythms and dynamical evolution of the Earth–Moon system”, Nature, 1978, 275:606-611.

2 Landman NH, Cochran JK, “Growth and Longevity of Nautilus”, in Saunders WB, Landman NH, Nautilus – The Biology and Paleobiology of a Living Fossil, Topics in Geobiology, Springer, 2010, vol. 6.

3 Rotten F, Surprenante gravité, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p. 24.

4 Gould SJ, La vie est belle, les surprises de l’évolution, coll. Points sciences, Seuil, 1998.

5 Daoud K, « Le crash du tapis volant », chronique, Le Point n° 2274, 7 avril 2016, p. 122.

6 Une nuit a reçu le prix Ciel et Espace 2018 du livre d’astronomie (ici et )


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