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L’AFIS mise en cause

Une lettre adressée à l’ANSES

Publié en ligne le 31 mars 2014 - AFIS -
L’idéologie n’a pas sa place dans l’expertise publique

L’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, couvre les champs d’expertise relatifs à l’évaluation des risques dans le domaine de l’alimentation, de l’environnement et du travail. En tant qu’agence du service public, sa mission est d’éclairer les pouvoirs publics dans leur politique sanitaire. Ainsi, l’Agence est placée sous la tutelle des ministres chargés de la Santé, de l’Agriculture, de l’Environnement, du Travail et de la Consommation.

Sa mission officielle stipule qu’elle doit mettre en œuvre une « expertise scientifique indépendante et pluraliste ». La crédibilité même de cette expertise doit en effet reposer sur une rigoureuse indépendance par rapport à tout intérêt, qu’il soit financier ou idéologique.

C’est en ce sens que l’AFIS a toujours défendu une claire séparation entre la science et la décision. La première est affaire d’expertise, la seconde est affaire de choix, de valeurs et d’intérêts. Mais force est de constater que grande est la tentation de « mélanger les genres » et de faire reposer des choix idéologiques sur un prétendu « impératif scientifique ». Au risque d’une expertise instrumentalisée et discréditée. Nous avons ainsi régulièrement dénoncé des institutions hybrides telles que le Haut Comité aux Biotechnologies (HCB) abritant, à côté d’une authentique structure d’expertise, un « Comité économique, éthique et social » (CEES) comprenant des militants associatifs et des représentants de syndicats et d’organisations professionnelles1. Nous l’avons également fait à propos du GIEC2, où, l’expertise sur l’évolution du climat et ses causes possibles se trouve mélangée à des visions idéologiques sur ce qu’il serait bon de faire ou ne pas faire, en termes d’énergie ou d’organisation du travail, par exemple. Il en résulte bien souvent une paralysie totale (c’est le cas du HCB) ou une mise en cause de l’expertise scientifique au nom des conséquences politiques et sociales qui lui sont attribuées (c’est souvent le cas à propos du GIEC).

La même tendance se dessinerait-elle à l’ANSES ? C’est ainsi que l’on peut voir siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence des représentants es-qualité de diverses associations telles que France Nature Environnement, Robin des Bois. Et c’est dans ce contexte que nous avons eu la surprise de découvrir un rapport3 portant le logo de l’ANSES, et prenant directement l’AFIS à partie.

1 « Haut Conseil des biotechnologies : l’expertise instrumentalisée ». SPS n°300, avril 2012.

2 « Climat, science, expertise et décision », SPS n° 307, janvier 2014.

3 « Une pragmatique des alertes et des controverses en appui à l’évaluation publique des risques », septembre 2013.

Nous reproduisons ici la lettre qui a été adressée au Directeur Général de l’Agence, M. Marc Mortureux, ainsi que la réponse que nous a communiquée l’Agence.

Monsieur le Directeur,

Nous avons été très surpris en prenant connaissance d’un rapport co-édité par l’ANSES et intitulé « Une pragmatique des alertes et des controverses en appui à l’évaluation publique des risques » (septembre 2013).

Nous laissons à leurs auteurs la responsabilité d’un texte très partisan sur les questions des controverses sanitaires et environnementales, loin de l’approche scientifique qui exige une certaine neutralité vis-à-vis de son objet d’étude. Cette posture engagée, couverte par l’ANSES, ne peut que fragiliser le rôle d’une agence sanitaire dont il parait légitime d’attendre la plus grande neutralité dans ses productions, garantissant ainsi la crédibilité de sa mission de service public.

Mais nous nous étonnons que l’ANSES couvre de son autorité des propos sur notre association qui ne relèvent pas de l’analyse sociologique mais d’un a priori hostile et ouvertement malveillant, non étayé, voire fondé sur des propos prêtés à l’AFIS ou inventés.

Nous nous contenterons de citer ici quelques extraits où notre association est directement ou indirectement mise en cause.

 Une hostilité affichée : les termes décrivant l’AFIS, ses membres ou ceux qui collaborent à certaines occasions à ses activités sont systématiquement empreints d’une connotation péjorative, comme par exemple : « Marcel Kuntz, activiste de l’AFIS », la « galaxie formée par l’AFIS », « mettent particulièrement en colère les amis de l’AFIS », « Venons-en donc au phénomène Bronner », « S’il y a un sujet qui fâche particulièrement les membres de l’Afis », « semble s’être donné pour mission d’organiser le contrefeu rationaliste de l’intérieur des sciences sociales », « ce discours rationaliste qui gère assez mal, dans ses expressions publiques, la frontière entre argumentation et rhétorique », « La dimension polémique des textes de l’AFIS [...] se lit à chaque phrase, faute visiblement d’une capacité réflexive sur le rapport entre énonciateur et énoncé ».

 Des citations inventées nous sont attribuées, mises entre guillemets, sans aucune référence : « ce qui explique largement la virulence polémique de leurs détracteurs qui voient s’installer une “pieuvre écologique”, une “secte verte” ou un “nouveau pouvoir totalitaire, anti-libéral et anti-démocratique” (cf les textes de l’AFIS mais aussi Bruckner et bien d’autres polémistes anti-écolos) ». Les termes « pieuvre verte », « secte verte » « nouveau pouvoir totalitaire, anti-libéral et anti-démocratique » n’ont pu être retrouvés sur notre site, où nous mettons pourtant systématiquement en ligne tous nos textes (y compris ceux de notre revue).

 Des rumeurs sur la base de « propos rapportés » par un témoignage anonyme : « Les attaques se font de plus en plus fréquentes et lorsqu’en janvier, lors de la présentation de la démarche suivie pour l’observatoire des alertes et des controverses devant des étudiants d’Agroparistech, l’organisateur, gêné, nous a confié avoir reçu un mail assez violent d’un membre de l’AFIS l’invitant à ne pas laisser pénétrer de “postmodernes” dans ses amphithéâtres ».

 L’insinuation jamais démontrée d’une AFIS au centre de réseaux occultes d’influence : « la galaxie formée par AFIS », « il y a un véritable réseau à l’œuvre et il s’agit de promouvoir, sous couvert de discussion critique, non seulement des thèses mais également leurs porteurs », « en prenant l’AFIS comme témoin de jeux de pouvoirs et d’influence au sein des organismes de recherche, des ministères et des agences concernés par les risques et le principe de précaution ». L’AFIS est une association loi 1901. Elle édite la revue Science et pseudo-sciences. Son site Internet www.pseudo-sciences.org donne toute la transparence sur sa gouvernance. Ses sources de financement sont affichées publiquement : les cotisations de ses adhérents et les abonnements à sa revue. Son seul « réseau » n’a rien d’occulte : il s’agit d’un comité de parrainage scientifique composé de scientifiques reconnus (des chercheurs, des membres des Académies, un Prix Nobel, etc.).

 Tourner l’AFIS en ridicule : « le premier réflexe a été de demander à Tirésias d’aspirer les articles et les chroniques de leur site [le site de l’AFIS] afin d’identifier les traits rhétoriques et autres procédés argumentatifs, les appuis cognitifs et les ressorts normatifs qui y sont à l’œuvre – et, dans la foulée, de faire faire à Marlowe, doté d’un générateur de proses automatiques, des exercices de rationalisme indigné ». Quel apport scientifique apporterait « Marlowe » en générant de façon automatique des exercices de « rationalisme indigné » ? À part la volonté de ridiculiser par cette catégorisation réductrice et moqueuse, nous ne voyons pas bien l’objectif en terme de démarche d’analyse sociologique. Autre exemple : « Il reste qu’il ne viendrait à l’esprit d’aucun être rationnel de coller pendant des heures un téléphone portable sur l’oreille d’un enfant ou de suggérer aux industriels de manipuler des nanoagents en plein air sans protection particulière ». Quel rapport avec les analyses faites par l’AFIS sur les ondes électromagnétiques ou sur les nanotechnologies ?

 Des insinuations revendiquées comme pouvant se dispenser de preuve : « [en retraçant] les réseaux et les grappes d’acteurs en prenant l’AFIS comme témoin [...] on a de fortes chances d’y découvrir l’existence d’une épaisse zone grise méritant à elle seule une enquête sociologique ». Inutile de procéder à l’analyse, « de fortes chances » de trouver la conclusion suffisent. Et cette conclusion serait « l’existence d’une zone grise » jamais définie, mais suspecte de par son libellé, et qui « mériterait analyse »... Nous espérons que la direction de l’ANSES ne recommande pas à ses comités d’experts ce type de démarche sur les sujets sanitaires et environnementaux : suggérer une conclusion, dire que si on étudiait on trouverait « avec de fortes chances » une « zone grise », et ne pas faire l’étude.

 Des propos tenus sur le blog personnel d’un membre de l’AFIS, par ailleurs engagé dans un combat politique qui est le sien, sont attribués à l’AFIS et placés au même plan que ses prises de positions officielles.

Monsieur le Directeur, nous nous étonnons que l’ANSES co-édite un rapport avec de telles affirmations. L’AFIS, attachée à la neutralité de l’expertise des agences publiques, au renforcement du rôle de service public de ces agences, prêtera la plus grande importance à votre réponse.

Pour l’AFIS, son Président,
Louis-Marie Houdebine.
La réponse de l’ANSES

Proposition a été faite d’accompagner cette publication d’une réponse de l’Agence. La directrice de la communication, qui nous a directement contacté par téléphone, n’a pas souhaité le faire sous forme écrite, mais nous a autorisé à faire état de la discussion dans les termes suivants.

Pour l’Agence, le logo de l’ANSES n’aurait pas dû se trouver sur le rapport. L’ANSES ne s’estime pas engagée par des travaux qu’elle ne fait que financer. Elle nous remercie d’avoir attiré son attention et indique qu’elle sera plus vigilante à l’avenir sur l’usage de son logo. Elle ajoute enfin que l’ANSES ne sera pas influencée par le contenu de ces travaux qui s’inscrivent dans un cadre général de suivi sociétal.

Le rapport avec le logo ANSES, en ligne sur le site de l’Agence
Mise à jour. Une nouvelle version du rapport a été mise en ligne par l’Anses en avril 2015. Celle-ci a fait disparaître l’essentiel des extraits cités plus haut.
La version initiale
La version corrigée

Publié dans le n° 308 de la revue


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