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Une colline hantée en Floride

Publié en ligne le 6 juillet 2004 - Paranormal -
par I. Ziegler et J.P. Thomas (d’après le Skeptical Inquirer) - SPS n° 198, juillet-août 1992

"Sur cette route en pente, les voitures, les oranges, les ballons laissés à eux-mêmes remontent spontanément la côte, sous l’effet d’une mystérieuse anomalie gravitionnelle." Ce genre de phénomène paranormal est repris de temps à autre par un magazine à sensation ou par une émission de l’audiovisuel. Seul le lieu du miracle varie, pour qu’on ait pas l’air de reprendre une histoire déjà usée.

Il y a quelques années, un journaliste sceptique en a fait un poisson d’avril. Il a situé le miracle sur une route bien connue de la côte d’Azur. Avec l’idée de faire sourire les lecteurs. Le résultat a été très différent de ce qu’il attendait. Il a reçu plusieurs lettres dont les auteurs attestaient la réalité du phénomène. Ils avaient même tenté de descendre la côte en roue libre, moteur arrêté. La voiture avait tendance à repartir en arrière, remontant la côte. Formidable !

Mais ce n’est pas en avril, c’est dans un numéro daté d’octobre 1990 que le Wall Street Journal a publié un article sensationnel intitulé Spook Hill ("la colline fantôme") déconcerte les scientifiques et défie les lois de la gravité. Ce périodique, tout en s’intéressant surtout aux problèmes de la Bourse, donne aussi des informations situées dans d’autres domaines. Tout en honorant jusqu’alors sa réputation de journal sérieux.

Spook Hill se trouve dans la rue principale de Lake Wales, une ville du centre de la Floride. Vue d’une de ses extrémités, cette voie donne l’impression de descendre en pente douce, avant de remonter brusquement. Sur place, des panneaux proposent aux conducteurs d’arriver jusqu’au point le plus "bas" de la pente douce, et là d’arrêter le moteur en laissant la voiture au point mort. Elle se met alors à reculer, remontant la pente qu’elle vient de descendre.

L’illusion est frappante. Connue depuis longtemps, elle attire les visiteurs. En fait c’est la disposition de l’environnement, combinée avec un petit virage de la route, qui trompe l’observateur. Vu perpendiculairement, sous un angle différent, le prétendu "point le plus bas" se trouve plus haut que la route qui l’y mène en pente douce, avant de tourner un peu et de prendre une pente plus accentuée. Si on laisse là une voiture à elle-même, elle va redescendre tout naturellement à reculons, sans aucune intervention d’une force mystérieuse. C’est ce qu’explique dans le Skeptical Inquirer un informaticien nommé Guss Wilder, tout en s’étonnant que le reporter du Wall Street Journal, R. Johnson, se soit laissé berner de cette façon. Ou bien n’a-t-il connu cette histoire que de seconde main, comme c’est souvent le cas pour dans ce genre d’affaire ?

Ce n’est pas tout. Si l’on en croit Johnson, un autre reporter a exploré le site avec un niveau de maçon (règle métallique portant un tube plein d’eau avec une bulle d’air dont la positon indique la pente). Il aurait ainsi vérifié que dans la première partie de la route, celle-ci descend jusqu’au fameux point déclive, avant de remonter. C’est ici que les choses se compliquent. Si le niveau indique que la rue est en pente descendante, c’est que l’eau qu’elle contient est attirée vers le bas par la gravité. Or d’après le même reporter, les voitures abandonnées là (ou n’importe quel objet déposé sur la chaussée, une orange par exemple) seraient attirées en sens opposé, vers le haut de la prétendue pente, par la mystérieuse "anomalie gravitationnelle". Comment expliquer alors que l’eau du niveau ne subisse pas l’effet de l’anomalie, et qu’elle ne monte pas vers le haut, comme les autres objets posés au sol ? La seule conclusion possible, c’est que Johnson n’a jamais procédé à l’expérience qu’il décrit, et qu’il a trompé ses lecteurs.

Guss Wilder, le collaborateur du Skeptical Inquirer, a tranché le débat en se rendant sur place avec son propre niveau. Il a constaté que contrairement à ce qu’on prétend, la première partie de la rue est montante, comme la deuxième, avec seulement une pente moins prononcée. De plus, les bouches d’égout n’ont pas été placées au prétendu point le plus bas, mais bien en aval. Les ingénieurs de la ville savent probablement mieux situer les montées et les descentes que les journalistes du Wall Street Journal. Comment ceux-ci font-ils pour suivre les cours de la Bourse ?

Toujours d’après le Wall Street Journal, plusieurs scientifiques - trois géologues et un psychologue - se seraient déclarés "déconcertés" par l’étrange anomalie du Spook Hill. Ouestionnés à nouveau par un collaborateur du Skeptical Inquirer, tous ces scientifiques se sont déclarés effectivement très surpris, non par le Spook Hill, mais par les propos que leur avait prêtés l’interviewer du Wall Street Journal. J.A. Kapchan, psychologue à l’université de Miami, déclara : "Sans aucune information, je suis incapable d’avancer la moindre hypothèse qui expliquerait le phénomène. En conséquence je serais enclin à croire à l’illusion d’optique. De toute façon je compte me rendre sur place bientôt..." Quant à A. Bardazzo, du département de géologie de l’université de Floride, il se borna à affirmer sèchement qu’il n’avait jamais visité cet endroit, que ses propos avaient été sortis de leur contexte par le Wall Street Journal, et qu’il souhaitait n’être plus mêlé à cette absurdité...

Où sont donc les scientifiques "déconcertés", "éberlués" par le phénomène de Spook Hill ? Peut-être se cachent-ils dans le "triangle des Bermudes", auquel le Wall Street Journal fait également référence ?