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Un relais inattendu pour les « marchands de peur »

Publié en ligne le 18 janvier 2009 - Éducation -

Nous reproduisons ici, avec l’accord de l’auteur, le courrier que Yann Kindo a adressé à la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (FCPE) de l’Ardèche, en réaction à certaines initiatives prises par cette association, initiatives ayant plus à voir avec le lobbying des marchands de peur qu’avec les besoins éducatifs et l’information scientifique.

Bonjour,

Étant enseignant, je suis évidemment intéressé par les actions des associations de parents d’élèves, et notamment de la FCPE, que je fréquente et avec qui je travaille dans le cadre de mon activité d’enseignant, mais aussi de syndicaliste. En tant qu’« ami de la maison », donc, je tiens ici à vous faire part de mon étonnement face aux initiatives publiques prises par votre section ardéchoise ces derniers temps.

Déjà, je n’ai pas très bien compris en quoi une association de parents d’élèves pouvait être amenée à co-organiser (au mois de décembre 2008) une réunion publique à Privas qui avait pour but de dénoncer les supposés dangers des ondes électromagnétiques (à ce sujet, je m’interroge aussi sur les compétences spécifiques de l’intervenante, Michèle Rivasi, dont je connais le parcours politique mais pas le parcours scientifique : est-elle une physicienne ou toxicologue spécialiste de la question ? Pour quel laboratoire travaille-t-elle ?).

Mais j’ai été surtout consterné de constater que la FCPE s’associait à l’organisation d’un débat après une projection du film de propagande pro-bio « Nos enfants nous accuseront » (dont j’ai eu l’occasion de voir la bande annonce, qui donne une idée des méthodes caricaturales de l’auteur 1, à grands renforts d’effets musicaux et de sentences alarmistes. Le compte rendu apitoyé dans Télérama m’a conforté dans cette intuition, et je suis plutôt allé voir le film de Depardon 2 sur les paysans, infiniment plus pertinent). Le thème du débat est « Pourquoi manger bio dans les cantines scolaires », et j’en déduis que la FCPE 07 souhaiterait que nous mangions bio dans les cantines, et que donc le prix du repas (y compris celui des enfants de familles modestes) devrait augmenter pour des raisons qui tiennent largement de l’ordre de la croyance plus que de la raison. Pour aller vite sur le sujet, le bio n’est pas une formule d’agriculture durable, si l’on veut bien comprendre le terme « durable » comme signifiant « qui peut nourrir les futurs 9 milliards d’habitants tout en préservant l’environnement pour les générations futures ». Le bio protège plutôt bien l’environnement (même si la mode qu’il a créée conduit sans doute en bien des endroits à des concentrations excessives de sulfate de cuivre, plus connu sous le nom de bouillie bordelaise), c’est son avantage, et il est important. Mais le bio n’a jamais fait la preuve de bénéfices quelconques ni en termes de santé publique ni en terme de goût (contrairement aux croyances de ses partisans), et surtout ses rendements sont nettement inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle, ce qui n’en fera jamais une solution pour nourrir la planète et le condamnera à toujours rester une niche (assez « écologique », il est vrai) pour occidentaux qui ont les moyens de se le payer 3.

Le programme de géographie de seconde (et le futur programme de collège, d’ailleurs) comprend justement une étude de la question : « comment nourrir les hommes ? ». Ce programme est équilibré, présente les problèmes comme ils se posent, dans leur complexité, et expose les avantages et les inconvénients des différents systèmes de culture. Or, je constate qu’en plus de cet enseignement scientifique, se développe dans nos écoles (et dans les cinémas alentours) une propagande unilatérale en faveur du bio, souvent sous la houlette d’intervenants extérieurs. En règle générale, d’un point de vue syndical et citoyen, je n’aime pas que l’école serve de terrain de propagande à des intérêts particuliers ou à des groupes de pression, aussi bien intentionnés soient-ils (je suis moi-même, comme tout un chacun, persuadé de la pureté de mes intentions et de la valeur de mes opinions… mais je ne considère pas mes élèves comme un champ que je doive labourer de ce point de vue). Les problèmes posés dans la société doivent l’être à l’école sous la forme d’enseignements scientifiques, qui peuvent (et doivent) inclure une part de débat entre élèves pour les former à la réflexion critique et argumentée, et certainement pas sous celle de préchi-précha édificatoire et lobbyiste.

Dans ce contexte, je m’inquiète donc quand un partenaire éducatif, une association de parents d’élèves, se lance dans des campagnes d’opinion relayant les dernières modes des « marchands de peur ». Surtout quand cette association croit bon de soutenir, pour promouvoir un mode de culture particulier, un débat qui inclut la participation, d’après le tract, d’un « naturopathe », c’est à dire d’un représentant d’une pseudo-médecine charlatanesque (voir le site Charlatans) .

Je m’interroge donc : quelle sera dans cette voie la prochaine étape de la FCPE 07 ? L’interdiction de l’organisation des contrôles de leçons les lendemains de pleine lune ? L’organisation des rythmes scolaires en fonction des thèmes astraux des élèves ?

Cela dit pour nourrir le débat et la réflexion, et au plaisir surtout de nous retrouver côte à côte dans les prochaines mobilisations pour la défense du service public (et laïque !) d’éducation.

Yann Kindo, professeur d’histoire géographie

2 « La vie moderne », prix Louis Delluc 2008.

3 On pourra se reporter aux articles de Léon Guéguen publiés dans Science et pseudo-sciences : « Que penser de l’agriculture biologique et des aliments Bio ? », SPS n° 276, mars 2007, « Agriculture biologique et sécurité alimentaire mondiale », SPS n° 280, janvier 2008, « Un repas Bio par semaine dans la restauration collective ? », SPS n° 283, octobre 2008. [NDLR].