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Sur les sentiers de Provence, James Randi a découvert le vrai visage de Nostradamus

Publié en ligne le 11 juillet 2004 - Astrologie -
par Igor Ziegler - SPS n° 195, janvier-février 1992

D’être harcelé par le tordeur de cuillers Uri Geller (voir notre n° 193) n’empêche pas James Randi de poursuivre son œuvre de démystification. Son nouvel ouvrage The Mask of Nostradamus est une minutieuse enquête sur le fameux prophète-astrologue et un travail d’historien qui replace le personnage dans son contexte politique et culturel.

Né en 1503 à Saint-Rémy-de-Provence, Michel de Notre-Dame, devenu médecin, consacre une partie de sa carrière à combattre la peste, qui a emporté sa première épouse et ses deux enfants. En 1550 il publie ses premiers almanachs, bientôt suivis de deux recueils de recettes pour la fabrication de cosmétiques ou de compotes. Un industriel français s’en est récemment souvenu en lançant sur le marché la « confiture Nostradamus ».

La popularité de Nostradamus s’est amorcée avec son premier recueil de quatrains, les Centuries, publié en 1555. La seconde édition, en 1558, était dédiée à Henri II, roi de France, à qui l’auteur souhaitait « une longue vie heureuse ». Las ! Le roi mourut l’année suivante. Cette malchance n’a pas découragé les fervents du prophète, ni à cette époque ni de nos jours. Ils soutiennent que Nostradamus avait prédit la fin tragique d’Henri II dans ce quatrain :

Le lyon leune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle :
Dans caige d’or les yeux lui creuera
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle

Ces quelques vers ont été l’une des bases de l’étonnante célébrité du « prophète ». Car Henri II fut tué par le comte de Montgomery, dans un tournoi de chevalerie : la lance de Montgomery se brisa et pénétra dans le crâne d’Henri II, qui succomba dix jours plus tard. Les fidèles de Nostradamus ont vu une corrélation entre cet accident et le texte obscur du quatrain. A quoi le sceptique Randi oppose ces quelques remarques :

 La différence d’âge entre les deux hommes n’était que de quelques années, ne justifiant aucunement les termes « jeune » et « vieux ». - Henri II n’est pas mort sur un champ de bataille (« bellique », du latin bellum, « guerre ») ; il a été mortellement blessé au cours d’un tournoi de chevalerie, qu’on rangerait aujourd’hui parmi les épreuves sportives, et qui se déroulait à Paris, rue Saint-Antoine.

 « caige d’or » ne correspond à rien ; les armures et les casques, même royaux, n’étaient jamais en or, métal trop mou, à la rigueur des ornements pouvaient être dorés ; les chroniques de l’époque ne parlent pas d’un oeil crevé.

 Le lion (« lyon ») n’a jamais été l’emblème des rois de France. La fleur de lis et le coq eussent été plus appropriés...

Randi rappelle que vingt ans avant ce tournoi, lors des conflits religieux qui divisaient l’Angleterre, Thomas More fut emprisonné à la Tour de Londres par Henry VIII (lequel avait pour emblème un lion) avant d’être décapité. Cet épisode aurait-il inspiré le poète provençal ?

La mort de François II en 1560 laissa le pouvoir à la régente Catherine de Médicis, prompte à encourager tous les charlatans de l’époque. En 1664 elle va voir Nostradamus et rapporte cette entrevue dans une lettre adressée au connétable : « il (Nostradamus) a promis à mon fils (Charles IX, alors âgé de 14 ans) beaucoup de bien et une vie aussi longue que la vôtre, laquelle dépassera vos quatre-vingt-dix ans. » Pas de chance pour Nostradamus : le connétable mourra trois ans plus tard, âgé de 77 ans, et Charles IX à 24 ans, en 1574.

James Randi s’est amusé à répertorier ceux qu’il appelle les « nostradamiens », c’est à dire les fanatiques du maître ou les charlatans intéressés. Dans chaque virgule des quatrains ils trouvent le moyen de lire une prophétie géniale.

Dans un ouvrage paru en 1987, Nostradamus et le millénaire, John Hogue, après avoir affirmé que les quatrains du voyant français restent encore inexpliqués, propose, pour combler cette lacune, un moyen efficace : donner un sens prophétique aux mots et aux phrases les plus clairs, et mettre à la torture les passages obscurs jusqu’à ce qu’ils avouent qu’ils sont des prédictions camouflées. Ainsi, le quatrain 96 de la dixième centurie, où il est question de religion et de secte, contient un nom mystérieux : Adaluncatif. Pour Hogue, c’est simple comme bonjour. Il suffit de supprimer l’une des lettres, le t et de placer les autres dans un ordre différent. Au premier coup d’oeil on lit le message Cadafi Luna, c’est à dire Kadhafi la Lune, c’est à dire Kadhafi du Croissant, c’est à dire Kadhafi d’Islam. On a volatilisé une lettre, on a joué au puzzle avec le reste, on a transcrit cadafi en kadhafi, et le tour est joué. Cqfd. A noter, comme le fait Randi, que le nom du leader libyen, qui s’écrit chez lui en caractères arabes, connaît au moins quatre transcriptions différentes en caractères latins ; mais nulle part on ne trouve Cadafi. Autre trouvaille sensationnelle : en triturant à sa façon les Centuries, John Hogue établit que Kepler et Newton étaient des imposteurs, c’est Nostradamus qui a découvert les orbites elliptiques et les lois de la gravitation.

Un siècle plus tôt, Charles Ward, dans Les oracles de Nostradamus, extrayait du quatrain 57 de la première centurie, qui fait référence à un tremblement de terre, la prémonition de la Révolution française et de la mort de Louis XVI. Mais un nostradamien plus récent, H.C. Robert, voit dans le même quatrain une prédiction de l’attaque de Pearl Harbor, tandis qu’un troisième interprète, Charles Cazeau, y lit l’avènement d’Hitler. Un beau cas de nostradamisme divergent ! Avec l’humour qui est une de ses armes, Randi estime que la version de Robert doit être tenue pour la plus digne de foi : car Robert lui a révélé, lors d’un débat à la radio, qu’il était, lui Robert, la réincarnation de Nostradamus.

Une étude sur les nostradamiens ne saurait oublier l’oeuvre familiale des Fontbrune père et fils, qui ont produit cinq ouvrages de 1937 à 1984. A l’aide d’une « méthode rigoureuse » de son invention, Charles de Fontbrune avance, dans Nostradamus, historien et prophète (1980), que le poète voyant avait prédit la fin du monde pour 1999. En fait, Nostradamus fixait une échéance plus éloignée : l’an 3797. Mais grâce à quelques manipulations saupoudrées de référenoes bibliques et de nombres sortis directement du néant, l’auteur rapproche suffisamment la date fatale pour garantir le succès de son livre, auprès d’une clientèle plus concernée par ce qui se passera dans vingt ans que dans plus de trois mille sept cents ans. Ce qui ne le gêne pas pour sortir effrontément en 1984 un nouveau livre Nostradamus : vers le 21e siècle.

Le Masque de Nostradamus s’achève sur une analyse serrée d’une dizaine des quatrains les plus typiques et de la façon dont ils sont traités par les nostradamiens. Le texte est parfois interprété en vieux français, mais il peut l’être aussi en grec, en latin, en provençal, selon les besoins. Des changements sémantiques sont souvent nécessaires. Le mot noir peut être pris comme tel, mais il peut aussi signifier roi, par suppression de la lettre initiale n et son remplacement par la lettre finale r. (En quelque sorte, Nostradamus aurait inventé le « verlan »). Il s’agit de faire dire aux quatrains ce qu’ils n’ont jamais dit, d’imaginer d’obscures clés placées par Nostradamus dans son texte, pour donner du travail aux « érudits » qui ne sauraient admettre que ces vers peuvent exprimer des idées simples sur des sujets ordinaires. Randi s’est particulièrement penché sur le quatrain 57 de la cinquième centurie :

Istra du Mont Gaulsier & Aventin
Qui par le trou avertira l’Armée,
Entre deux rocs sera prins le butin,
De Sext, Mausol faillir la renommée.

Les nostradamiens voient dans ces quatre lignes l’annonce de l’invention de la montgolfière et de son utilisation militaire. L’un deux, V. Ionescu, transcrit le premier vers ainsi :

Etienne de Montgaulfier Aéro-stati avus

et le traduit en français :

Etienne de Montgaulfier, ancêtre de l’aérostat

On ne peut ici que résumer l’exégèse à laquelle se livre Randi. Elle est impitoyable. Pour réaliser la première transcription, Ionescu a introduit arbitrairement six lettres qui ne figurent pas dans le texte de Nostradamus. Et il a prouvé son ignorance en prenant le s de Gaulsier pour un f : dans l’ancienne typographie, encore usitée il n’y a pas si longtemps par quelques éditeurs, cette lettre, dans le corps d’un mot, ressemblait à un f amputé de son tiret transversal ; c’est seulement à la fin d’un mot qu’on imprimait s. Etienne et Joseph de Montgolfier (non de Montgaulfier !) étaient les inventeurs (non les « ancêtres » !) de l’aérostat gonflé à l’air chaud. Qu’importe : à partir de sa belle interprétation, Ionescu nous emmène à l’utilisation du ballon à la bataille de Fleurus, au traité de Tolentino (1797) qui donna Avignon à la France, à la fin de Pie VI, etc. Quel homme ce Nostradamus, pour avoir enfermé tant de choses en si peu de mots !

Quelques visites à Saint-Rémy, où le poète provençal a passé les seize premières années de sa vie, ont convaincu Randi que le quatrain 57 ne fait allusion à rien d’autre qu’à un souvenir d’enfance. La région abrite l’ancien site romain de Glanum, près duquel se trouve un monument en ruine que l’on a longtemps considéré (à tort, d’après des fouilles récentes) comme le mausolée d’un Romain nommé Sextius. Il porte effectivement une inscription qui commence par les lettres SEX, la suite étant devenue illisible. Les gens du pays appellent ce monument « le Mausole » ; un prieuré voisin s’appelle « Saint-Paul de Mausole ». Relisons le quatrain, et revenons au récit de Randi. Parvenu au Mausole, il aperçut, dans la chaîne des Alpilles, le mont Gaussier (autrefois Gaulsier), et à côté un pic, l’ensemble étant mentionné sur la carte comme « Les Deux Rochers ». Relisez le quatrain... Mais ce n’est pas tout ! Le pic s’appelle sur la carte « Le Rocher des Deux Trous ». Randi entreprit de le gravir : « Arrivé non sans mal au sommet je compris très vite le véritable sens du quatrain. Me tenant au milieu du plus grand des deux trous, je vis en contrebas, non seulement toute la ville de Saint-Rémy-de-Provence, mais aussi le Mausole et les ruines de Glanum. Sur ma gauche un chemin menait à la route romaine venue du sud. C’était l’endroit idéal pour alerter la garnison romaine de Glanum de toute approche sur la route, en allumant un feu ou par tout autre signal. Il y a dans une enquête des moments qu’on ne peut qualifier autrement que « délicieux ». Je savais que j’étais à l’endroit même où Michel de Notre-Dame s’était souvent trouvé, et qu’il n’avait pas résisté, quelque trente-six ans plus tard, au désir d’évoquer sur le papier ses impressions d’adolescent. Et Randi de demander : « Vaut-il mieux voir dans ces vers le simple récit d’une réalité vécue, ou accepter les interprétations tordues des nostradamiens ? »

C’est là le message du « masque de Nostradamus » : le poète a étendu, avec talent et malice, un vaste écran de fumée ; ses lecteurs, par crédulité ou parce qu’ils étaient manipulés, ont créé et entretenu son mythe jusqu’à nos jours. Et James Randi ne cache pas sa sympathie pour Michel de Notre-Dame : « Il fut toute sa vie et avant tout un médecin... (...) comme tel, je reconnais sa valeur, de même que son courage et sa persévérance. C’était un homme de talent qui aurait connu le succès à toute époque. »

(The Mask of Nostradamus, by J. Randi Ed : Chartes Scribners sons. New-York)

NDLR.- Parmi nos éditeurs, si prompts à publier les élucubrations des charlatans, s’en trouvera-t-il un pour faire connaître en France ce beau livre d’un écrivain américain montrant enfin, derrière les mythes, le vrai visage d’un poète français ?