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« Rien en biologie n’a de sens, si ce n’est à la lumière de l’évolution »

Publié en ligne le 2 juillet 2007 -

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe devait discuter et voter durant sa session ouverte le 25 juin 2007 un rapport préconisant que les thèses créationnistes ou assimilables doivent rester en dehors des programmes scientifiques des établissements scolaires européens.

Le parlementaire français Guy Lengagne, mathématicien, professeur émérite des universités, rapporteur de la commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a été sollicité puis désigné pour rédiger et présenter ce rapport. Ce rapport a été adopté lors de la dernière réunion de la commission le 31 mai 2007 à Saint Petersbourg.

Le 25 juin 2007, le parlementaire belge Luc Van den Brande, diplômé en droit canon de l’Université Catholique de Louvain, ancien ministre-président de la région flamande, chef de groupe du groupe chrétien au Conseil interparlementaire consultatif de Benelux (depuis 2000), président du groupe constitué du parti populaire européen et des démocrates chrétiens à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (depuis 2005), a demandé que ce rapport ne soit pas discuté en séance plénière et soit donc renvoyé en commission : « le Conseil de l’Europe n’est pas une académie scientifique mais un organe politique. Il n’est donc pas approprié de discuter de ce sujet ici. ». Après vote, par 63 voix contre 46 et 10 absentions, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe décidait que ce rapport ne serait pas discuté.

Le créationnisme et ses avatars

Le créationnisme est l’affirmation de la vérité littérale du récit de la Génèse, commun aux trois variantes du monothéisme né sur les pourtours du bassin méditerranéen ; ces écrits relatent la création du monde par un agent surnaturel unique dénommé YHWH, Dieu ou Allah suivant que l’on se réfère à l’une ou l’autre des religions ; il se trouve au sein de chacune des familles religieuses des fidèles attachés au « littéralisme », principalement au sein du mouvement évangélique ou de l’islam.

Des adeptes de l’une ou l’autre des « religions du Livre » ont par ailleurs régulièrement mené des approches « concordistes » visant à rendre compatibles les écrits bibliques, dans leur esprit supposé si ce n’est dans leur lettre, avec la réalité de l’histoire naturelle du monde. Ce fut par exemple, au siècle dernier, la tentative du paléontologue et prêtre catholique français Teilhard de Chardin (1881-1955), initiative modérément appréciée en son temps par la hiérarchie de l’église romaine. Une version contemporaine plus largement popularisée à l’échelle planétaire est celle dite de l’Intelligent Design (ID) propulsée par le Discovery Institute de Seattle, Washington. S’inscrivant dans une perspective déjà rencontrée avec la théologie naturelle de William Paley (1743-1805) suivant laquelle il ne saurait y avoir d’horloge sans horloger, cette théorie défend que l’organisation du vivant témoigne d’une conception tout comme d’une évolution intelligentes (on parle donc d’un dessin et d’un dessein intelligents).

Pour nombre de francophones du continent européen la résurgence du créationnisme et de ses avatars est corrélée à l’activisme du mouvement évangélique nord-américain. Les mésaventures du conseil scolaire de Pittsburg en Pennsylvanie ou de Salluit dans le grand nord Québécois, tout comme l’ouverture récente de musées créationnistes à Cincinnati, Ohio ou dans l’Alberta canadien, font alors figure d’actualité insolite contribuant au portrait peu flatteur souvent dressé des états-uniens.

En réalité, même si souvent moins spectaculaire, le succès de ce regain d’activisme spiritualiste est tout aussi décelable de notre côté de l’atlantique. Ainsi par exemple, en 2004, la ministre italienne de l’enseignement suggérait d’abandonner l’apprentissage de la théorie de l’évolution dans le primaire et le secondaire. En 2005, la ministre néerlandaise de l’éducation estimait à son tour qu’il fallait mettre en débat la théorie de l’évolution et les thèses néo-créationnistes. A l’automne 2006, le vice-ministre polonais de l’éducation déclarait : « La théorie de l’évolution est un mensonge, une erreur qu’on a légalisé comme une vérité courante ».

Ainsi que l’a rappelé la controverse intervenue en octobre 2005 avec la diffusion du reportage Homo Sapiens d’inspiration néo-teilhardienne par la chaîne de télévision franco-allemande ARTE, la France laïque est peu préparée face aux intrusions spiritualistes d’allure respectable. La confusion la plus totale règne assez souvent sur les étalages des rayons « sciences » des librairies, les ouvrages de biologie y côtoyant des essais titrant sur Darwin et visant à expliquer qu’il ne s’agit pas de « choisir entre Dieu et Darwin » mais de concilier la foi et la raison, ou d’autres suggérant les réponses que l’on imagine à des questions du genre « Notre existence a-t-elle un sens ? » ; de façon compréhensible ceux qui veulent diffuser leur message idéologique ou spirituel s’adressent à des journalistes souvent peu à même de déceler les passagers clandestins au sein d’un discours à cosmétique scientifique, alors que les scientifiques se font dans le même temps peu prolixes et usent souvent d’un langage plus aride et plus difficile d’accès que le discours simpliste des propagandistes.

L’Association Française pour l’Information Scientifique

Rappelle que contrairement à ce qu’affirment les propagandistes religieux, la théorie de l’évolution n’est pas « juste une théorie » ; au contraire, comme le disait le biologiste Theodosius Dobzhansky (1900-1975) : « rien en biologie n’a de sens, si ce n’est à la lumière de l’évolution » ; c’est ce que le député Guy Lengagne mettait en lumière avec pertinence dans son rapport en abordant l’éventualité souvent évoquée de mutations du virus H5N1 de la peste aviaire ou la question de l’émergence de résistance aux antibiotiques.

Rappelle que la république française est une république laïque fondée sur la séparation des Églises et de l’État ; que la laïcité institutionnelle y garantit la liberté de conscience, autrement dit que les religions peuvent librement se développer et les points de vue librement s’exprimer ; que la laïcité scolaire y garantit que l’instruction publique, et notamment l’enseignement des sciences, sont mis à l’abri des influences de tel ou tel groupe idéologique ou religieux.

Affirme que les thèses créationnistes et leurs avatars, de même que toutes les interrogations plus ou moins spiritualistes que d’aucuns croient pouvoir développer à partir de leur propre compréhension ou incompréhension des sciences doivent rester en dehors des programmes scientifiques des établissements d’enseignement.

Affirme, avec les auteurs du rapport, que « l’enseignement de thèses alternatives en tant que sciences, ne peut donc être acceptable. Un tel enseignement représenterait en soi un danger, et ferait prendre le risque de voir se développer une multitude de thèses tout aussi absurdes les unes que les autres et ne ferait que semer le trouble chez les élèves et les étudiants ».

S’étonne que le président d’un des principaux groupes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe puisse considérer que le fait d’affirmer que des thèses créationnistes ou assimilables n’ont pas à être présentées dans le cadre des programmes scientifiques des établissements d’enseignement n’est pas une question politique mais au contraire académique, semblant suggérer ainsi que le débat scientifique ne serait pas tranché…

S’inquiète que s’est trouvée une majorité absolue de parlementaires présents pour suivre le réquisitoire contre l’examen de ce rapport durant la session parlementaire.

Se félicite que les parlementaires français présents aient voté à l’unanimité pour l’examen de ce rapport.

Se félicite que la Commission de la culture, de la science et de l’éducation, réunie à Strasbourg le 26 juin 2007 sous la présidence du parlementaire français Jacques Legendre (UMP), professeur agrégé, ait protesté « contre la procédure par laquelle l’Assemblée parlementaire a décidé le 25 juin dans des conditions confuses et vraisemblablement irrégulières  » de renvoyer en commission le rapport sur les dangers du créationnisme dans l’enseignement, et ait exprimé son soutien au rapport de Guy Lengagne (PS) – député sortant – et sa détermination à voir son rapport inscrit à la prochaine session plénière au mois d’octobre.

Invite la communauté scientifique nationale et les médias à tirer les leçons de ce revers au Conseil de l’Europe et à montrer davantage de vigilance face aux pressions spiritualistes, tout autant celles facilement identifiables des religieux les plus fondamentalistes de toutes les religions (créationnisme, dessein intelligent), que celles qui véhiculent des thèses de nature métaphysique sous une apparence plus nuancée, voire pseudo-scientifique (à l’image de la communication de celles et ceux qui gravitent autour de l’Université interdisciplinaire de Paris – UIP – ainsi que signalé dans le rapport).

L’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS), fidèle au rationalisme scientifique et à la laïcité républicaine, en conclut pour sa part à la nécessité renforcée, avec ses adhérents et à l’aide de ses médias (revue Science et pseudo-sciences, site www.pseudo-sciences.org), de contribuer à la promotion de la méthode scientifique, au développement de l’esprit critique chez les citoyens, et à la dénonciation des pseudo-sciences et croyances non fondées. Adhérente de l’Union Internationale Humaniste et Laïque (IHEU/UIHL), organisation internationale non gouvernementale ayant statut participatif auprès du Conseil de l’Europe, l’AFIS tiendra toute sa place au sein de la délégation auprès du Conseil de l’Europe pour permettre à l’IHEU de porter ce message dans la conférence des OING. L’AFIS œuvrera enfin au développement de la coopération scientifique au sein de l’Union Internationale Humaniste et Laïque.

Paris, le 30 juin 2007


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