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Résistance aux antibiotiques : où en sommes-nous ?

Publié en ligne le 21 janvier 2019 - Antibiotiques -
Jean-Paul Krivine - SPS n°325, juillet / septembre 2018

SPS : Faut-il s’alarmer du développement de bactéries multi-résistantes ?

France Roblot : Il faut d’abord rappeler que la résistance bactérienne est un phénomène inéluctable. Une bactérie peut être naturellement résistante à certains antibiotiques ou peut acquérir cette résistance sous la pression d’antibiotiques (prise d’antibiotiques, antibiotiques présents dans l’alimentation, dans l’environnement, etc.). C’est celle-ci qui se développe et contre laquelle on peut et il faut agir. Cette résistance survient sous la contrainte, c’est-à-dire que chaque fois que l’on prescrit des antibiotiques, les bactéries qui auront acquis un mécanisme de résistance pourront se multiplier.

Cela fait bien longtemps que les professionnels s’inquiètent et tirent la sonnette d’alarme. Il ne s’agit pas de faire du catastrophisme mais vraiment de prendre conscience du fait que le risque n’est pas pour demain, mais bien réel dès aujourd’hui.

L’enquête réalisée par Santé publique France est édifiante. Le nombre d’infections à bactéries multi-résistantes (BMR) survenant chaque année en France est estimé à environ 158 000 (127 000 à 245 000), dont près de 16 000 infections invasives qui figurent parmi les plus graves. Le nombre annuel de décès directement attribués à ces infections est estimé à 12 500 (11 500 à 17 500). Le risque est de se trouver en situation d’impasse thérapeutique pour certains patients, et c’est déjà une réalité dans certains cas. Mais le risque est aussi (et c’est en même temps la situation la plus fréquente) de se retrouver face à des patients présentant des infections simples comme des infections urinaires, qu’il faut hospitaliser en raison du profil de résistance de la bactérie qui nécessite des antibiotiques disponibles uniquement à l’hôpital !

Jean Geoffroy (1853-1924), Le jour de la visite à l’hôpital


Est-ce plutôt un souci pour les malades hospitalisés et déjà fragilisés ?

On a trop souvent fait un parallèle entre bactéries résistantes et infections nosocomiales. Certes, les infections dues à des souches de staphylocoques résistantes à la méticilline (SARM) sont plus fréquentes chez les patients hospitalisés ou lors des infections liées aux soins. Cependant, les infections dues à certains types de bactéries résistantes (les bacilles dits à Gram négatif qui sont aujourd’hui les plus fréquentes des bactéries résistantes responsables d’infections) s’observent actuellement en milieu communautaire (hors établissements de soin). Ces infections sont dues à des bactéries sélectionnées dans la flore des patients (ce qu’on appelle le microbiote). En particulier, les infections urinaires dues à des entérobactéries résistantes font partie du quotidien en milieu hospitalier mais également pour les médecins généralistes. En pratique, des personnes n’ayant aucune fragilité particulière mais ayant reçu des antibiotiques ou ayant voyagé dans des régions où les bactéries résistantes sont répandues dans l’environnement peuvent être porteuses de ces bactéries dans leur tube digestif et présenter des infections dues à ces bactéries.

Actuellement, ce serait une erreur de croire que les infections dues à des bactéries résistantes sont uniquement des infections nosocomiales ou survenant chez des sujets particulièrement fragiles.

Le cadre industriel pour la mise au point de nouvelles molécules est-il adapté ?

Le problème est très complexe. Les règles de la recherche et du développement sont parfois mal adaptées pour les antibiotiques. Les prix de vente sont également inadaptés. En pratique, pour lutter contre certaines bactéries, on demande aux industriels de se lancer dans de la recherche et du développement de molécules qui vont être utilisées dans des situations de « niche écologique », c’est-à-dire pour des indications ciblées et limitées et dont la « durée de vie » risque d’être également limitée puisque l’on sait que les bactéries peuvent, à terme, développer des mécanismes de résistance. Le modèle économique n’est donc pas attractif pour les antibiotiques, mais également pour tous les produits innovants qui peuvent participer à la lutte contre l’antibiorésistance. Des propositions ont été faites en 2015 par le groupe de travail qui s’est intéressé à cet aspect dans le rapport coordonné par le Dr Jean Carlet aboutissant à la mise en œuvre d’une feuille de route gouvernementale (voir encadré).

Par ailleurs, il y a un énorme problème de « timing ». Ces dernières années, on a assisté à la mise sur le marché de molécules ayant une activité vis-à-vis des souches de staphylocoques résistantes à la méticilline alors que ces souches, même si elles existent toujours, sont de moins en moins fréquentes et posent de moins en moins de problèmes en pratique. Mais, entre le début de la recherche de ces molécules et leur mise à disposition, il s’écoule environ 8 à 10 ans et, entre-temps, l’épidémiologie des bactéries a évolué !

La feuille de route gouvernementale (2016)

La feuille de route a été annoncée en novembre 2016. Elle comprend 40 actions réparties en 13 mesures phares, visant à diminuer la consommation d’antibiotiques de 25 % d’ici 2018 et à réduire les conséquences sanitaires et environnementales de l’antibiorésistance.

  • Sensibilisation et communication auprès du grand public et des professionnels de santé : lancement d’un programme de sensibilisation à la prévention de l’antibiorésistance. L’accent sera notamment porté sur l’éducation pour la santé des jeunes et l’information des propriétaires d’animaux.
  • Formation des professionnels de santé et bon usage des antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire : amélioration de la formation des professionnels de santé au bon usage des anti-infectieux ; renforcement de l’encadrement de la prescription des antibiotiques ; modification des conditionnements de ces médicaments afin d’insérer un message de mise en garde et de mieux les adapter aux durées de traitement ; développement des mesures de prévention, en particulier la vaccination.
  • Recherche et innovation en matière de maîtrise de l’antibiorésistance : développement de nouvelles stratégies thérapeutiques ; renforcement de la coordination des financements publics et des projets ; mise en œuvre d’une politique proactive de partenariats public-privé et d’accompagnement de l’innovation ; mise en place d’un comité technique de l’antibiorésistance afin de valoriser les nouvelles technologies, de préserver les anciennes, et d’améliorer leur mise à disposition des professionnels de médecine humaine et vétérinaire.
  • Mesurer et surveiller l’antibiorésistance : renforcement des réseaux de surveillance, notamment sur la présence de résidus dans l’environnement, pour contribuer à développer de nouveaux indicateurs communs au niveau national et européen ; création d’un réseau de surveillance en s’appuyant sur des structures françaises existantes, en collaboration avec l’OMS et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), afin de conforter le rôle moteur de la France dans la maîtrise de l’antibiorésistance.

Source : « Maîtrise de l’antibiorésistance : lancement d’un programme interministériel », 17 novembre 2016.

Sur le site du ministère de la Santé et des Solidarités

Plus généralement, quel regard portez-vous sur les plans d’actions mis en œuvre ?

Les plans sont ambitieux et pleins de bonnes idées, mais force est de constater qu’à ce jour, ils n’ont pas eu l’efficacité attendue. En 2002, la campagne « Les antibiotiques c’est pas automatique » a été un vrai succès et a permis une avancée formidable pour faire baisser le nombre de prescriptions, en particulier en ville. Mais on voit bien que l’effet s’est atténué et que le nombre de prescriptions repart à la hausse. Il y a toujours le problème des moyens. La recherche doit bien évidemment être soutenue et encouragée. On sait aussi que le conseil en antibiothérapie est essentiel. Des outils électroniques tels qu’Antibioclic (site Internet d’aide à la décision thérapeutique en antibiothérapie à usage des professionnels de santé) ou l’E-POPI (ressource Internet réalisé par le Collège des universitaires des maladies infectieuses et tropicales) ont été développés et doivent être soutenus. Les moyens humains sont aussi indispensables. Le nombre de spécialistes nécessaires a été évalué en France dans le rapport Carlet. La mise en œuvre ne suit pas ! Pourtant, lorsqu’on a voulu lutter contre les infections liées aux soins et la transmission des souches de staphylocoques résistants dans nos hôpitaux, on a créé des équipes en hygiène hospitalière qui ont prouvé leur efficacité !

Existe-t-il à court ou moyen terme des solutions alternatives aux antibiotiques ?

L’objectif essentiel, à l’heure actuelle, est de limiter l’usage des antibiotiques aux seules indications pour lesquelles ils sont nécessaires et utiles. L’effort en médecine humaine doit porter en priorité sur la médecine de ville puisque c’est là que se font 90 % des prescriptions. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire à l’hôpital, bien au contraire, mais l’un ne va pas sans l’autre.

Le développement d’outils de diagnostic rapide qui soient facilement utilisables par les médecins généralistes est essentiel. En période épidémique, si un médecin sait de façon « immédiate » qu’un patient fébrile est atteint de grippe, il sera plus serein pour ne pas lui prescrire d’antibiotiques (une grippe est une infection provoquée par un virus et, sans surinfection constatée, les antibiotiques ne sont d’aucune utilité). Ces outils devraient être développés pour aider le praticien dans sa décision.

La vaccination et les mesures d’hygiène sont les deux autres pivots de la lutte contre l’antibiorésistance et le mésusage des antibiotiques. Des mesures importantes ont été prises pour la vaccination des enfants, il va falloir se poser la question de la vaccination des adultes. Le développement du carnet de vaccination électronique est également un outil important. Il permet aux patients et aux praticiens de connaître le statut vaccinal des patients.

La mise à disposition d’ordonnances de « non-prescription » a également été proposée pour aider les praticiens dans leur choix thérapeutique (voir encadré).

Le développement de molécules nouvelles telles que certains anticorps monoclonaux, l’utilisation de phages ou la transplantation de microbiote fécal dans certaines indications sont également des pistes qui sont actuellement en cours d’évaluation. Enfin, ne perdons pas de vue le fait que la résistance bactérienne dépasse largement le problème des prescriptions chez l’Homme et que les mesures qui ont été mises en place dans le domaine de l’agroalimentaire et de l’environnement doivent être poursuivies et coordonnées avec celles mises en place en médecine humaine.

Propos recueillis par Jean-Paul Krivine
(14 mai 2018)

L’ordonnance de non-prescription : ne rien prescrire, ce n’est pas ne rien faire

« L’ordonnance de non-prescription » (qui existe au Royaume-Uni), peut […] correspondre à une fiche d’information, sous forme de cahier d’ordonnance ou sur logiciel, expliquant pourquoi le professionnel ne prescrit pas d’antibiotique, le diagnostic, les symptômes attendus et leurs durées habituelles et les signes évoquant des complications et nécessitant une réévaluation médicale. En gardant l’ordonnance mais en l’utilisant comme support de conseils, son rôle symbolique et relationnel est maintenu. Elle peut, sous cet aspect, être une solution alternative à l’ordonnance de médicaments. [Par ailleurs], l’écrit est le moyen de lutter contre l’oubli à l’issue de la consultation […]. En effet, des études montrent que seul 15 % des patients affirment avoir tout compris des propos du médecin. La déperdition est en effet très forte : 40 à 80 % des éléments de la discussion sont immédiatement oubliés par le patient et la moitié de l’information retenue est erronée. Cet aspect rejoint la vision de l’ordonnance comme une prolongation de la consultation au domicile du patient ».

Un exemple d’ordonnance sans prescription au Royaume-Uni.


Extrait de : Marianne Dumas, « L’ordonnance : représentations des médecins généralistes. Étude qualitative par entretiens collectifs de 17 médecins généralistes de Rhône-Alpes ». Thèse de docteur en médecine, Lyon, 20 mars 2017.