Accueil / Dialogue avec nos lecteurs / Réchauffement climatique : dialogue avec Sylvestre Huet

Réchauffement climatique : dialogue avec Sylvestre Huet

Publié en ligne le 1er juillet 2011 - Climat -
Sylvestre Huet est journaliste spécialisé en sciences depuis 1986 et travaille à Libération depuis 1995.

Quelques remarques factuelles

Les articles que vous avez publiés dans la revue de l’AFIS et sur votre site Internet mériteraient une critique détaillée, mais je n’ai pas le temps de le faire. J’avoue simplement la déception qu’inspire un traitement aussi médiocre du sujet. Voici donc seulement quelques remarques factuelles sur l’article mis en ligne « les courbes de la discorde », par Michel Naud.

 « La référence faite par Claude Allègre aux travaux du paléoclimatologue suédois Håkan Grudd tient une place centrale ». C’est faux. Cet épisode tient en cinq pages sur un livre de 186 pages, il n’est donc pas central. Enlevez-le du livre et la démonstration n’est pas modifiée. Les courbes falsifiées par Allègre sont nombreuses, on en trouve aussi quatre page 79 de son livre ; il reproduit p 109 les fausses courbes de Vincent Courtillot (températures régionales présentée mensongèrement comme globales, la courbe de la partie UV du spectre solaire présentée comme celle de son éclairement total).

 « Les améliorations apportées par Grudd à notre connaissance de l’évolution des températures pour ces deux derniers siècles heurtent de plein fouet la communication réalisée par certains « prophètes de l’apocalypse ». Oublions les prophètes de l’apocalypse, ils n’ont rien à faire dans ce débat, concentrons nous sur la science. Hakan Grudd contredit-il celle qui est résumée dans le dernier rapport du Giec ? C’est faux, je vous mets au défi de citer une telle conclusion générale dans les articles de Hakan Grudd. Je vous suggère de lire son article - co-signé par Keith Briffa - dans les Philosophical transactions of the Royal society B of London - on y relève cette phrase : « ces résultats indiquent que la magnitude du réchauffement médiéval au nord-ouest de l’Eurasie ne rejoint pas celui des temps récents. » En outre, Grudd n’a jamais écrit que ses résultats locaux invalident les reconstructions de températures globales, il a même protesté contre cette utilisation qu’en fait Claude Allègre. Pour votre information, je vous signale que la bonne référence sur ce sujet ne date pas de la fameuse courbe de Mann publiée en... 1998, mais de novembre 2009, dans Science. Avoir une bibliographie à jour est un minimum pour une discussion scientifique sérieuse. Sur le fond, il est désormais établi, par une demi-douzaine de publications parues depuis 1998, que les épisodes « chaud » et « froid » de l’optimum médiéval et du petit âge de glace européens sont nettement moins marqués à l’échelle planétaire et que la paléoclimatologie a été trompée par des observations européo-centrées, les seules disponibles en 1990.

 Votre présentation de la falsification opérée par Claude Allègre est la suivante : « reproduit la courbe de Grudd « à main levée », puis « l’actualise » de son propre fait en faisant figurer l’abaissement de température mesuré ces dix dernières années, qu’il justifie par une deuxième courbe également publiée p. 48, et enfin la prolonge en faisant figurer un abaissement anticipé pour les années suivantes. » Ce dernier point est une invention de votre part. À aucun moment, ni dans le texte ni dans le graphique, Allègre ne justifie son prolongement. Il est évident que l’opération de raccordement entre les deux courbes de la page 48 est impossible pour un scientifique sérieux puisque la courbe du bas de la page est globale et non locale. Vous parlez de dix ans ? Mais c’est impossible puisque la courbe de Grudd va jusqu’à 2004, plus dix cela ferait 2014 ! En realité, le graphique est tellement trafiqué que l’échelle de temps n’est plus respectée après 2000, mais cette erreur de collégien semble vous échapper. Vous refusez d’admettre un fait simple : toute la période après 1900 (et non seulement 2004) est lourdement falsifiée par Allègre. Vous parlez de « main légère »... c’est vraiment bien léger comme vocabulaire pour qualifier un acte - la fabrication de fausses données - qui constitue la fraude majeure en science.

 Vous semblez croire que l’attribution à l’intensification de l’effet de serre des évolutions climatiques depuis 1950 repose sur la courbe de Mann et la simple corrélation entre courbes de la concentration en CO2 et températures. C’est une erreur grave de votre part. Ce n’est pas ainsi que les études d’attribution sont conduites. Elles se basent sur la réalisation de simulations d’ensemble qui diffèrent par la combinaison des forçages appliqués. Ces études numériques montrent que sans la contribution anthropique à l’intensification de l’effet de serre il n’y aurait pas eu le réchauffement mesuré ces 40 dernières années.

Votre volonté manifeste de minimiser les fautes, mensonges, calomnies et falsifications dont Claude Allègre s’est rendu coupable est étrange. Aucune de ces fautes intellectuelles et morales, dénoncées par un texte signé par plus de 600 scientifiques spécialistes du climat et non seulement par quelques journalistes, ne peut être rachetée ou minimisée par d’autres propos de l’ancien ministre sur l’usage des technologies, le progrès scientifique et son lien avec le progrès social.

Enfin, je vous suggère de publier l’intégralité du courrier de Hakan Grudd, de signaler à vos lecteurs que cette falsification a été dénoncée par Science... et qu’à la suite Allègre, dans la dernière édition de son livre à corrigé la courbe et son intitulé. Du coup, c’est le comique de l’affaire, comme il n’a pas changé son texte, son raisonnement faux appuyé sur un graphique mensonger est aujourd’hui accolé à un graphique vrai... qui dit autre chose.

Cordialement et avec mes encouragements pour le combat rationaliste de l’AFIS,

Sylvestre Huet

Réponse à Sylvestre Huet

Merci de nous avoir lus avec attention, d’avoir pris le temps de nous écrire, et de vos encouragements. Nos lecteurs auront trouvé dans votre message les éléments factuels ainsi que les appréciations que vous nous avez communiqués.
Notre réponse portera sur 3 points.
 La question de la place centrale des courbes de la discorde (Grudd) : on peut bien sûr discuter à l’infini sur cette centralité. Bien évidemment, notre propos ne visait ni la position de ces passages dans le livre ni une quelconque quantification en nombre de pages. Il s’agit d’une double appréciation ; pour Claude Allègre son interprétation de ces travaux de Grudd est au coeur de sa double récusation : les températures ne sont pas exceptionnelles, la double courbe en crosse de Hockey est fausse ; pour vous-même, c’est à partir de la réponse que vous a formulée Grudd que les « débogages » publiés sur votre blog ont réellement pris la tournure d’un procès en falsification.
 Les « mensonges » de Claude Allègre (auxquels nous pouvons ajouter ceux que vous prêtez à Vincent Courtillot dans le message que vous nous adressez) : un mensonge est une affirmation contraire à la vérité dans l’intention de tromper (source : http://www.cnrtl.fr/definition/mensonge).
Il est une chose d’établir que les courbes représentées sont contraires à la vérité, voire même de porter le jugement que le fait d’extrapoler de la sorte les courbes de Grudd est contraire à l’éthique scientifique, mais il en est une autre d’établir que l’intention de Claude Allègre (ou de Vincent Courtillot pour les courbes de températures que vous évoquez) est de tromper. Il s’agit d’un procès d’intention que vous me permettrez de considérer comme n’étant pas significativement différent, dans sa nature, des procès d’intention auxquels se livre Claude Allègre dans son ouvrage, et que nous dénonçons. Au-delà de ce jugement, il nous paraît évident que ce n’est pas en mobilisant la science que vous démontrerez un mensonge éventuel, pour la simple raison qu’il y a un changement d’ordre (pour établir l’intention de tromper)...
 La complaisance « étrange » à l’égard de Claude Allègre dont nous témoignerions : non, nous ne « diabolisons » (Satan est le père du mensonge) pas Claude Allègre. Là encore, nous ne confondons pas les ordres, en tout cas pas de façon intentionnelle. Nous pouvons même affirmer que notre intention est clairement de ne pas les confondre : science, morale, politique sont des ordres distincts. Il ne nous paraît pas étrange, quand il s’agit de réaliser une lecture critique d’un livre politique (car tel est-il), de replacer cette lecture dans la perspective politique de l’ancien ministre que vous rappelez fort à propos. L’auteur de la recension, partageant très largement cette posture « progressiste » n’exclut pas que cette proximité peut induire des biais interprétatifs (qui ne seraient pas, pour autant, intentionnels). Il est vrai que dès qu’il s’agit de discuter sur le « cas » Allègre, l’engagement passionnel prend trop souvent la place de l’évaluation rationnelle de ses positions. Pour notre part, nous avons essayé de rester rationnels.

Michel Naud