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Malaise à la ferme

Publié en ligne le 22 octobre 2020
Malaise à la ferme
Enquête sur l’agribashing

Eddy Fougier
Éditions Marie B, 2020, 160 pages, 16 €

Eddy Fougier, politologue, enseignant et consultant, est un spécialiste reconnu des mouvements contestataires. Dans ce livre, il fait un tour d’horizon de l’« agribashing » tel qu’il est vécu actuellement par l’agriculture française. Après avoir proposé une définition, il en donne les principales manifestations, tente d’expliquer ce phénomène et propose des solutions pour en sortir.

Tout d’abord qu’est-ce que l’agribashing ? Ce terme commence à se généraliser en 2018. Alors que la popularité des agriculteurs a toujours été très forte dans la population française, pour l’auteur, « l’agribashing correspond à une critique par des acteurs publics d’un certain nombre de pratiques agricoles qui est assez systématique, radicale, totalement biaisée, irresponsable, qui avance masquée, cherche à exploiter les peurs, disqualifie d’emblée tout point de vue contradictoire et peut inciter à un passage à l’acte (actes malveillants), ainsi qu’à divers actes malveillants dont les agriculteurs peuvent être les victimes et à une critique assez systématique des activités agricoles par des voisins d’exploitation ».

Ce mouvement a pris de telles proportions que le gouvernement a créé en 2019 la cellule Déméter dédiée à la lutte contre l’agribashing.

Si les agriculteurs sont toujours très populaires, quelles sont alors les causes de cette montée d’agribashing ? Pour E. Fougier, elles sont multiples et constituent des « chocs » pour les agriculteurs. Il identifie plusieurs causes majeures pouvant l’expliquer :

  1. l’évolution de la critique de l’agriculture conventionnelle (productivisme agricole, usage des pesticides, élevage), critique qui s’intensifie et se radicalise ces dernières années avec des messages souvent très anxiogènes ;
  2. l’intérêt des médias généralistes et des réseaux sociaux pour l’agriculture, avec un traitement à charge et souvent biaisé de l’agriculture conventionnelle – médias qui se font souvent les relais d’ONG radicales et militantes (exemple de Génération futures et de l’émission Cash investigation du 2 février 2016 « Produits chimiques : nos enfants en danger ») – ;
  3. une « désacceptation » sociale et territoriale de certaines pratiques agricoles, comme l’usage de pesticides et l’élevage en batterie par exemple, qui étaient jusqu’à présent perçus comme légitimes ; on passe dès lors d’un « permis social » à un « contrôle social », et les agriculteurs se sentent observés, jugés par une société civile de plus en plus attentive à leurs pratiques ;
  4. enfin, le passage aux actes malveillants (violences verbales voire physiques).

De plus, les agriculteurs ne se sentent plus soutenus par le pouvoir politique en place. Cela est dû à trois évolutions fondamentales : la diminution des effectifs des agriculteurs, qui ne sont plus une force politique, le déclin de la droite traditionnelle qui était le soutien du monde agricole et enfin la fin de la « cogestion » de l’agriculture française par l’alliance de la FNSEA et de la droite néogaulliste.

Il en ressort alors une fracture entre le monde agricole et la société, entre agriculteurs et citadins néoruraux, les premiers se sentant de plus en plus isolés, les seconds ayant une image de plus en plus fantasmée de la campagne, de l’agriculture et de l’élevage. Fracture également géographique et générationnelle. Finalement, la société ne s’est pas rendu compte de l’évolution du monde agricole, et les paysans sont maintenant des chefs d’entreprise avec les contraintes qui en découlent.

Un autre aspect de la défiance de la société envers l’agriculture décrit par l’auteur est lié au système alimentaire. De la fourche à la fourchette, interviennent nombre d’intermédiaires (industrie agroalimentaire, grande distribution, échanges internationaux…). Une partie des Français veut une nourriture saine, sans pesticides, qui semble bien loin de ce que l’agriculture productiviste peut leur offrir. Impression renforcée par certaines « crises » alimentaires (vache folle, lasagnes au cheval, œufs contaminés au fipronil…) mises en exergue par les médias, alors que globalement l’alimentation en France n’a jamais été aussi sûre. Elle serait même le second pays le plus sûr au monde après le Japon.

Malgré cette défiance et ce contexte général d’agribashing, l’auteur met en avant des initiatives permettant de rapprocher le consommateur de l’agriculteur. Du côté des consommateurs, leur souhait d’une alimentation « responsable », prenant en compte le niveau de rémunération de l’agriculteur ; ce souhait est également suivi par l’industrie agro-alimentaire (par exemple en 2019 comme en témoigne le « Manifeste Origine » signé par plus de 50 acteurs de la filière alimentaire appelant à plus de transparence dans la totalité des grandes enseignes). Et du côté des agriculteurs, un certain nombre d’actions tendent également à montrer le souhait de se rapprocher du consommateur : circuits courts, ventes directes, portes ouvertes.

Pour conclure, E. Fougier nous donne des pistes pour un rapprochement société-agriculteurs : les actions en cours de chaque partie doivent être consolidées et pérennisées. Le monde agricole doit s’appuyer sur ses « fondamentaux » : son image, la qualité de la production française... Il doit également redonner la priorité au fact-checking et à la revalorisation de la science comme par exemple le site decodagri 1, premier site de fact-checking entièrement dédié à l’agriculture. L’information sur le métier par une communication positive est également nécessaire dans les médias généralistes et les réseaux sociaux, comme par exemple FranceAgriTwittos 2.

Ce livre est bien structuré, agréable à lire et s’adresse à un public large s’intéressant à l’agriculture et ses évolutions actuelles.

1 www.decodagri.fr, site animé par la presse agricole, les fact-checkers étant des journalistes du groupe France agricole, de CIP média, de Média Data services et des spécialistes de Datagri, une société d’étude spécialisée dans l’agriculture.

2 Association crée en 2017 et qui se définit comme « une association apolitique et asyndicale dont l’ambition est de réunir agriculteurs et para-agricoles pour mutualiser leur forces et connaissances afin de communiquer de manière positive sur l’agriculture grâce à twitter » (http://franceagritwittos.com/).