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Lutte biologique - La guerre des insectes

Publié en ligne le 4 juin 2006 -

Les amateurs de sports se rappellent ce match des Blue Jays de Toronto interrompu par un déferlement de pucerons sur le Sky Dome, à l’été 2003. Et cette année-là, les pucerons du soja, une espèce inconnue au Québec, ont colonisé tous les champs de la province. Or, pour se débarrasser de cet envahisseur de manière bio, sans recourir aux pesticides, il faut... importer des parasites d’Asie !

« Le Québec compte 170 00 hectares de production de soja : ils étaient tous infectés par ces intrus asiatiques. Nous avons compté jusqu’à 8000 individus sur une seule plante », se rappelle Jacques Brodeur, le titulaire de la nouvelle Chaire de recherche en biocontrôle, lancée en octobre 2005 à Montréal. Implantée au Jardin Botanique, au sein de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) de l’Université de Montréal, elle est associée aux activités de recherche et de développement du Réseau Biocontrôle, un réseau du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.

Le puceron du soja est également vecteur de maladies virales. La production québécoise de soja, jusqu’alors exempte de pesticide - une qualité appréciée par les importateurs asiatiques - risque donc d’être compromise. Les prédateurs - comme les coccinelles - se sont regroupés de manière naturelle dans les champs infestés, mais en nombre insuffisant. C’est pourquoi on a décidé de recourir à l’importation de parasites asiatiques. « Ils sont actuellement en quarantaine, nous espérons procéder à leur lâchage dans les champs l’été prochain », explique cet expert des interactions entre les plantes, les insectes et les pathogènes, dans le contexte de la lutte biologique.

Combattre le feu par le feu

La lutte biologique, c’est un peu comme combattre le feu par le feu : on utilise la nature pour lutter contre ses méfaits. Cela va des recettes de grand-mère jusqu’à une technologie très sophistiquée : sélection de cultivars résistants, luttes mécaniques, aménagement de l’environnement et lutte biologique proprement dite, c’est-à-dire l’utilisation d’organismes vivants, ou de produits dérivés, pour combattre les parasites et les divers organismes nuisibles. « Il y a autant de définitions que de chercheurs en lutte biologique », confie Jacques Brodeur.

Les infestations peuvent être aussi bien dans les serres maraîchères que les champs ou les plantations forestières. Mais les défenseurs de la lutte biologique ont tous un point commun : il ne s’agit pas d’éradiquer mais de maintenir la population des ravageurs sous un certain seuil.

C’est depuis la Seconde guerre mondiale que les pesticides se sont répandus dans les champs. Bien qu’efficaces, ils présentent de nombreux problèmes : résidus nuisibles pour la santé et l’environnement, élimination des « bons » insectes en même temps que des parasites... La lutte biologique est donc née de ce besoin de développer des alternatives efficaces et économiques.

« La vedette est sans aucun doute le Bacillus thuringiensis (Bt), le célèbre Bt 1, qui représente aujourd’hui 40 % du marché, soit 120 millions de dollars US par an. Mais en matière de lutte biologique, l’avancée est du côté des insectes », soutient l’entomologiste Jacques Brodeur. Il rapporte le cas de la culture en serre où les agriculteurs ont le choix entre 23 espèces dont six familles d’insectes prédateurs, quatre de parasitoïdes et deux d’acariens. Les plus connues sont de petites guêpes - Aphelinus, Encarsias et Diglyphus - qui s’attaquent aux pucerons, mouches blanches et mouches mineuses des tomates de serre.

Pas étonnant alors, d’apprendre que c’est toute l’industrie dite de biocontrôle qui est en pleine croissance. Dans les années 70, seulement deux agents étaient commercialisés - dont le Bt - aujourd’hui, on en compte plus de 210.

Pourtant, cette alternative reste mal connue. Un sondage sur la perception du biocontrôle, réalisé par le Réseau biocontrôle à l’hiver 2005 auprès de 1000 Canadiens, montre que, si un citoyen sur deux s’estime convenablement informé (49 %), l’autre moitié se méfie des résidus que ces microbes pourraient laisser sur les légumes. Et 87,6 % désirent un étiquetage obligatoire de ces produits.
Cette nouvelle Chaire du Canada sera dotée d’un budget de près de 1,9 million $ pour sept ans (2005-2012), financé en bonne partie par les deux gouvernements. Trois objectifs : développer les bases théoriques de la lutte biologique, former des spécialistes et promouvoir la lutte biologique auprès des agriculteurs, des décideurs et de la population.

Pour en savoir plus :

Institut de recherche en biologie végétale (IRBV)
Réseau Biocontrôle
Lire notamment « Dossiers Biocontrôle », le bulletin canadien de l’écogestion des insectes, des mauvaises herbes et des maladies des plantes.
La Coalition pour les Alternatives aux Pesticides

1 Le biopesticide le plus connu, le Bacillus thuringiensis (Bt) règne depuis près de 80 ans sur la lutte biologique. Il se positionne aussi dans le virage génétique. « Le Bt est l’agent le plus ancien et le plus utilisé. Il combine les avantages du chimique et du biologique : épandage, activité rapide, coût faible et production facile. C’est une histoire à succès depuis 1930, qui se poursuit encore aujourd’hui » affirme Roger Frutos, agronome du CIRAD.

Et depuis près de 30 ans, les chercheurs identifient différentes souches actives (HD1, israelensis, Bi-Tenebrionis, etc.). Il a été employé avec succès, en 1980, dans le programme de lutte contre les chenilles ou les moustiques en Afrique. Son second grand succès est lié aux biotechnologies : il a été inséré dans la première plante transgénique en 1985. Le Bt est aujourd’hui inséré couramment dans quatre plantes - soja, maïs, coton et colza - formant 55 % du total des OGM cultivés dans le monde.


Mots-clés : Écologie


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