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Dossier • Les intoxications alimentaires

Les plantes génétiquement modifiées, l’alimentation et la santé

Publié en ligne le 21 mars 2018 - Alimentation -

De nombreux débats ont eu lieu sur les effets de l’alimentation utilisant des plantes transgéniques (OGM) sur la santé des consommateurs. L’opinion publique se révèle inquiète. Une étude de l’IFOP de 2012 relève que 79 % des Français se déclarent « inquiets » ou « plutôt inquiets » de la présence d’OGM dans l’alimentation. Ils ne sont que 9 % à se dire « pas inquiets » ou « plutôt pas inquiets ». Mais quelle est la réalité scientifique des impacts des OGM alimentaires sur la santé ? Deux aspects sont à considérer : les OGM ont-ils un effet négatif sur la santé ou, a contrario, les OGM peuvent-ils avoir un effet positif ?

Les OGM ont-ils un effet négatif sur la santé ?

Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet, de nombreuses études ont été publiées et il n’est pas possible ici d’entrer dans les détails. L’on peut se reporter, entre autres, au document « Évaluation de la sécurité sanitaire des OGM » de Gérard Pascal [1], directeur de recherche honoraire de l’Inra et expert auprès de la Commission européenne et de l’OMS. Les conclusions de ce document sont les suivantes : « Aucune publication dont le protocole et/ou les résultats sont reconnus par la communauté scientifique n’a pu apporter la preuve d’un risque avéré des PGM [plantes génétiquement modifiées] objets d’un dépôt de dossier de demande d’autorisation de culture ou de mise sur le marché. Les évaluations réalisées permettent de conclure que ces PGM ne posent pas plus de problèmes sanitaires que les aliments courants auxquels on peut les comparer ».

Les instances d’évaluation d’un grand nombre de pays, aussi différents que la Nouvelle-Zélande, la Commission européenne, le Japon, le Canada, les États-Unis, pour n’en citer que quelques-uns, vont toutes dans le même sens.

Les principaux produits utilisés directement en alimentation humaine sont le maïs, en particulier en tant qu’aliments de base en Afrique du Sud et aux Philippines, sous forme de corn flakes, très consommés aux États-Unis, et le maïs doux.

Parmi les produits dérivés, on peut noter, entre autres, la lécithine de soja, les huiles de colza, soja et coton, la fécule et les sirops de glucose de maïs. Des légumes ou des fruits comme la courgette et la papaye sont également consommés.

Aucun cas d’intoxication avéré lié à la consommation directe de ces PGM n’a été signalé au cours de ces vingt dernières années.

Une étude épidémiologique a été effectuée sur un cas suspect connu sous le nom StarLinkTM. Il s’agit d’un maïs transformé pour résister à un insecte par introduction d’un gène codant la protéine Cry9c qui avait été autorisé pour l’alimentation animale, mais accidentellement utilisé en alimentation humaine. Dès que l’information a été connue, plusieurs personnes se sont plaintes de maladies liées à l’ingestion d’aliments qui auraient pu être à base de ce maïs. La Food and Drug Administration américaine a aussitôt diligenté une lourde étude épidémiologique, effectuée par le Centre de contrôle des maladies (CDC). Ses conclusions [2] ont montré que le sérum des personnes ayant déclaré des symptômes ne contenait pas d’anticorps correspondant à la protéine incriminée et que le maïs StarLinkTM n’était donc pas en cause. Il s’agissait, en fait, d’un effet nocebo.

Une autre approche est relative à l’alimentation animale. Un très grand nombre d’élevages de poulets, de porcs et de bovins dans différents pays du monde utilisent des aliments à base de PGM durant toute la vie de l’animal. Il n’a pas été constaté d’accidents sanitaires sur les animaux ni de problèmes particuliers sur leur descendance.

Par ailleurs, certains éleveurs sont demandeurs de maïs transgéniques car ils ont constaté un meilleur état de leur élevage avec ces produits [3]. Cela est vraisemblablement dû à des avantages sanitaires procurés par des maïs modifiés pour résister à la pyrale ou à la sésamie qui ont des taux de fumonisine (une mycotoxine cancérigène) nettement plus faibles que les variétés identiques non modifiées. De très nombreux résultats ont été publiés à ce sujet, en particulier aux États-Unis. Des résultats identiques ont été obtenus en France [4], mais les expérimentations n’ont pas pu être poursuivies du fait de l’interdiction rapide de la culture. Des résultats récents ont été obtenus en Espagne [5].

Deux affaires relatives à la sécurité sanitaire des aliments transgéniques ont défrayé la chronique à quinze ans d’intervalle. Il s’agit des publications d’A. Pusztai en 1998 sur l’effet toxique du génie génétique et de G.E. Séralini en 2012 affirmant qu’un maïs résistant au glyphosate induisait des tumeurs. Ces deux cas présentent le même profil : publication dans la presse grand public avant que la publication dans des revues spécialisées ne permette aux confrères d’analyser les résultats. Dans les deux cas, les instances scientifiques internationales ont constaté que les dispositifs expérimentaux ne permettaient pas de tirer la moindre conclusion (voir par exemple [6,7]).

Les OGM peuvent-ils avoir des effets positifs sur la santé ?

Trois approches techniques différentes peuvent être mise en œuvre : la suppression d’éléments défavorables à la santé, la modification de certains composants et particulièrement les acides gras, l’augmentation de la teneur en éléments favorables, dite biofortification.

La suppression d’éléments défavorables à la santé

Les plantes contiennent souvent des éléments défavorables à la santé et les travaux pour les éliminer sont anciens et bien antérieurs au génie génétique. Un cas typique, datant d’avant la transgénèse, est celui du développement au Canada d’un colza à faible teneur en acide érucique. En effet des travaux sur le rat montraient des anomalies de fonctionnement du cœur dues à cet acide et des extrapolations à l’homme avaient été faites. Les travaux d’amélioration des plantes ont permis de faire passer le taux d’acide érucique dans le colza d’environ 45 % à moins de 2 %. Aujourd’hui, sauf pour production industrielle spécifique, tous les colzas cultivés en France sont à faible teneur en acide érucique. Il est probable que la culture du colza aurait cessé en France sans cette modification [8].

En 2014, l’USDA (le ministère américain de l’agriculture) a autorisé la culture d’une pomme de terre OGM produisant moins d’acrylamide, une substance toxique qui se forme durant la cuisson à haute température (réaction de Maillard). Cette pomme de terre dénommée Innate a été obtenue par l’inhibition de gènes précurseurs de l’asparagine qui est à l’origine de l’acrylamide lors de la montée en température. Au dire de la société obtentrice, Simplot, elle n’est destinée qu’à des marchés locaux et a été cultivée sur quelques centaines d’hectares.

Des travaux récents ont par ailleurs montré la possibilité de réduire, par génie génétique, la quantité d’arsenic dans les grains de riz [9]. Les teneurs en arsenic du riz ne posent pas en général de sérieux risques pour la santé, sauf dans quelques États des États-Unis où des limites ont été fixées pour les aliments pour bébés. De même, dans les pays asiatiques où la consommation journalière de riz est élevée, les quantités d’arsenic ingérées peuvent être supérieures aux normes de sécurité sanitaire.

Enfin la transgénèse permet aussi de modifier la structure des protéines allergènes. Plusieurs programmes de recherche sont en cours, dont ceux de l’université de Washington qui a publié des résultats prometteurs en 2012 [10]. Actuellement, sur le même sujet, un important projet financé par la Kansas Wheat Commission est en cours à l’entreprise Engrain.

La modification quantitative et qualitative des acides gras

Cette modification a été l’une des premières applications de la transgénèse et, dès 1996, l’entreprise Calgène a commercialisé un colza riche en acide laurique à des fins d’utilisation en cosmétique. Cependant la concurrence avec l’huile de coco n’a pas permis de développer le marché. De nombreux essais ont été effectués depuis lors. Aujourd’hui, plusieurs entreprises et organismes publics de recherche développent des colzas et des sojas permettant d’enrichir la ration alimentaire en acides gras oméga-3, soit directement, en faisant produire à la plante de l’acide eicosapentaenoïque (EPA) ou de l’acide docosahexanoïque (DHA), soit indirectement, en lui faisant produire un précurseur 1 de l’EPA, l’acide stéaridonique (SDA). Une étude en double aveugle a montré que l’ingestion d’huile de soja enrichie en SDA provoquait une augmentation du niveau d’EPA dans les globules rouges [11]. L’huile de soja enrichie en SDA a été commercialisée en 2013 en Amérique du Nord par Monsanto et DSM Nutritional Products. L’huile de soja représentant 30 % de l’huile consommée dans le monde, cette innovation pourrait présenter un grand intérêt pour la santé humaine. Une autre approche est un soja avec un niveau d’acides gras mono-insaturés similaire à celui de l’huile d’olive. En juin 2010, la FDA a annoncé l’autorisation de mise en marché de ce soja riche en acide oléique, qui a été commercialisé en 2013 par Dupont et Perdue Agribusiness.

La biofortification

La troisième voie par laquelle la génétique peut avoir un effet important sur l’aspect santé des aliments est la biofortification, c’est-à-dire l’enrichissement des produits végétaux en vitamines et minéraux. La déficience en ces éléments dans de nombreux aliments de base, surtout dans les pays en développement, provoque souvent des maladies et est la cause de nombreux décès.

L’exemple emblématique est le riz doré, un riz enrichi par transgénèse en béta-carotène (provitamine A). La carence en provitamine A, en particulier, cause de graves dommages de santé dans de nombreux pays asiatiques, notamment sur la vision. Ce riz est toujours en attente de mise sur le marché du fait de l’opposition d’organisations non gouvernementales (voir l’encadré sur le riz doré). En 2007, un riz a été enrichi en acide folique afin de réduire les risques de malformation du tube neuronal chez le fœtus [12]. Enfin, tout récemment, une nouvelle variété de riz avec des niveaux élevés en zinc et en fer en plus de la production de béta-carotène a été développée [13].

Plusieurs programmes de biofortification en vitamine A, en vitamine C et en acide folique sont en cours sur le maïs, soit par des méthodes de sélection assistée par marqueur, soit par transgénèse.

Conclusion

Il n’y a pas aujourd’hui de cas avéré de toxicité alimentaire dû aux OGM autorisés à la mise en culture. D’autre part, la transgénèse permet, dans certains cas, d’améliorer la qualité des aliments. Cependant, dans ce dernier cas, les mouvements anti-OGM en limitent le développement bien qu’il n’y ait aucun danger alimentaire avéré.

Le riz doré

Le riz doré est un riz qui a été génétiquement modifié pour produire et accumuler du β-carotène dans la partie comestible de son grain. Cela donne au grain une couleur dorée, à l’opposé du blanc pour le riz usuel, qui, lui n’a aucun caroténoïde. Lorsque ce riz est consommé, le β-carotène est stocké dans les tissus adipeux du corps ou transformé en vitamine A.

Plusieurs caroténoïdes permettent au corps de synthétiser la vitamine A, mais le β-carotène est le plus commun et le plus important. Le riz est la nourriture de base pour des centaines de millions de personnes dans les pays en développement. Avec l’aide du riz doré, il est possible de contribuer à une réduction des problèmes de santé chroniques causés par la carence en vitamine. Cette carence est connue pour être une cause de cécité, mais aussi pour exacerber la vulnérabilité aux infections comme le SIDA, la rougeole et différentes maladies infantiles. Cette carence entraîne une mortalité accrue, tout particulièrement chez les enfants. L’OMS estime que, dans le monde, 250 millions d’enfants de moins de 5 ans ont une carence chronique en vitamine A. La Banque mondiale estime que cette carence représente un quart du coût des maladies liées à la malnutrition.

Le riz doré seul n’a pas la prétention de résoudre toutes les carences en vitamine A, mais son utilisation pourrait diminuer significativement le syndrome de carence chronique. Le riz représente jusqu’à 80 % de l’apport énergétique quotidien pour plus de 3 milliards de personnes ! Beaucoup de gens ne mangent pas grand-chose d’autre que du riz. D’autres problèmes tels que la pauvreté, le manque d’infrastructures et le manque d’éducation doivent également être traités par les gouvernements et les législateurs simultanément. Le riz doré ne vient pas en substitution des efforts existants contre les carences alimentaires, mais peut les compléter dans un avenir proche. Il peut également leur permettre de devenir plus durables, tout particulièrement dans les zones rurales éloignées.

Les licences d’utilisation de la technologie sont libres de droits et autorisent modifications, améliorations et croisements à partir des lignées données. Les conditions d’utilisation pour les fermiers sont libres de droits jusqu’à un niveau de revenu de moins de 10 000 dollars annuels (soit 99 % de la communauté agricole cible).

Le riz doré est maintenant la propriété du Golden Rice Humanitarian Board, un partenariat public-privé de gouvernance de la technologie, ayant pour mission d’assurer le déploiement et le développement du riz doré en lien avec des organisations locales et des institutions de recherches nationales.

En 2013, des essais en champ visant à confirmer que le riz doré ne pose pas de problème particulier en termes d’impacts environnementaux ont été arrachés aux Philippines par un groupe appelé « Sikwal-Gmo » qui proclame vouloir combattre les multinationales de l’agroalimentaire, estimant que les OGM sont des poisons et ne sont pas une solution pour leur pays (l’un de ceux touchés par la carence de vitamine A). Cette association ne fait que relayer la position de Greenpeace International qui, encore récemment (octobre 2013), a réaffirmé son opposition résolue à la mise au point du riz doré [1].


1 | www.greenpeace.org/international/en/campaigns/agriculture/problem/Greenpeace-and-Golden-Rice/ (indisponible — Oct 2021)
Extraits du dossier sur le riz doré. SPS n° 307, janvier 2014.

Références

1 | Pascal G, « Evaluation de la sécurité sanitaire des OGM », Bio8100, Techniques de l’ingénieur, 2008.
2 | “Investigation of human health effects associated with potential exposure to genetically modification corn”. Center for Disease Control and Prevention, 2001.
3 | Chupeau Y et Pagesse P, Communications lors du colloque de l’association Ecologie d’avenir, 9 décembre 2001.
4 | Folcher L et al., “Lower mycotoxin levels in Bt maize grain”, Agron Sust Dev, 2010, 30:711-9.
5 | Lopez A et al., “Noves varietats de blat de moro per agra”, Dossier Tecnic DAAM, 2013, 60:3-15.
6 | Ammann K, « L’insoutenable légèreté du demi-savoir », SPS n° 272, avril 2006.
7 | de Pracontal M, « Le paradoxe Séralini », SPS n° 303, janvier 2013.
8 | Doré C, Varoquaux F, coord., Histoire et amélioration de cinquante plantes cultivées, Quae, Collection Savoir-faire, 2006, p. 263.
9 | Song W-Y et al., “A rice ABC transporter reduces arsenic accumulation in the grain”, PNAS, 2014, 111:15699-15704.
10 | Wen S et al., “Structural genes of wheat and barley 5-methylcytosineDNA glucosilase and their application for human health”, PNAS, 2012, 109:20543-8.
11 | Lemke SL et al., “Dietary intake of stearidonic acid-enriched soyabean oil increases the omega-3 index”. The American journal of clinical nutrition, 2010, 92:766-775.
12 | Storozhenco S et al., “Folate fortification of rice by metabolic engineering”. Nat Biotechnol, 2007, 25:1277-9.
13 | Singh SP, Gruissem W, Bhullar NK, “Single genetic locus improvement of iron, zinc and β-carotene content in rice grains”. Scientific Reports, published online 31 July 2017.

1 Un précurseur est un composé chimique précédant un autre dans le processus de métabolisation.

Publié dans le n° 322 de la revue


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L' auteur

Bernard Le Buanec

Membre de l’Académie d’agriculture de France et de l’Académie des technologies, Bernard Le Buanec a été directeur (...)

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