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Les gènes de la schizophrénie

Publié en ligne le 4 juin 2015 - Cerveau et cognition -
Adolf Wölfli (1864-1930).
A. Wölfli a été interné pour schizophrénie à l’âge de 31 ans.

Une grande étude génétique parue fin juillet dans la revue Nature [1] annonce le repérage de 108 gènes associés à la schizophrénie – dont 83 non connus auparavant. Bien sûr, tous ces gènes sont présents chez chacun d’entre nous, mais ils existent sous différentes formes dans la population, et certains variants augmentent le risque de schizophrénie. Il s’agit là de données très solides, obtenues en étudiant près de 37 000 patients et plus de 110 000 témoins, avec la technique appelée GWAS (Genome-Wide Association Study) qui, on l’a vu ces dernières années, donne des résultats fiables et reproductibles. À cette occasion, bien des médias semblent découvrir que la génétique joue un rôle important dans cette affection (Europe 1 : « La schizophrénie serait liée à des variations génétiques »), fait pourtant prouvé par de multiples études depuis plus de cinquante ans. Il faut dire que l’antipsychiatrie et Family life 1 sont passés par là, alors même que l’« héritabilité » de la schizophrénie (sa «  part génétique   ») est aujourd’hui évaluée à plus de 80%... [2]

Que nous apprend donc ce travail ? Que la schizophrénie (maladie mentale se manifestant notamment par la déconnexion du réel) est une affection très fortement multigénique : le risque conféré par chaque variant défavorable est très faible, et c’est seulement la réunion, chez la même personne, d’une constellation de tels variants qui la rend fortement susceptible de se manifester. Au total, plusieurs centaines de gènes sont sans doute impliqués. Parmi ceux qui ont été repérés dans cette étude figurent certains qui interviennent dans le métabolisme du neuro-transmetteur appelé dopamine (ce qui est cohérent avec les données cliniques actuelles), mais aussi plusieurs gènes impliqués dans les fonctions immunitaires, ce qui suggère de nouvelles pistes de recherche. De fait, ce travail ne va pas aboutir à l’identification du « gène de la schizophrénie » (puisqu’il y en a des centaines), ni à un diagnostic par analyse d’ADN vu la complexité de la situation. Son intérêt principal est de fournir des pistes pour la compréhension des mécanismes aboutissant à cette affection, ce qui aura certainement – mais à long terme – des retombées thérapeutiques importantes.

Références

1 | L’article discuté dans cette brève : “Biological insights from 108 schizophrenia-associated genetic loci.” ; Schizophrenia Working Group of the Psychiatric Genomics Consortium. Nature. 2014 ; 511 : 421-7.
2 | Une méta-analyse des travaux sur l’héritabilité de la schizophrénie : “Schizophrenia as a complex trait : evidence from a meta-analysis of twin studies”. Sullivan PF, Kendler KS, Neale MC. Arch Gen Psychiatry. 2003 ; 60 : 1187-

1 Film de Ken Loach (1971) montrant comment une jeune femme est rendue schizophrène par son environnement familial, social et médical, et contestant donc les bases organiques de cette affection.

Publié dans le n° 310 de la revue


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L' auteur

Bertrand Jordan

Biologiste moléculaire et directeur de recherche émérite au CNRS. Auteur de nombreux articles et d’une douzaine (...)

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