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Le piano sans pianiste

Publié en ligne le 23 juin 2006 -
par Mélody Enguix

Quelque part à Montréal, un piano joue sans qu’aucune main n’effleure les touches. Celles-ci s’activent pour faire naître une mélodie dont les nuances sont telles qu’un véritable interprète semble à l’œuvre.

Pourtant, vous n’êtes pas dans une nouvelle d’Edgar Poe, mais dans un laboratoire du BRAMS (Brain, Music and Sound), un groupe de recherche de l’Université de Montréal sur la musique : la magie n’est que de la technologie de pointe. Son but : percer les mystères de l’interprétation.

Ordinateur vs musicien

Un ordinateur va jouer une partition à la perfection... ce qui est parfaitement ennuyeux à écouter. Le musicien, lui, introduit tout au long du morceau d’infimes variations qui donnent vie à la partition.

Au piano, cette interprétation porte principalement sur le rythme et les nuances. Les notes seront jouées avec un léger décalage temporel par rapport à la partition. Le piano permet aussi de jouer une note plus ou moins fort, le musicien pouvant alors interpréter à sa façon les indications de la partition. Un saxophoniste peut aller encore plus loin, en jouant sur le timbre, explique Douglas Eck, chercheur au BRAMS. Autrement dit, au saxo, un do n’est jamais parfaitement un do et l’interprète peut utiliser cette variabilité. C’est ce qui rend, aux yeux du chercheur, le piano « plus simple à étudier car l’interprétation a peu de variables. »

On sait bien peu de choses de l’interprétation. « Les régularités les plus frappantes, comme le fait de ralentir à la fin d’une phrase musicale, sont aujourd’hui connues, mais on a atteint la limite de ce qu’on pouvait apprendre avec les méthodes actuelles. » D’où ce nouveau piano.

Lorsqu’un pianiste joue dessus, des capteurs sur les touches et les marteaux qui frappent les cordes enregistrent avec une grande précision (au millième de seconde près) le moment où une note est jouée et la force de la frappe. Toutes ces informations sont numérisées. L’instrument peut ensuite recréer l’interprétation dans ses moindres détails, grâce à de petits moteurs situés sur les touches. Le piano est un Bösendorfer, une très grande marque autrichienne. « L’instrument est magnifique, admire Douglas Eck, c’est le moyen le plus efficace d’attirer les meilleurs interprètes. »

Jeu vidéo

Comprendre les ressorts de l’interprétation et en particulier de l’interprétation de qualité a aussi une application directe : la musique générée par ordinateur. « On ne cherche pas à remplacer les pianistes, mais l’industrie du jeu vidéo essaie depuis longtemps de produire un générateur de musique, qui s’adapte au fur et à mesure du déroulement du jeu, rapide quand le joueur court, inquiétante quand il est en danger... Or, pour créer une musique intéressante, il faut s’inspirer de l’interprétation humaine. »

Douglas Eck espère isoler, par un travail statistique, un ensemble de régularités de l’interprétation et les traduire par des algorithmes pour ordinateur. Un travail qui relève de « l’apprentissage automatique ». « L’apprentissage automatique est une branche de l’intelligence artificielle. Il s’agit de créer des logiciels qui ont un comportement intelligent. La meilleure façon d’apprendre, c’est celle de l’enfant : voir beaucoup d’exemples et avoir un comportement flexible qui s’en inspire. » C’est ce que fait le piano qui, à partir de dix interprétations de musiciens, peut créer une onzième interprétation qui s’inspire de toutes, sans les copier. C’est ce que pourrait faire un générateur de musique dans un jeu vidéo à l’avenir.

Musique et informatique, le cocktail idéal pour Douglas Eck : après cinq ans comme programmeur informatique, à la suite d’études en intelligence artificielle et sciences cognitives, il s’ennuyait. Il a alors voulu mettre ses connaissances en informatique au service de sa passion, la musique. Ce qu’il fait désormais au BRAMS, un centre ouvert en juin 2005 pour rassembler les chercheurs qui, dans leurs domaines respectifs, peuvent aider à mieux comprendre la musique. La modélisation informatique y côtoie les neurosciences ou les sciences cognitives. Que se passe-t-il dans le cerveau quand on joue ou quand on écoute de la musique ? D’où vient l’habileté musicale ? Qu’est-ce que l’oreille absolue ? La musique reste pleine de mystères à explorer.


Mots-clés : Physique


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