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Le monde végétal s’ouvre aux biotechnologies

Publié en ligne le 5 novembre 2008 - OGM et biotechnologies -
Compte rendu de Louis-Marie Houdebine et Yvette Dattée

À l’initiative de l’Académie des Sciences française, un colloque sur les biotechnologies végétales s’est tenu les 15 et 16 septembre 2008. Ce colloque avait pour but de faire le point sur les diverses avancées dans les domaines fondamental, méthodologique et appliqué. La première journée était consacrée aux génomes des plantes, à leur diversité, aux méthodes de culture et aux aspects économiques tandis que la deuxième journée était focalisée sur les OGM.

La présentation initiale de Michel Caboche a rappelé les enjeux des biotechnologies végétales pour la France et pour le monde et résumé le contenu des différentes sessions du colloque.

Structure et évolution des génomes (O. Jaillon et O. Panaud)

Le séquençage complet ou partiel d’un nombre croissant de génomes permet de tirer quelques conclusions générales sur leur évolution. Il apparaît que la duplication des génomes dans les phases précoces du développement sont des phénomènes relativement fréquents chez les plantes et ces évènements ont des conséquences diverses. La taille des génomes vont de 110 Mb (mégabases) chez Arabidopsis à 2500 Mb chez le maïs en passant par 450 Mb chez le riz et 1500 Mb chez le blé. Ces valeurs ne sont pas constantes à l’intérieur d’une même espèce. Le génome du riz peut ainsi contenir de 340 à 1700 Mb selon les variétés.

Ces différences sont dues à des duplications de génomes suivies d’une perte progressive, partielle ou presque totale de l’un des génomes. L’élimination des gènes que cela implique semble se faire de manière aléatoire avec toutefois un maintien préférentiel des gènes codant pour des protéines qui, pour agir, sont associées à d’autres protéines cellulaires qui, elles, sont conservées. L’élimination des gènes ne se fait pas en privilégiant un génome plutôt que l’autre. La structure et la disposition des gènes de régions entières des chromosomes restent non modifiées, ce qui suggère que ce sont des blocs de gènes qui sont éliminés et non des gènes un par un. La duplication des génomes est un puissant générateur de biodiversité.

Ces phénomènes se rencontrent chez les animaux les moins évolués mais pas chez les mammifères. Il est admis que 1 % des embryons de mammifères ont des génomes dupliqués qui ne se retrouvent pas chez les fœtus car ils ne sont pas viables. Ces espèces sont très sensibles aux modifications de ploïdie (nombre d’exemplaires des chromosomes dans une cellule).

L’existence des transposons et, en particulier, des rétrotransposons joue un rôle important dans l’évolution des génomes des plantes. Les transposons sont des courtes séquences d’ADN capables de se répliquer et de s’intégrer en copie dans un autre site du génome. Le génome du riz peut ainsi contenir des transposons qui représentent 25 % de son génome, soit la taille totale du génome d’Arabidopsis. Ils sont souvent mutagènes mais plus généralement interfèrent avec le fonctionnement des gènes dans lesquels ou au voisinage desquels ils se sont intégrés. Les transposons participent donc à la création de biodiversité. Les transposons sont capables, dans une certaine mesure, de se transférer de manière horizontale, y compris d’une espèce à une autre. Ce transfert ne semble pas emprunter des mécanismes de type infectieux mais sont victimes plutôt de stress qui endommagent les cellules qui deviennent capables de laisser s’échapper et de capter des particules contenant des transposons. Ces phénomènes pourraient être plus fréquents que ce que l’on imaginait.

Plantes et biodiversité (P. Taberlet, J.-Y. Lallemand, C. Boucher, G. Felton et E. Tabacchi)

Les plantes sauvages évoluent en fonction du changement de climat en cours. Les plantes sont adaptées à des changements de climat qui ont eu lieu au cours des âges. En règle générale, les activités humaines ont plus d’impact sur les modifications de la biodiversité des plantes que les modifications du climat. À l’intérieur de l’Europe, 1350 plantes sont suivies pour évaluer l’impact du changement de climat. Des migrations de plantes vers le nord sont observées. Elles passent par la dissémination naturelle des graines. Il n’y a aucune raison de considérer que le changement de climat actuel ne va que dans le sens d’une diminution de la biodiversité. Certaines plantes sont défavorisées en un lieu donné par le changement de climat quand d’autres au contraire sont favorisées. Il reste que la disparition accidentelle d’une espèce est plus rapide que l’émergence d’une nouvelle espèce. En règle générale, les changements environnementaux y compris climatiques ne s’accompagnent pas d’une apparition ou d’une disparition d’espèces mais plutôt d’un changement de proportion des plantes préexistantes.

J.-Y. Lallemand a dressé un inventaire des différents groupes de molécules que l’on trouve dans les plantes. Ces molécules qui sont souvent impliquées dans l’adaptation ou la défense des plantes contre leur milieu, sont des sources potentielles pour la création de nouveaux médicaments ou plus simplement peuvent être des points de départ pour la synthèse de molécules complexes.

Les pertes des récoltes dans le monde représentent 41 % des productions. Cela provient en partie du fait que les plantes ont perdu des caractères de résistance naturelle au cours de leur domestication. Les plantes ont développé des mécanismes sophistiqués et très variés pour lutter contre les agressions du milieu ou d’organismes pathogènes. La paroi cellulosique des plantes constitue une barrière efficace contre les pathogènes mais vulnérable à l’attaque des insectes. Ceux-ci sont très présents en nombre et très divers. Il est admis qu’il existe actuellement 6 à 10 millions d’espèces d’insectes. Bon nombre de molécules du métabolisme secondaire sont des toxines prévenant les attaques de divers prédateurs. Certains mécanismes de défense sont induits par les prédateurs eux-mêmes, ce qui évite à la plante de devoir supporter le fardeau d’une synthèse de molécules utiles seulement au moment où elle doit se défendre contre une agression par son environnement. De leur côté, certains pathogènes comme les bactéries entrent en contact intime avec la plante et y instillent des substances qui atténuent les défenses de la plante. Certaines chenilles sécrètent dans leur salive des substances qui détruisent la nicotine des plantes, qui est toxique pour ces larves. Certaines plantes perçoivent les pas des chenilles qui s’apprêtent à les croquer et cela induit un mécanisme de défense de manière anticipée. La connaissance approfondie de ces mécanismes permet en principe de sélectionner des lignées de plantes particulièrement aptes à se défendre et potentiellement d’engendrer des plantes génétiquement modifiées pour posséder ces défenses.

L’implantation de plantes exogènes dans un lieu donné a commencé probablement avec l’invention de l’agriculture. L’exploration des différents continents par les européens à partir du XVIe siècle a été à l’origine d’un transfert sans précédent d’espèces à de longues distances. L’alimentation des européens s’en est retrouvée améliorée. Le transfert d’espèces étrangères s’accompagne de scénarios divers. Certaines plantes comme le maïs rencontrent des succès agronomiques sans implantation dans les espaces non agricoles. Parmi les plantes transplantées qui se naturalisent, une majeure partie trouve sa place sans nécessairement éliminer des plantes autochtones. Certaines plantes apportent de la diversité en s’hybridant avec des homologues sauvages. Le colza sur ce point se croise effectivement parfois avec des plantes sauvages mais l’hybride ne vit que médiocrement en dehors des champs. Il doit logiquement en être de même avec le colza génétiquement modifié. Le scénario peut être différent si l’hybride a un avantage sélectif comme la résistance à des maladies ou une tolérance à des herbicides.

L’impact des plantes nouvellement implantées dans un lieu donné est souvent complexe et difficilement prévisible Le cas de la caulerpe est intéressant dans la mesure où cette algue marine sortie par erreur des aquariums de Monaco s’est implantée et largement disséminée en éliminant les algues endogènes et la faune qu’elles abritaient. Après des décennies, il apparaît que la dissémination de la caulerpe s’est ralentie et, semble-t-il, ne menace pas de dégrader la flore et la faune de l’ensemble de la Méditerranée. Les forces vitales naturelles avec leur capacité à l’adaptation ont repris leur droit. Les espaces peuplées de caulerpe ne sont plus des déserts animaux. Divers espèces marines s’y sont implantées créant un nouvel ensemble pas moins riche que celui d’origine.

Certaines plantes qui se sont avérées capables de dénitrifier leur espace environnant agissent en sécrétant des sucres qui nourrissent des bactéries qui elles dénitrifient les sols et les eaux. La baie du Mont Saint-Michel est envahie par des plantes qui progressent à certains endroits à la vitesse de 500 mètres par an. Cette invasion est due aux nitrates apportés par l’agriculture et elle profite de la présence d’une autre plante qui agit en synergie avec l’espèce envahisseuse.

Domestication et amélioration des plantes (M Morgante, A. Bendhamane, A.Reddy)

La domestication d’une plante est possible à la suite de mutations qui sont pour la plupart inconnues. L’émergence de gènes ayant des effets positifs sur la production peut s’accompagner de la perte d’autres gènes indispensables pour que la plante puisse se reproduire à l’état sauvage ou qu’elle soit résistante à certaines maladies. Dans le premier cas la plante dépend totalement de l’assistance de l’homme pour sa reproduction et elle ne peut plus se disséminer spontanément. Dans le deuxième cas, la plante domestiquée doit bénéficier de traitements pour pouvoir se développer sans pâtir de maladies.

Le maïs a été domestiqué il y a -10000 à -6000 ans au Mexique. Il semble que cet événement ait été unique car il correspond à une mutation d’un gène du téosinte, l’ancêtre sauvage du maïs. Il s’agit du gène tB1, dont la mutation a transformé le téosinte qui est une plante ramifiée, en maïs qui a moins de branches et des épis plus gros contenant un nombre de grains beaucoup plus élevé. La mutation se situe à 90kb en amont du gène et elle pourrait donc toucher un élément régulateur clef du gène. Environ 70 % de la biodiversité du téosinte se retrouve dans le maïs. Les deux plantes peuvent se croiser mais avec une efficacité limitée. Le maïs des origines était blanc, comme celui qui est utilisé pour l’alimentation humaine. La couleur jaune n’est apparue qu’au début du XXe siècle. Cette couleur est due à la présence de caroténoïdes et elle est due à l’existence d’un allèle du gène Y1 qui a entraîné avec lui une vingtaine de gènes. Les génomes des variétés de maïs étudiées présentent des différences très importantes de taille. On y trouve des régions bien conservées chez toutes les lignées, elles constituent le cœur du génome de maïs. Les différentes variétés sont en cours de caractérisation en comparant entre autres leurs SNP (single Nucleotide polymorphism : mutation d’une seule base en un site donné de l’ADN entre individus d’une même espèce) et la présence de transposons qui ont dû participer et participent encore aux mutations du génome de maïs. Les différents allèles des gènes de maïs semblent avoir été engendrés par des recombinaisons homologues entre chromosomes. Les différents allèles sont parfois situés dans un environnement chromatinien qui leur est propre. Il est vraisemblable que ces différences de localisation modulent l’expression des allèles.

L’orge est la 5e céréale cultivée dans le monde. Cette plante est diploïde et autogame. La diversité génétique de cette espèce est riche et elle est de plus en plus étudiée au niveau génomique via le séquençage et la localisation de SNP. Des variétés d’orge ayant des floraisons à des moments différents sont disponibles. Elles permettent un contrôle aisé de la pureté des lignées.

Un des moyens de créer puis d’identifier de nouveaux allèles potentiellement intéressants pour les productions végétales est le tilling (targeting induced local lesions in genomes). Cette méthode comprend les étapes suivantes : mutation chimique aléatoire des génomes par l’EMS (sulphonate d’éthylméthane), l’amplification des génomes par PCR, l’hybridation croisée des produits d’amplification provenant de diverses variétés, digestion des hybrides d’ADN par des enzymes (Cel-1 et de plus en plus endo-1 qui est plus spécifique des régions mésappariées) qui reconnaissent les régions mésappariées de l’ADN, l’identification des régions mutées des génomes ayant formé des mésappariements et recherche des relations entre les mutations de l’ADN et les propriétés phénotypiques des plantes. Cette approche systématique a permis d’identifier un certains nombre d’allèles intéressants de gènes comme ceux responsables de la synthèse de caroténoïdes, de flavonoïdes et de lycopène chez la tomate.

Les productions végétales (B. Le Buanec, N. Bustin, J.P. Décor)

Le marché mondial des semences est de 36 500 millions de dollars (M$), dont 6.9 M$ pour les OGM. Ce marché est d’importance moyenne en comparaison de beaucoup d’autres. L’importance régionale de ce marché en ordre décroissant est le suivant : Asie, USA, EU, Amérique du Sud, Afrique et autres pays. Depuis quelques années, la concentration des semenciers va croissant dans le monde.

Les tests de sécurité pour la mise sur le marché d’un nouvel OGM prennent dix ans et ils coûtent 7-10 M$. Le renforcement des tests de sécurité favorise les grosses entreprises car elles ont des budgets suffisants pour faire face au coût de la réglementation, aux dépens des petites entreprises qui ne peuvent pas engager de tels investissements.

La pureté des semences conventionnelles est de 98-99 %. La protection juridique des variétés classiques se fait par l’intermédiaire du COV (certificat d’obtention végétale) qui assure un retour financier au semencier et la liberté pour l’agriculteur de disposer librement de la variété. Les OGM peuvent bénéficier en plus de brevets qui ne portent pas sur la plante entière, tout au moins dans l’UE, mais seulement sur les gènes et sur les méthodes permettant d’obtenir de nouvelles lignées. Un gène ne peut être breveté en soi mais seulement son utilisation précise à des fins appliquées. Un gène, en réalité un fragment d’ADN, n’est pas brevetable s’il n’est pas actif, donc transcrit, dans l’organisme où il a été introduit. Les brevets supposent la publication de leur contenu qui peut-être exploité par chacun mais qui implique une redevance pour l’inventeur. À l’inverse, l’absence de brevet contraint l’inventeur à ne plus inventer ou à garder cachées ses inventions, ce qui constitue un retard dans la diffusion de la connaissance et une moindre possibilité de contrôle par la société.

L’utilisation des pesticides peut se diviser en plusieurs périodes historiques. La période 1830-1950 a vu l’utilisation des pesticides commencer à devenir une réalité économique puis à augmenter ensuite considérablement. Les années 1950 à 1980 se caractérisent par une prise de conscience de la toxicité des certains pesticides et l’établissement des réglementations conduisant à n’autoriser l’utilisation d’un pesticide qu’à des concentrations 1 000 à 10 000 fois inférieures à celles qui sont toxiques. Entre 1980 et 2000, de nouvelles molécules moins toxiques ont commencé à être proposées et avec elles des méthodes pour les utiliser à minima en tenant compte des conditions de culture.

La mise au point et la validation d’une nouvelle molécule pesticide, notamment en ce qui concerne sa toxicité, demande 10 ans et coûte 200-250 M$. Les critères d’innocuité sont de plus en plus sévères.

Le désherbage est indispensable si l’on veut réduire les compétitions entre les plantes cultivées et les mauvaises herbes, qui sont, par ailleurs, des refuges pour des insectes nuisibles à l’origine de maladies et parfois la source de substances toxiques. Des stratégies variées de plus en plus sophistiquées et prenant en compte la vie de la plante mais aussi celle de la flore et de la faune environnante sont mises en œuvre. Cela peut conduire à identifier des mécanismes clefs dans la chaîne des événements qui mènent à la maladie et ainsi à réduire les épandages de pesticides.

La lutte chimique contre les champignons est encore plus difficile que la lutte contre les insectes. Des combinaisons de molécules fongicides et de bonnes pratiques de culture sont de plus en plus recherchées pour obtenir les meilleurs effets avec le minimum d’effets secondaires indésirables.

La lutte chimique contre les virus se réduit le plus souvent à la lutte contre les insectes qui permettent aux virus de pénétrer dans les plantes. La surexpression de gènes de protéines virales ou d’ARN interférents dirigés contre des gènes des virus est parfois très efficace et elle implique d’obtenir des OGM contenant ces gènes.

L’objectif donné, suite au Grenelle de l’environnement, qui est de réduire de 50 % l’usage des pesticides en quelques années seulement, parait peu réaliste.

Apports des OGM (M. Van Montagu, X.Y. Chen, D. Gonsalves, L. Herrera-Estrella, A. Kinney, M. Fellous)

Les techniques de transgenèse chez les plantes s’enrichissent avec l’utilisation de nanoparticules transporteuses de gènes par projection des particules à travers la paroi cellulosique des plantes (biolistique).

Les possibilités offertes par les OGM paraissent très variées et seulement quelques pistes ont été explorées. L’utilisation de toxines dirigées contre des ravageurs des plantes paraît particulièrement prometteuse. Le succès rencontré par les toxines Bt est de bon augure pour l’avenir. Il est particulièrement intéressant de constater qu’après plus de 10 ans, les pyrales résistantes aux toxines Bt ne se sont pas développées dans les champs de maïs Bt. C’est au contraire dans les espaces où les spores de la bactérie Bacillus thurengiensis sont utilisés comme agents de lutte biologique que des pyrales résistantes sont apparues.

Les réglementations concernant les OGM dans l’UE sont cohérentes et très protectrices mais sans doute quelque peu surdimensionnées par rapport aux risques présumés. Elles sont en tout cas appliquées trop lentement pour répondre aux besoins du temps. Il paraît probable et en tout cas souhaitable que ces réglementations soient allégées dans les années qui viennent. Cela ne ferait pas courir plus de risques alimentaires ni environnementaux et permettrait à certains pays en développement qui calquent leurs réglementations sur celles de l’UE de bénéficier plus rapidement de certains OGM dont ils ont un besoin bien identifié.

Une utilisation particulièrement élégante des ARN interférents (ARNi) commence à remporter des succès importants car réels mais surtout généralisables pour la lutte contre les insectes. Un exemple qui porte sur le cotonnier est particulièrement éloquent. Le gossipol est une toxine présente dans un certain nombre de plantes et sa fonction est d’intoxiquer les larves d’insectes qui se développent dans la plante. Des insectes ont développé des stratégies de résistance qui consistent à inactiver le gossipol par l’action du détoxifiant naturel P450. Des ARNi dirigés contre l’ARNm du P450 de l’insecte peuvent être synthétisés par des plantes portant les gènes des ARNi. En consommant la plante, la larve ingère les ARNi qui inhibent la synthèse de P450. Les larves ne sont dès lors plus protégées et elles meurent intoxiquées par le gossipol. Les ARNi ne paraissent pas avoir d’effets secondaires notables et des résistances contre eux ont peu de chances d’émerger chez les insectes. À cela il faut ajouter que les gènes d’ARNi ne donnent pas lieu à la synthèse de protéines et leur toxicité est particulièrement faible après ingestion par voie orale chez des vertébrés.

La surexpression d’un gène viral dans le papayer protège efficacement la plante contre un virus qui a décimé les champs d’Hawaï. L’expérience princeps montrant cet effet a été réalisé en 1991 dans l’Université Cornell aux USA. Deux lignées exploitables ont été validées en 1995 et autorisées pour la culture en 1996. Cet OGM donne jusqu’à maintenant entièrement satisfaction. La papaye renaît à Hawaï et, avec elle, l’économie des îles concernées. Aucun mutant résistant du virus n’est apparu. Au contraire même, un champ de papaye non transgénique entouré de champs dans lesquels poussent l’OGM reste indemne d’infection car ses voisins le protègent. Il est par ailleurs possible de faire cohabiter de la papaye conventionnelle et celle qui contient le gène anti-viral. Un éloignement modeste et des rangées de papayers non génétiquement modifiés suffisent pour empêcher la dissémination de l’OGM dans les champs non OGM. De toute manière, s’il s’agit de dispersion par le pollen, seules les graines du fruit, non comestibles, contiendraient le transgène. Deux pays, la Thaïlande puis le Japon, ont souhaité cultiver des papayers contenant le gène de résistance au virus. Le Japon a autorisé l’importation des plants de papayers en 2008. La Thaïlande a autorisé des essais en 1996 et était disposée à lancer des cultures à grande échelle. Ce processus a été enrayé en 2004 sous les pressions de Greenpeace.

Les stress abiotiques dus à de multiples causes environnementales (sécheresse, froid, chaleur, courants d’air, ions toxiques, salinité et acidité des sols, déficience en azote ou phosphate…) sont la cause de baisses considérables de rendement chez les plantes. Les recherches dans ce domaine portent sur l’identification de gènes capables naturellement de protéger les plantes contre ces agressions. Ces gènes codent souvent pour des facteurs de transcription qui sont induits par les stress afin de protéger les plantes. Ces facteurs induisent naturellement l’expression d’un certains nombre de gènes de résistance contre les stress. La surexpression des gènes de ces facteurs renforce la protection des plantes. Cette approche est relativement simple à partir du moment où les gènes de résistance ont été identifiés. L’expression permanente des gènes des facteurs de transcription s’accompagne dans certains cas d’un ralentissement très significatif de la croissance des plantes en question comme si la protection avait un coût métabolique qui impose une pause de la croissance pendant la phase de résistance. L’utilisation de gènes de résistance aux stress rendus inductibles par le stress lui-même est un objectif qui ne paraît pas inatteignable.

La résistance contre des éléments naturels des sols est souhaitable. En effet 70 % des sols de la Terre sont trop acides ou trop alcalins pour permettre des cultures performantes. Des sols contiennent également du cadmium qui est cancérigène, du mercure qui est toxique et d’autres ions ayant des effets indésirables. Des plantes capables de résister à ces stress sont en cours de mise au point ou de développement.

Les phosphates utilisés comme engrais sont polluants car ils sont très solubles dans l’eau et ce qui n’est pas capté par les plantes se retrouve dans les eaux des rivières, de la mer et parfois des nappes phréatiques. Les phosphites sont peu solubles dans l’eau et ils peuvent être transformés en phosphates par une enzyme, la phosphite oxydase. Les plantes exprimant un gène de phosphite oxydase pourraient donc se procurer des phosphates à partir des phosphites ajoutés au sol. Ce projet est ambitieux car relativement complexe et son succès ne paraît pas assuré.

La transgenèse peut modifier et optimiser la composition en lipides des plantes pour les consommateurs humains. Le soja est riche en lipides de type oméga-6 polyinsaturés qui ont l’inconvénient d’être instables lors de la cuisson. Leur hydrogénation industrielle les transforme en lipides non recommandés pour la santé humaine. Les lipides de type oméga-3 à longue chaîne sont favorables à la santé en partie par leur action anti-inflammatoire. Ils sont présents chez les poissons mais pour cela ceux-ci doivent les ingérer. Cette ingestion se fait spontanément chez les poissons sauvages mais les lipides en question doivent être ajoutés à l’alimentation des poissons d’élevage pour que nous les retrouvions dans nos assiettes. L’addition de 6 gènes permet au soja d’accumuler des lipides oméga-3 à longue chaîne stable lors de la cuisson. Ces modifications diminuent légèrement le rendement de soja sans en altérer le goût.

La Commission de génie biomoléculaire (CGB) a œuvré pendant plus de 20 ans avec une activité plus réduite ces dernières années en raison des moratoires et des destructions dissuasives des récoltes. Cette commission qui mettait en action la directive 99/220 de l’UE avait pour mission de donner un avis sur les essais des OGM en pleins champs. La CGB a été parfois critiquée. On lui a reproché de n’avoir pas analysé suffisamment en détail les effets toxiques potentiels des OGM. Ces reproches sont étranges et malvenus car ces analyses sont effectuées par le Comité scientifique biotechnologie de l’AFSSA. Force est de constater que la CGB a délivré un grand nombre d’autorisations d’essais de culture d’OGM en pleins champs et qu’aucun accident ni incident de dissémination incontrôlée ou d’intoxication n’ait été noté. De plus, la CGB a traité, dans des séminaires ouverts, des questions nouvelles apparaissant suite à l’expertise des dossiers ou liés à des progrès de la connaissance scientifique.

Doit on craindre les OGM ? (G. Pascal, J.F. Bach, J. Mésseguer, K. Ammann, C. Ménara, G. Brookes)

Les tests qui sont imposés aux OGM avant d’autoriser leur consommmation par les animaux ou les humains sont rigoureux, contraignants et coûteux mais certainement protecteurs pour les consommateurs. La réglementation dans ce domaine n’est pas dans sa forme définitive. Il existe des différences substantielles mais non décisives entre les pratiques de la FDA aux États-Unis et celles de l’AESA, son équivalent européen.

Le semencier qui souhaite mettre un OGM sur le marché doit fournir les renseignements suivants : description des propriétés agronomiques de la plante, description du gène avant son introduction dans la plante et après son intégration dans le génome de la plante, description de la composition chimique de la plante pour évaluer son équivalence en substance avec la plante d’origine, test de toxicité aiguë de la protéine codée par le transgène pendant un temps court (8-10 jours) chez la souris, test de toxicité de l’OGM entier pendant 3 mois chez des rats, recherche des propriétés allergènes potentielles de la protéine et de l’OGM entier. Lorsque les tests ne font pas apparaître de différences significatives entre l’OGM et la plante de référence, les comités considèrent que la consommation de l’OGM comporte le même niveau de risque que la consommation de la plante de référence. Il est en effet impossible de montrer qu’un produit est intrinsèquement dépourvu de risque alimentaire car il deviendra inévitablement néfaste pour la santé si on en ingère des quantités de plus en plus élevées. Ces tests sont beaucoup plus rigoureux que ceux appliqués aux variétés obtenues par la sélection classique alors que rien n’indique que les risques soient d’un niveau fondamentalement différents entre les deux types de produits. Ces réglementations sont encore en discussion pour tenter de définir des normes suffisantes pour protéger les consommateurs tout en n’imposant pas aux semenciers des tests inutiles car n’apportant pas d’information utile et nécessitant le sacrifice d’un nombre substantiel d’animaux. Les analyses systématiques dans les OGM et les plantes de référence de l’expression génétique (transcriptomique), des protéines (protéomiques) et surtout des composés biochimiques des plantes (métabolomiques) pourront peut-être un jour remplacer les tests de toxicité sur animaux. De nombreuses validations sont encore nécessaires avant que ces tests puissent être fiables et invariants selon les milieux de culture.

La recherche de l’allergénicité est un des tests importants requis pour considérer que la consommation d’un OGM ne comporte pas de risque. La protéine apportée par le transgène est particulièrement étudiée. Son instabilité en présence des sucs gastriques et pancréatiques est un indice fort de non-risque allergique. La consultation de banques de données de motifs protéiques allergènes apporte par ailleurs des informations pertinentes sur la présence de telles structures dans la protéine codée par le transgène. Il n’existe toutefois pas de méthode capable de prévoir de manière systématique les propriétés allergènes d’un aliment. Les OGM sont donc sur ce point dans la même situation que les produits conventionnels et une vigilance et un suivi sont nécessaires pour identifier les risques allergiques des OGM. 

La coexistence entre les plantes conventionnelles et les OGM est un problème agronomique et économique mais non sécuritaire. Des solutions techniques pour contrôler la dissémination du maïs sont connues depuis longtemps puisque les agriculteurs cultivent couramment du maïs grain et du maïs doux dans la même exploitation sans que les variétés ne se mélangent. Il suffit pour cela de laisser des distances entre les champs. Sans surprise, les maïs OGM se comportent de ce point de vue comme les variétés conventionnelles. L’UE, entre autre via le projet SIGMEA, a financé de nombreuses études sur le sujet et établi des normes pour différentes plantes. Dans ces conditions, la présence de plantes OGM dans des récoltes conventionnelles à des taux inférieurs à 0,9 % est aisément obtenue pour le maïs et le riz. Ce seuil officiel dans l’UE est celui au-delà duquel il est nécessaire d’indiquer que le produit contient un OGM. Cette règle vaut seulement pour les OGM autorisés dans l’UE pour la consommation humaine et animale.

L’ensemble de ces réglementations protègent les consommateurs européens qui pourtant sont les plus craintifs vis-à-vis de ces innovations. L’UE se caractérise de plus par la lenteur avec laquelle elle prend ses décisions. Selon certains économistes, cela peut conduire à une réaction en chaîne calamiteuse : manque chronique de nourriture pour les animaux d’élevage européens, élimination d’une partie des troupeaux, achat de viande à l’étranger provenant d’animaux nourris avec les OGM non encore autorisés dans l’UE.

La sélection classique stagne quelque peu pour certaines espèces, même si l’utilisation de marqueurs génétiques apporte une meilleure précision dans la sélection, le sélectionneur a toujours besoin d’accroître la variabilité génétique. Les mutations chimiques sont préconisées par certains au niveau européen, à l’encontre d’une certaine logique puisque leurs effets sont multiples et totalement incontrôlés. Le transfert de gène apporte rapidement plus de biodiversité et un meilleur contrôle que les méthodes conventionnelles.

L’avènement des OGM dans les champs constitue une petite révolution de plus pour les agriculteurs qui s’adaptent en général aisément à ces nouvelles semences. Certains agriculteurs, même en Europe, témoignent en faveur de l’utilisation de maïs Bt qui leur apporte de meilleurs rendements, un revenu supplémentaire d’environ 100 € par hectare, une réduction de mycotoxines (fumonisine) dans leurs produits, un retour dans leurs champs d’insectes, notamment des coccinelles, qui ont un effet environnemental favorable et une moindre production de gaz à effet de serre.

Une analyse du phénomène sociétal que représente le débat actuel sur les OGM en France et dans le monde a été proposée par le philosophe Luc Ferry. Il a montré que la déconstruction de la peur au cours du XXe siècle était à l’origine d’une partie des maux de la société. La peur n’est plus considérée comme un sentiment enfantin à dominer mais comme le départ d’une nouvelle sagesse salvatrice. D’autres valeurs ont en même temps perdu leur place dans une hiérarchie que l’histoire nous a léguée. Le libéralisme moderne a œuvré pour neutraliser les hiérarchies des valeurs pour laisser la place à une consommation sans réelle satisfaction personnelle. La vraie peur ne fait plus peur. Au lieu de cela, tout événement fait peur dès lors qu’il est présenté dans un contexte d’émotion superficielle, non argumentée et dépourvu de recul. Les ordonnateurs de cette nouvelle société suivent les recommandations de Machiavel, qui conseillait pour garder le pouvoir de ne pas s’appuyer sur les riches ni sur l’armée qui trahissent un jour mais sur la peur qui est indéfectible. L’activité exigeante qu’est la science a de moins en moins de place dans les sociétés modernes, y compris auprès des générations montantes. Il est indispensable de replacer la science au milieu des autres activités culturelles. La création d’une chaîne télévisée spécialisée dans la diffusion de la culture scientifique paraît un moyen essentiel pour permettre aux citoyens de s’informer, avec tout le sens critique que cela requiert, sur les aventures que vit la science et sur les conséquences de ses découvertes sur la vie des sociétés modernes.