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Le jus de canneberge perd son mystère

Publié en ligne le 9 juillet 2011 - Médecine -

Cranberry, c’est son nom anglo-saxon. En France, on l’appelle canneberge ou « grande airelle rouge » 1.

Le nom scientifique de cette plante, aux propriétés prétendument bénéfiques pour soigner bien des maux, est Vaccinium macrocarpon. Elle est cultivée dans de nombreuses fermes au nord des États-Unis et au Canada. Les Indiens d’Amérique furent les premiers à trouver à cette plante des vertus médicinales contre les troubles de la circulation sanguine, les maux d’estomac et du foie, et la fièvre.

Elle était également consommée par les Européens pour lutter contre le scorbut.

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On trouve plus de cent références dans les revues médicales, en remontant jusqu’à 1962. À l’instar de la théophylline, une substance issue des feuilles de thé, qui a connu son heure de gloire pour traiter de nombreuses affections du système nerveux, ainsi que des maladies respiratoires, rénales etc. et qui n’est pratiquement plus utilisée pour ses vertus cliniques, la canneberge est aujourd’hui parée de toutes les vertus. Elle est recommandée pour soigner les infections urinaires et prévenir les cystites, qui toucheraient chaque année deux millions de femmes en France. Mais les effets seraient plus larges et apporteraient une bonne protection contre les bactéries résistantes aux antibiotiques. La canneberge apporterait aussi une protection contre les infections intestinales, assurerait la prévention des caries, les affections de la prostate, et j’en passe…

Bref, une « plante miracle », recommandée par les naturopathes et certains médecins et surtout par Ocean Spray, la coopérative agricole de plus de 700 producteurs de canneberge…

En cherchant bien, on finit par trouver, ô surprise, sur le forum Doctissimo, une explication enfin « scientifique » des effets miraculeux du jus de canneberge ! Voici ce qu’on lit :

« Mais comment expliquer ces propriétés miraculeuses ? Contrairement à ce que l’on a pu croire un temps, ce n’est pas l’acidification de l’urine par le jus de cranberry qui est à l’origine de cette protection. De plus amples recherches ont permis de mettre à jour un mécanisme original. Ces baies contiennent des flavonoïdes, des anthocyanes et des proanthocyanidines. Ces derniers, composés au nom barbare, seraient capables de se fixer sur certaines bactéries Escherichia coli responsables des cystites, de les empêcher d’adhérer aux cellules de la vessie et de causer l’infection. Ne bénéficiant pas de point d’ancrage, ces bactéries sont alors naturellement éliminées par les voies naturelles. »

Le site Internet Notre canneberge.com indique :

« Elle est reconnue par les scientifiques pour sa grande quantité de composés phénoliques, classant ainsi la canneberge parmi les fruits ayant des propriétés qui permettent de neutraliser les radicaux libres (molécules instables) du corps, prévenant ainsi certains types de maladies cardiovasculaires et cancéreuses. »

On trouvera également une liste des affections soignées par la canneberge sur le site CranberryInstitute.com.

Le site Doctissimo, quant à lui, fait référence à un avis positif de l’AFSSA, en 2004, sur l’utilisation de la canneberge pour traiter les infections urinaires. Ocean Spray indique aussi :

« En 2004, après une revue de l’ensemble des études disponibles, l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) a confirmé officiellement que « des études cliniques randomisées démontrent une diminution de la fréquence des infections urinaires chez les femmes, liée à la consommation de jus de fruits de Vaccinium Macrocarpon. »

En réalité, l’avis de l’AFSSA 2 était beaucoup plus prudent. En effet, l’AFSSA estimait en 2004 :
— que les produits évalués présentent des caractéristiques de sécurité satisfaisantes ;
— que l’allégation « contribue à diminuer la fixation de certaines bactéries Escherichia coli sur les parois des voies urinaires » est acceptable uniquement pour le jus du fruit de la plante Vaccinum macrocorpon et la poudre de jus du fruit de cette plante ; les données sont insuffisantes pour attribuer cette allégation au cocktail/nectar. »

Fin 2010, le conte de fée s’achève : en effet, après de nombreuses études incomplètes ou fantaisistes, qui donnent des résultats contestables (en anglais on utilise l’expression « GIGO », garbage in – garbage out, pour les qualifier), on assiste aujourd’hui à la publication d’études qui mettent en œuvre les méthodes scientifiques éprouvées : essai sur un nombre significatif de sujets, randomisé et contrôlé, contre placebo et en double aveugle.

L’article publié le 21 décembre 2010, sur le site Le Guide Santé.org, et intitulé « Infections urinaires : jus de canneberge et idées reçues », fait le point. Il dit notamment :

« Aucun effet bénéfique du jus de canneberge pour prévenir les infections urinaires récidivantes n’a été mis en évidence dans une toute nouvelle étude américaine. »

« Le taux de récidive a atteint 16, 9 %, similaire voire légèrement supérieur chez les femmes ayant consommé le jus de fruit à base de canneberge (20 %) contre celles sous placebo (14 %). »

Cette nouvelle étude américaine est publiée début janvier 2011 dans l’U.S. National Library of Medicine National Institutes of Health sous le titre « Cranberry juice fails to prevent recurrent urinary tract infection : results from a randomized placebo-controlled trial. 3

Le 19 janvier 2011, commentant l’article de Mark Crisp, paru dans Science Based Medicine, James Randi conclut : « Le jus de canneberge a longtemps été recommandé pour la prévention des infections urinaires (IU), mais les seules études scientifiques à l’appui sont fondamentalement erronées. Cela ne marche probablement pas. » 4 Comme à l’accoutumée depuis 1996, James Randi offre un million de dollars à qui prouvera que ce jus est efficace…

Pour l’avoir goûté, nous trouvons le jus de canneberge rafraîchissant, agréable à boire, bien que légèrement acide, mais gardons-nous d’en attendre la guérison de tous nos maux !

1 Photo : Marinula (Wikimedia Commons).

2 Afssa – Saisine n° 2003-SA-0352 Saisine liée n° 2003-SA-0056 Maisons-Alfort, le 6 avril 2004

3 Barbosa-Cesnik C, Brown MB, Buxton M, Zhang L, DeBusscher J, Foxman B.
Department of Epidemiology, Center for Molecular and Clinical Epidemiology of Infectious Diseases, University of Michigan School of Public Health, Ann Arbor, Michigan 48109–2029, USA.
Source originale : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed...}

4 Mark Crisp : « Cranberry juice has long been recommended for the prevention of urinary tract infections (UTIs) but the only supporting scientific studies are fundamentally flawed. It probably doesn’t work. »