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Le défaiseur de miracles

Publié en ligne le 12 juillet 2004
Le défaiseur de miracles

G. Majax
Éd. Michel Lafon, 1992, 109 F

Illusioniste bien connu des télespectateurs ("Y a un truc" - "Passe-passe" - "Abracadabra"...) Majax est aussi un comédien (on l’a vu, à la fin l’an dernier, dans la pièce "Félicité" au Théâtre de la Main d’Or à Paris), et auteur de plusieurs ouvrages démystifiant les truquages des escrocs de la parapsychologie "Le grand bluff", "Le secret des tricheurs". Il est aussi à l’origine du service téléphonique "SOS Paranormal" créé en 1990 pour enquêter sur les phénomènes inexpliqués (mais pas inexplicables) : maisons hantées, apparitions, esprits frappeurs et autres faits surnaturels.

Ce niçois de naissance n’en était pas, comme il s’est plu à le raconter, il y a longtemps, à des journalistes crédules, à faire disparaître ses hochets dans son berceau à la stupéfaction de ses parents ; il n’a pas suivi non plus de formation à l’école internationale de magie du Tibet (dont l’existence est plus qu’hypothétique).

Gérard, qui ne s’appelle pas encore Majax, a six ans quand ses parents s’installent à Paris, prés de la porte de Clignancourt. Il profite de ses week-ends pour fouiner aux Puces toutes proches. C’est là qu’un camelot, un certain professeur Marcel, lui vend ses premiers tours de magie, alors qu’il rêve des prodiges du magicien de bandes dessinées Mandrake. Une brillante carrière commence à poindre.

A quinze ans, il entre comme interne à l’Ecole Normale d’Auteuil, où il cultive la prestidigitation, parrainé par la direction pour les spectacles de fin d’année.

Toutes les prouesses magiques le font rêver. Il dévore une centaine d’ouvrages d’occultisme et de parapsychologie, prêt à croire aux miracles qui lui sont contés. Mais curieux de nature, il se rend vite compte que les maîtres de l’étrange qu’il rencontre et qui se prétendent investis de pouvoirs surnaturels se montrent incapables de reproduire devant lui les plus grands prodiges, sans user de trucs flagrants. La déception qui suit ce constat le pousse à approfondir sa passion pour, l’illusionisme, ce qui lui permettra de démêler les trucs des charlatans, et à suivre des études de psychologie à la Sorbonne, car la réussite des effets prétendûment magiques dépend en grande partie de la mise en condition des spectateurs.

Alors qu’il a dix-neuf ans, il participe, à La Rochelle, à une conférence de la ligue de l’enseignement sur les fakirs et consorts ; il démonte tous les trucs des pseudo-hypnotiseurs.

Tout en poursuivant ses études, il entame une carrière dans les cabarets parisiens "La Grange au bouc" à Montmartre, "El Djazaïr" à Saint-Michel ou "La main au Panier", et parfois le même soir dans les trois à la fois ! Son nom de scène jaillit alors de la fusion de sa passion, la magie, avec le nom du héros de la guerre de Troie, Ajax. Ses spectacles se prolongent en tournée avec Mireille Mathieu.

En vacances à Nice, il rencontre Fernand Raynaud et Eddie Barclay, qui l’invite à des démonstrations privées devant ses illustres invités du tout le show biz : Alain Delon, Yul Brunner, Darry Cowl ou Zizi Jeanmaire. Il ira jusqu’à enseigner à un politicien l’art de la gestuelle, bien avant les actuels "conseillers en communication".

Sa solide formation dans le double domaine de l’illusion et de la psychologie lui permettra de constater que partout, si prodigieux que soient les miracles et le talent des gourous, rien ne relève du surnaturel, mais de subtils procédés, de belles mises en scène et d’un habile conditionnement des spectateurs, les touchant au coeur de leur besoin de merveilleux.

On le retrouve dans de nombreuses émissions sur les phénomènes surnaturels : un "Droit de réponse" de Miche Polac sur la télépathie, un autre sur Uri Geller ; un "Stars à la barre" de Daniel Bilalian sur les pouvoirs paranormaux, dont il démontre l’inanité au cours d’une brillante mise en scène qui mystifie et ridiculise les tenants des pouvoirs psi ; un "Double Jeu" de Thierry Ardisson durant lequel il tient la dragée haute avec beaucoup d’humour à Elizabeth Teissier ; un "Sacrée Soirée" de Jean-Pierre Foucault "Rêve et illusions" ; un "Savoir plus" de François de Closets sur la simulation.

A chaque fois, un petit tour de passe-passe démonstratif et ciblé se révèle plus efficace qu’un long discours bavard et ennuyeux.

Grâce à ce déjà long parcours, il nous entraîne aujourd’hui dans le secret des Faiseurs de Miracles, avec la collaboration d’Emmanuel Haymann, écrivain et historien. En trois cents pages, il trace le portrait d’une vingtaine de personnages pittoresques, étranges ou fascinants.

La première partie, consacrée à "la poursuite du Grand Oeuvre", met d’abord en scène Nicolas Flamel "le faiseur d’or" dont rares étaient les invités privilégiés autorisés à assister à la transformation du vil métal en or, par de mystérieuses manipulations alchimiques. Cette connaissance, prétendait-il, est l’aboutissement d’une longue quête qui l’a mené jusqu’à Saint Jacques de Compostelle et lui a demandé des années de labeur, d’initiation, de recherches hasardeuses et complexes, dont le succès a jailli le 25 avril 1382.

De cet or, il ne veut pas tirer profit. Il en fait don aux hôpitaux, aux chapelles et aux miséreux. Cet homme généreux vit modestement de sa librairie et distribue sa fortune en bienfaits. La simple science alchimique lui permet-elle vraiment de transmuter tant de vile matière en métal précieux ?

La vérité est que sa fortune lui vient d’un curieux héritage. Le 25 avril 1382, justement, le peuple de Paris en colère, excédé de misère, prend la communauté juive comme bouc émissaire. Témoin de l’émeute, Flamel recueille le secret d’un rabbi mourant qui lui révèle la cachette de sa fortune contre le serment d’en faire profiter les pauvres et de soulager les détresses de l’époque.

Ne pouvant avouer l’origine de sa soudaine richesse, il s’invente une commode compétence alchimique et utilise un subterfuge banal : une pièce d’or plongée dans un sel de mercure prend l’aspect de l’argent. Placée dans un creuset et plongée dans un four, elle reprend miraculeusement son aspect initial ! Gràce à ce simple tour, Flamel éblouira de nombreux personnages et répandra le bien autour de lui.

Majax continue ensuite de nous entraîner dans les coulisses de l’histoire, et dans le secret d’influents acteurs de l’ombre, souvent méconnus.

Comment Catherine de Médicis, avec la complicité du magicien Cosimo Ruggieri, influence la politique du roi Charles IX, malade, dans de macabres cérémonies où la tête coupée d’un jeune enfant juif prédit la future régence de sa mère avant qu’il ne meure.

Comment des petits tours de passe-passe assurent à Casanova la bienveillance d’une famille crédule et plus prosaïquement le gîte et le couvert, en sus de l’admiration de ses conquêtes féminines et de la belle société.

Comment le comte de Cagliostro, alias Joseph Balsamo, fait apparaître dans les nuées d’un réchaud d’encens des fantômes et des esprits, avec le concours d’une lanterne magique.

Comment le comte de Saint-Germain prétend fabriquer un énorme diamant en en fondant plusieurs petits et éblouit ses auditoires par son talent à narrer des histoires de pouvoirs occultes et de forces surnaturelles. Ce qui lui vaudra une réputation d’immortalité.

La seconde partie du livre nous fait rencontrer "les maîtres de l’occultisme" : Mesmer et son baquet dans des recherches balbutiantes pour élucider les mystéres du "magnétisme" et de l’hypnose.

L’immense Victor Hugo, dans son exil de Jersey, transcrit les messages des tables tournantes, alors fort en vogue, et qui rendent la parole à d’illustres défunts : Shakespeare, Dante, Chénier ou même Jésus-Christ. Ces mots de l’au-delà ont une curieuse tendance à épouser le style de l’auteur des "Misérables" ou de "La Légende des siècles".

En mai 1992, un instituteur de Chartres, Henri Beuvron, contacte Majax pour lui fournir une explication psychophysiologique du phénomène spirite vécu par la famille Hugo. En remarquant notamment que la durée des séances et la longueur des messages transcrits par Victor Hugo, lequel n’assistait généralement pas lui-même aux séances autour du guéridon valseur, aurait nécessité la prise de notes à la cadence infernale de trois coups par seconde pendant trois heures d’affilée et ce, sans erreur ! Mais surprise de taille pour Majax, l’instituteur lui révèle que son explication rationnelle lui a été dictée par l’esprit d’Allan Kardec, le maître français du spiritisme au XIXe siècle, au cours d’une séance de table tournante ! Majax participe alors à plusieurs séances chez Beuvron, mais quelques mises en garde et précautions annihilent totalement les velléités sautillantes du guéridon...

Plus loin, Majax rappelle comment le spiritisme est né à Hydesville, aux Etats-Unis, en mars 1848 ; les prouesses des soeurs Margaret et Kate Fox, phénomènes dont le succès ne se démentira pas au cours des quarante années qui précéderont leurs aveux dans le New York World en octobre 1888 et à l’académie de musique de la même ville le mois suivant. Le succès croissant de la communication avec les esprits de l’au-delà ne s’en trouvera pas affaibli.

Majax détaille les tours des médiums qui font valser les tables et apparaître des ectoplasmes qui impressionnent des plaques photographiques ou permettent des moulages de mains ou de visages. Parmi les défenseurs de cet art nouveau, on retrouve des hommes aussi illustres qu’Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes totalement aveuglé par sa foi inconditionnelle dans le paranormal.

Pour le spirituel critique Paul de Saint-Victor "revenir dans des pieds de table, ça dégoûterait de l’immortalité de l’âme". Pourtant la communication avec l’au-delà distrait encore aujourd’hui des cercles d’amateurs privés.

Cette partie s’achève sur un des sommets de la mystification au début de ce siècle : le paysan sibérien Raspoutine a influencé le cours de l’histoire en contribuant à précipiter la chute du régime tsariste. Ses tours de magie auréolés de mysticisme impressionnent et mystifient la tsarine Alexandra, chez qui la superstition charlatanesque se mêle à la dévotion religieuse. L’influence grandissante du nouveau Messie l’entraînera à sa perte. Les autorités ecclésiastiques et la noblesse ne sont pas dupes de l’imposteur. Elles le feront assassiner. Sa magie ne l’aura pas préservé d’une fin tragique.

La troisième partie est la plus intéressante : Majax y narre ses propres expériences face aux "sorciers de l’an 2000".

Du tradipraticien (modernisation du trop réactionnaire vocable "sorcier" dans la terminologie officielle du Congo marxiste) qui opère à mains nues et extrait du patient, sans anesthésie, une dent de fauve, symbole de l’envoûtement maléfique source de tous ses maux, de ses collègues marabouts émigrés sous nos latitudes, aux charmeurs de cordes et fakirs qui lévitent toujours mystérieusement en Inde, via les chirurgiens philippins aux mains nues, aujourd’hui concurrencés par leurs homologues mexicains ou brésiliens, nous retrouvons toutes les formes d’exploitation du paranormal.

Arrêtons-nous sur le cas d’Uri Geller. Majax qui l’avait déjà démystifié dans "le Grand Bluff" décortique toutes les techniques de ce médium médiatique détournement d’attention, mise en condition, manipulations d’illusionniste, rejet des spectateurs trop méfiants ou sceptiques (accusés d’émettre des ondes nocives au fluide psi), excuse d’un pouvoir passagèrement défaillant quand une tricherie est mise en évidence.

En lsraël dont il est originaire, Uri Geller a été dénoncé par le président du cercle de prestidigitateurs de Tel-Aviv qu’il a longtemps fréquenté.

Le comble, sur nos ondes télévisuelles, reste tout de même l’émission "Droit de réponse" de Michel Polac, diffusée en mars 1987 sur TF1 et consacrée à Geller. Alain Cuniot, qui devait participer au débat comme contradicteur, en fut cavalièrement évincé. Majax réussit à assister à l’émission en coulisses jusqu’au final, où il parvint quand même à surgir sur le plateau, au grand dam de Geller.

Une citoyenne danoise, Elsa Lorrein, a porté plainte contre Geller en prétendant que lors d’une de ses prestations télévisées, il avait tordu à distance son stérilet alors qu’elle se trouvait dans les bras de son amant (du danger de regarder la télévision au lit !). Résultat une grossesse non désirée. Le tribunal l’a déboutée faute d’une preuve attestant la relation causale des faits invoqués. Majax suggère malicieusement qu’Uri Geller pourrait être, de la même façon, responsable d’autres déformations métalliques à la suite de ses prestations publiques et assumer la réalité des conséquences catastrophiques : accidents de voitures, effondrement d’échafaudages ou de tribunes de stade...

Un chapitre est consacré à la transcommunication, phénomène à la mode, succédané technologique et cathodique des guéridons baladeurs de grand-papa. Les truquages vidéo font apparaître les esprits et les ectoplasmes.

Quand Bassam Assaf, un employé du richissime homme d’affaires syrien Michel Mehrej, priait la Vierge, il suintait de ses mains de l’huile d’olive (analysée en laboratoire). Le miracle s’était produit une première fois le 12 août 1988 et depuis n’avait cessé de se reproduire. Bassam affirma que la Vierge lui était apparue 197 fois et lui avait laissé au total 131 messages. Invité à vérifier le phénomène, Majax raconte l’examen minutieux et la vigilance sans faille dont il dut user pour éliminer toute possibilité de fraudes. Quatre essais se soldent par quatre échecs point d’huile sur les mains du sieur Bassam, mais beaucoup de sueur sur son front. La supercherie est établie par l’absence de suintement quand la fraude est rendue impossible. France Soir en fait sa "une" le lendemain 13 septembre 1988. Majax parti, l’huile recommence à suinter. Le propriétaire de la source profite des largesses de son employeur et de pieux donateurs (plus d’un million et demi de dollars en deux ans !). Une commission d’enquête parisienne désignée par le métropolite orthodoxe Jérémie conclut qu’il s’agit "d’un fait irrécusable qui ne relève d’aucune explication d’ordre naturel ou rationnel".

Avec la complicité de son frère, Bassam terrorise la famille Mehrej (hurlements, apparitions...). L’employeur crédule qui en 1989 annonçait "un fait irrécusable qui défie la Science, personne ne peut en douter" finit par porter plainte pour escroquerie et détournement de fonds. La veille de l’Assomption de la Vierge, le 14 août 1991, les deux frères sont écroués. Le 22 mai 1992, Bassam est condamné à trente-deux mois de prison ferme (son frère à vingt-six mois) et à verser dommages et intérêts à son ex-patron.

Le panorama s’achève sur un aperçu des tours élémentaires (pour un illusionniste) qu’on peut découvrir chez les mages du marché de Marrakech et de leurs boîtes magiques (made in Hong-Kong), où les échanges miraculeux se font prosaïquement par des tiroirs secrets.

Conclusion de Majax : "Ainsi en va-t-il sans doute de tous les phénomènes miraculeux. Il y a deux tiroirs. Si vous voulez croire à des pouvoirs paranormaux ou même surnaturels, n’ouvrez que le premier. Si vous ouvrez le deuxième, le merveilleux se fera plus rare, mais vous risquez moins les déceptions. Méfiez-vous des leurres ! A l’instar de tous les mirages, ils nous attirent sur de fausses pistes. Le vrai miracle, c’est le devenir de l’homme dans la réalité".

Le merveilleux, ajouterons-nous, c’est aussi le talent des illusionnistes honnêtes, qui par leur patient travail nous éblouissent de leurs prouesses, sans aucune prétention de pouvoir surnaturel.


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