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Le Mystère Coriolis

Publié en ligne le 1er janvier 2015
Le Mystère Coriolis
Alexandre Moatti
CNRS Éditions, 2014, 221 pages, 25,00 €

Les Éditions du CNRS viennent de publier Le Mystère Coriolis d’Alexandre Moatti. Son auteur, ingénieur des Mines, chercheur en histoire des sciences et vulgarisateur de sa discipline, n’est pas un anonyme pour les lecteurs de Science et pseudo-sciences. Non seulement la revue lui a déjà ouvert ses colonnes, mais elle a aussi commenté plusieurs de ses ouvrages, particulièrement sur l’alterscience, une autre forme d’opposition à la science 1, où il analyse les motifs et modalités des déviances alterscientifiques.

Dans son nouveau livre, Alexandre Moatti dresse le portrait, du berceau à la mort, de Gaspard-Gustave Coriolis (1792-1843), dont l’œuvre se situe au carrefour des mathématiques et de la physique et dont le nom sera pour toujours associé à une force qui élucide la rotation du pendule de Foucault, la déviation des corps vers l’Est… Curieusement, cette force dite de Coriolis est citée souvent – de façon erronée – comme étant celle qui détermine le sens de vidage des éviers.

Rendre attractive sa biographie pour le grand public est une tâche difficile. Hormis son travail scientifique, l’historien ne peut s’appuyer sur rien : la vie monotone et fade de ce savant ne peut susciter d’engouement. Ainsi, il n’a eu aucun engagement politique à une période pourtant riche en événements (la chute de l’Empire, la Restauration, la révolution de 1830, etc.) ; il n’a jamais participé à aucune expédition lointaine, ni à aucun voyage aventureux, à la différence de bien des savants de son temps, à l’opposé même de son père, un homme d’armes qui avait fait la campagne d’Amérique aux côtés du comte de Rochambeau. La vie affective de Coriolis manque également de piquant : hypocondriaque, introverti et célibataire endurci, il est emporté par la phtisie dans la solitude, sans avoir laissé la moindre trace de rencontre amoureuse. Certaines de ses lettres suggèrent qu’il aurait pu être homosexuel. Mais, là aussi, on manque d’information. Tout ceci peut expliquer le grand décalage de notoriété entre la force de Coriolis – notion universellement connue – et cet anonyme Gaspard-Gustave qui lui a donné son nom.

Né dans une famille de la noblesse de robe désargentée, Coriolis appartient à une génération de savants favorisés par la démocratisation du système éducatif issu de la Révolution et de l’Empire : en 1808, il intègre l’École Polytechnique. Dans l’impossibilité de régler ses cours, il obtient une dispense partielle des frais d’étude, puis il est admis dans le prestigieux Corps des Ponts. Par la suite, si l’on excepte sa brève activité dans les travaux publics à la fin de sa formation, sa carrière se déroule dans la recherche théorique en solitaire et dans l’enseignement, tant à l’École des Ponts qu’à l’École Centrale des arts et manufactures ou encore à l’École Polytechnique, où il assistera Augustin Cauchy (1789-1857), un des plus féconds mathématiciens de l’époque, dont le nom est accolé à de nombreuses formules.

En 1836, quand Coriolis devient membre de l’Académie des sciences, son œuvre scientifique est achevée. On lui doit, entre autres, l’approfondissement de la notion de travail (donc celle de l’énergie), une théorie sur le jeu de billard (encore utilisée par les amateurs de ce jeu) et, surtout, l’invention de cette « force centrifuge composée » qui, sous la dénomination de force de Coriolis, assurera sa consécration.

Le Mystère Coriolis est le condensé d’une thèse d’Alexandre Moatti sur le savant. Ce livre impressionne par sa bibliographie, par la précision et le luxe des détails. Il s’adresse à un public motivé et devrait figurer en bonne place dans toutes les bibliothèques.

1 Voir l’article d’A. Moatti, L’alterscience, une autre forme d’opposition à la science, SPS n° 292, octobre 2010 et une note de lecture sur son précédent ouvrage, Alterscience, SPS n° 306, octobre 2013