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Le Livre noir de la psychanalyse : chronique d’une aventure éditoriale

Publié en ligne le 11 novembre 2005 - Psychanalyse -

La psychanalyse, c’est comme la scientologie, on sait quand et pourquoi on y rentre, on ne sait pas quand on en sort et on finit par oublier pourquoi on y était rentré... en attendant portefeuille et pensée se vident

Extrait d’un point de vue de lecteur du Livre noir laissé sur le site d’amazon.fr.

Quitter la forteresse

Les auteurs du Livre noir, sollicités par sa coordinatrice Catherine Meyer, savaient, eux, pourquoi ils entraient dans le cénacle psychanalytique : pour le désosser méthodiquement. Eux savaient qu’ils ne devaient rien oublier des mensonges, des manipulations, du mythe, afin que la pensée reprenne vigueur et autonomie, et que les portefeuilles ne s’épanchent plus sur les divans.
Le lecteur, grâce à eux, va pouvoir quitter cette forteresse en toute lucidité.

Les bâtisseurs

septembre 2004 : Catherine Meyer, venue des éditions Odile Jacob, responsable aux éditions Les Arênes, contacte divers auteurs potentiels en vue d’un ouvrage sur la psychanalyse. Elle souligne qu’il devra être original, ambitieux, créatif, et surtout le fruit d’une collaboration internationale. 35 rédacteurs sont sollicités.
Au bout du compte, un an après, ce seront 42 auteurs venus de tous horizons, psychiatres, psychanalystes, psychologues, écrivains, historiens, philosophes, victimes, témoins, qui seront les bâtisseurs de 62 textes.

5 septembre 2005 : le magazine ELLE

ELLE signale la sortie du Livre noir en publiant un article d’un des auteurs, Jacques van Rillaer. L’initiative est à saluer, car les magazines féminins (catégorie où l’on peut aussi ranger les revues de psychologie grand public) ont toujours été les vecteurs les plus zélés de la psychanalyse. Ils ont toujours intégré à leurs pages "psycho", que les femmes affectionnent, des conseils d’analystes. ELLE propose dans ce numéro une opinion différente et libre de toute obédience psychanalytique, celle d’un psychologue pratiquant les thérapies comportementales et cognitves (TCC).

Le Nouvel Obs, l’Express

Le Nouvel Obs publie un dossier bien ficelé sur ce qu’il appelle un « livre-événement ». Un premier article de Ursula Gauthier présente l’état de la psychanalyse actuelle, sa muraille érigée autour de la correspondance de Freud, énumère quelques célèbres sceptiques, Sartre, Deleuze, Foucault. Elle souligne aussi les positions étranges des analystes vis à vis des homos, à qui ils refusent l’accès à leur profession, répondant en cela au respect d’un « ordre symbolique ». L’auteure se fait aussi critique envers la méthode de soin psychanalytique, et présente d’autres thérapies, qui, elles, font leurs preuves : les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Le pionnier en France en est Jean Cottraux, à qui l’on doit la création du premier diplôme universitaire de TCC, qui sanctionne désormais les études de 120 praticiens par an.
Un débat entre Patrick Légeron, psychiatre, et Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, suivra cet article. L’entretien sera ferme, mais courtois.

On ne pourra pas en dire autant du dossier paru à la même période (5 septembre), dans l’Express cette fois, où un article scandalisé de Gilbert Charles et un entretien avec une Élisabeth Roudinesco haineuse voisinent. Cette historienne de la psychanalyse, fer de lance des analystes, y insinue que des auteurs du Livre noir ont peut-être été utilisés à leur insu, décèle aussi une accusation d’inceste contre Freud, puis de révisionnisme qu’elle teinte de négationnisme ; toutes ses attaques sont des jugements de valeur ou des postulats. Quatre des auteurs du Livre noir lui répondront dans l’Express, en regrettant qu’elle n’obéisse pas aux règles élémentaires du débat, c’est-à-dire en apportant des preuves.

Les articles dans Le Monde, dans Psychologies magazine et dans l’Humanité

Le Monde Horizon-débats du 9 septembre ouvre ses colonnes à deux sénateurs, J. Ralite et J.-P. Sueur, pour dénoncer une campagne obscurantiste, sorte de chasse aux sorcières contemporaine contre la psychanalyse. Ils accusent l’amendement Accoyer d’avoir voulu donner l’hégémonie du mental « à la sphère idéologique des TCC ».

Psychologies magazine de septembre se montre a priori un peu plus neutre dans son approche du Livre noir mais en fait pourtant une lecture partisane : « La charge est d’une rare violence »
Pourtant, c’est bien dans la presse, et non dans l’ouvrage incriminé, que les charges les plus violentes se lisent.

L’article de L’Humanité, par exemple, du 9 septembre, qualifie les opposants au freudisme de « mages noirs » qui « barbotent dans la rumeur ». Question vocabulaire, l’auteur, Roland Gori, ne fait pas dans la dentelle, et se contente de voir dans ce livre la promotion d’une civilisation médico-scientiste, et les praticiens des TCC comme des « bureaucrates enrhumés. » À aucun moment il ne prendra la peine de se pencher précisément sur quelque argument. Du coup, il saute aux yeux que l’ouvrage décrié n’a pas vraiment été lu...

Mi-septembre : déjà un beau succès

Lundi 14 septembre : l’ouvrage est cette semaine la 8e vente d’essais et documents en France. 2 500 exemplaires sont demandés pour la FNAC pour vendredi. Une réimpression à 8 000 exemplaires est lancée. Lundi 19 septembre : «  Plus de 23 000 ex. de tirages en moins de quinze jours et déjà trois réimpressions : la brèche est faite  » 1. Un peu plus de deux semaines après son arrivée chez les libraires, le Livre noir cartonne. Les détracteurs ont eu beau faire, il a ouvert les esprits. En septembre, les libraires refont des commandes. Le Livre noir se lit bien, soulevé par un vent de liberté, au risque, assumé, de provoquer des réactions virulentes.

Fin septembre : Campus et la psychanalyse

Pour parler du Livre noir, Guillaume Durand reçoit, en ambiance feutrée, voire lénifiante, quelques psychanalystes médiatisés, comme Gérard Miller et son ex-épouse Dominique Miller, face aux deux auteurs principaux Mikkel Borch-Jacobsen et Jean Cottraux. Guillaume Durand optera pour un ton détaché ; les psychanalystes sortiront les arguments (qui n’en sont pas) les plus usés : violence du ton du Livre noir, accusation de patauger dans la noirceur, de se comporter en révisionnistes. Gérard Miller lira même un extrait du livre qui devait souligner l’accusation d’inceste de Freud envers sa fille. Or le passage incriminé était tout en symbolique, relatait une analyse, et ne se situait pas sur le plan réel du quotidien. Il est amusant de voir combien un psychanalyste repousse le symbolique quand cela l’arrange, alors qu’il en fait d’habitude un élément central de sa théorie.

« Vers un cessez-le fou ? »

Pour clore ce tour d’horizon des réactions de la presse de septembre à octobre 2 j’aimerais faire mention d’un petit texte savoureux, qui griffe les deux camps, avec une virulence toute particulière pour Jacques-Alain Miller, que le Canard enjoint « à plus de modestie, quand il répond par-dessus la jambe “à cette bande de fameux braillards haïssant Freud” ». L’article du Canard enchaîné du 5 octobre « Vers un cessez-le fou ? » se veut moqueur et se pose en observateur sage. C’est une guerre d’artillerie lourde, dit-il, et quand la fumée se sera dissipée, il faudra soigner les blessés : « les freudophobes et les lacanomaniaques. »
Puisque Le Canard enchaîné a l’art de dénouer les tensions par l’humour, et pour ne pas rester sur une impression noire, j’utiliserai ses plus jolis jeux de mots pour en faire une conclusion :

« Contre les freudennes à l’eau de rose, ce Livre noir se veut porteur d’espoir et d’alternative : les TCC. » Frédéric Pagès

1 Extrait du blog du Livre noir, sur le site de l’éditeur [disponible sur archive.org - 18 juillet 2019]

2 Vous trouverez d’autres réactions dans ce dossier, comme celle de Libération ou encore celles de Agnès Fonbonne et Annie Gruyer