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La vérité sur l’acupuncture

Publié en ligne le 3 juin 2015 - Médecines alternatives -

Les éditions Cassini ont eu l’excellente idée de traduire en français le remarquable ouvrage de Simon Singh et Edzard Ernst intitulé Médecines douces : info ou intox ? (titre anglais Trick or treatment : alternative medicine on trial). Nos lecteurs avaient déjà eu un avant-goût de cet ouvrage avec la traduction (par nos soins) d’une partie du chapitre 1 décrivant la méthode d’établissement de la vérité en médecine et illustré par l’histoire de cette discipline (saignées, scorbut, etc.).

Avec l’aimable autorisation des auteurs et de l’éditeur, nous publions ici de larges extraits consacrés à l’acupuncture*. Ceci pourra inciter à acquérir l’ouvrage et prendre connaissance de l’ensemble d’un sujet traité de façon très complète, sans a priori, et avec rigueur. Outre de nombreux développements sur l’acupuncture, non repris ici, on trouvera des chapitres consacrés à l’homéopathie, la chiropraxie ou encore la phytothérapie.

La publication du livre au Royaume-Uni en 2008, cosigné d’un grand nom de la vulgarisation scientifique (Simon Singh) et d’un des meilleurs spécialistes mondiaux des médecines alternatives (Edzard Ernst), n’a pas été appréciée par tous. Simon Singh, suite à un article publié dans The Guardian, a été poursuivi pour diffamation par l’Association Britannique de Chiropraxie (voir la prise de position de l’AFIS à ce sujet 1). Finalement, il gagnera son procès en appel et son droit à un « commentaire honnête » sera reconnu. Ce cas a été le point de départ d’une révision de la loi sur la diffamation au Royaume-Uni afin de mieux équilibrer la liberté d’expression et la protection de la réputation des individus (dans la loi précédente, les frais de justice étaient faramineux et l’acceptation de la plainte se faisait quasi-automatiquement, même pour des propos émis ailleurs qu’au Royaume-Uni). Quant à Edzard Ernst, il sera contraint de prendre une retraite anticipée de l’Université d’Exeter suite à sa controverse 2 avec le Prince Charles qu’il a accusé de promouvoir des traitements sans aucune base scientifique (accusations rejetées par le cabinet du Prince).

* Les intertitres sont de la rédaction de Science et pseudo-sciences.

La première description détaillée de l’acupuncture apparaît dans le Huangdi Nei Jing (Le classique de médecine interne de l’Empereur Jaune), un ensemble de textes datant du deuxième siècle avant J.-C. Ce livre présente la pratique et la philosophie complexes de l’acupuncture dans des termes qui seraient en grande partie familiers à un praticien actuel de cette thérapeutique alternative. Par dessus tout, le Huangdi Nei Jing décrit comment le Qi [prononcer Tchi], l’énergie vitale, circule dans tout le corps en empruntant des canaux appelés méridiens. Les maladies sont dues à des déséquilibres ou des blocages dans la circulation du Qi, et l’objectif de l’acupuncture est de se connecter aux méridiens en des points stratégiques pour rééquilibrer ou débloquer le Qi.

Croissance et déclin de l’acupuncture, de la Chine au monde entier

Bien que cette énergie vitale représente la notion fondamentale de l’acupuncture, différentes écoles se sont développées au cours des siècles et ont élaboré leurs propres interprétations sur la manière dont le Qi circule dans tout le corps [...]. Étant donné [leur] nombre, il est impossible de donner une description de chacune d’entre elles, mais voici en encadré la liste de leurs principes fondamentaux communs [...]. Avec le temps, certains médecins européens ont commencé à pratiquer l’acupuncture, mais ils tendirent à réinterpréter les principes sous-jacents pour les faire cadrer avec les plus récentes découvertes scientifiques. Par exemple, au début du dix-neuvième siècle, Louis Berlioz, le père du célèbre compositeur, constata que l’acupuncture pouvait soulager des douleurs musculaires et certaines maladies nerveuses. Il supposa que le mécanisme sous-tendant ces effets bénéfiques pouvait éventuellement être rapporté aux découvertes de Luigi Galvani, selon lesquelles des stimulations électriques déterminaient la contraction musculaire d’une patte de grenouille sur la table de dissection. Berlioz émit l’hypothèse que les aiguilles d’acupuncture pouvaient peut-être interrompre ou faciliter les flux électriques au sein du corps, remplaçant ainsi les notions abstraites de Qi et de méridiens par les concepts plus concrets d’électricité et de nerfs. Cela l’amena à proposer que les effets de l’acupuncture pourraient peut-être être augmentés, si l’on reliait les aiguilles à une batterie [...]. Cette thérapeutique devint particulièrement populaire dans la haute société grâce à la publicité que lui firent des personnages tels que George O’Brien, troisième comte d’Egremont, qui avait été guéri, par ce moyen, d’une sciatique [...].

Les principes fondamentaux communs aux écoles d’acupuncture

  • Chaque méridien est associé à l’un des organes majeurs et lui est relié.
  • Chaque méridien est composé d’une voie interne et d’une voie externe. Bien que les voies internes soient enfouies profondément au sein du corps, les voies externes sont relativement proches de la surface et sont accessibles aux manipulations d’aiguilles.
  • Il existe des centaines de points d’acupuncture possibles le long des méridiens.
  • En fonction des différentes écoles d’acupuncture et des maladies traitées, l’acupuncteur va insérer des aiguilles en des points particuliers sur des méridiens particuliers.
  • La profondeur de pénétration des aiguilles varie d’un centimètre à plus de dix centimètres, et la thérapie implique souvent de faire tourner les aiguilles sur elles-mêmes in situ.
  • Les aiguilles peuvent être laissées en place pendant quelques secondes ou pendant quelques heures.
  • Avant de choisir les points d’acupuncture, ainsi que de décider de la durée, de la profondeur d’insertion et du mode de manipulation des aiguilles, l’acupuncteur doit d’abord poser un diagnostic sur le patient. Pour cela, il va s’appuyer sur cinq méthodes, nommément l’inspection visuelle, l’auscultation, l’inspection olfactive, la palpation et l’interrogation.

Puis, autour de 1840, juste au moment où l’acupuncture semblait être en train de s’installer au sein de la médecine occidentale dominante, la classe supérieure adopta de nouvelles modes thérapeutiques plus ou moins fantaisistes et le nombre d’acupuncteurs diminua. Le rejet par l’Europe de cette pratique fut largement lié à des conflits, comme la première et la seconde guerre de l’Opium entre la Grande-Bretagne et la Chine, qui conduisirent l’opinion à mépriser désormais la Chine et ses traditions : l’acupuncture ne fut, en effet, plus perçue comme une thérapeutique efficace venue de l’Orient mystérieux, mais considérée au contraire comme une sinistre pratique rituelle du méchant Orient.

Pendant ce temps, l’acupuncture connaissait également un déclin en Chine même. L’empereur Daoguang (1782-1850) estima qu’elle représentait une entrave au progrès médical et elle fut supprimée du programme d’enseignement de l’Institut médical impérial. Au début du vingtième siècle, l’acupuncture n’était plus utilisée en Occident et elle était en sommeil en Orient.

Le renouveau

Elle aurait pu être définitivement oubliée, lorsqu’elle connut brusquement, en 1949, un renouveau en conséquence directe de la révolution communiste et de la naissance de la République populaire de Chine. Le président Mao Tsé-toung poussa, en effet, à la renaissance de la médecine traditionnelle chinoise, qui ne comprenait pas seulement l’acupuncture, mais aussi la médecine par les plantes ainsi que d’autres thérapies. Les raisons de cette décision étaient en partie d’ordre idéologique, dans la mesure où il voulait renforcer le sentiment de fierté nationale en mettant à l’honneur la médecine chinoise. Cependant, sa prise de position lui avait été aussi dictée par la nécessité. Il avait promis que des soins médicaux peu coûteux seraient accessibles à tout le monde que ce soit dans les zones urbaines ou rurales, programme qui ne pouvait être rempli qu’en s’appuyant sur les « médecins aux pieds-nus » et sur le réseau des guérisseurs traditionnels. Mao ne se souciait pas de savoir si la médecine chinoise traditionnelle était efficace ; son objectif était seulement de satisfaire les masses en tenant ses promesses. En fait, son médecin personnel, Zhisui Li, a écrit une biographie, intitulée La vie privée du président Mao, dans laquelle il rapporte cette déclaration du dirigeant chinois : « Bien que je pense nécessaire de mettre en avant la médecine chinoise, je n’y crois pas, personnellement. Je ne me sers pas de remèdes chinois. » [...].

Au début des années 1970, [des] observateurs ont été les témoins de démonstrations d’acupuncture chinoise véritablement ahurissantes. Peut-être que le cas le plus impressionnant fut [celui] d’une jeune femme de vingt huit ans qui subit une opération à cœur ouvert dont le but était de réparer sa valvule mitrale. De façon étonnante, les chirurgiens utilisèrent l’acupuncture au niveau du lobe de son oreille gauche, au lieu de lui administrer les anesthésiques habituels. L’un d’eux lui sectionna le sternum au moyen d’une scie circulaire électrique et lui ouvrit le thorax pour laisser voir son cœur. Le docteur Rosenfeld a rapporté que la jeune femme est restée éveillée et consciente durant toute l’opération : « Elle n’a jamais tressailli. On ne lui avait pas posé de masque sur le visage, ni fixé de cathéter à son bras pour procéder à une injection intraveineuse ... J’ai pris une photographie en couleur de cette scène inoubliable : la patiente souriante, son thorax ouvert et les mains du chirurgien tenant son cœur. Je la montre à tous ceux qui se moquent de l’acupuncture. »

L’engouement puis le doute

Ces démonstrations extraordinaires, décrites en détail par des médecins de bonne réputation, eurent un effet immédiat lorsqu’elles furent rapportées en Amérique. Les médecins se battaient pour suivre les cours intensifs d’acupuncture sur trois jours qui étaient donnés aussi bien en Amérique qu’en Chine, et les aiguilles d’acupuncture furent importées en Amérique de plus en plus massivement [...].

Timbre-poste commémorant la première opération de chirurgie cardiaque à coeur ouvert sous anesthésie par acupuncture (19 avril 1972).

Il semble maintenant extrêmement vraisemblable que nombre des démonstrations d’acupuncture lors d’opérations chirurgicales en Chine avaient été truquées : autrement dit, ces séances d’acupuncture étaient, en réalité, accompagnées de l’administration d’anesthésiques locaux, de sédatifs ou d’autres moyens de maîtriser la douleur. Ce genre de supercherie a encore été employé récemment, en 2006, lorsque la BBC a montré dans sa série télévisée « Alternative Medicine »une opération chirurgicale presque identique à celle observée par le docteur Rosenfeld trois décennies plus tôt, suscitant un vaste mouvement d’intérêt dans tout le Royaume-Uni [...]. Les journalistes britanniques et le grand public ont été stupéfiés par les extraordinaires images ainsi diffusées, mais un rapport du Collège royal des anesthésistes jette une lumière différente sur cette opération chirurgicale : « Il est évident, d’après sa physionomie et son aspect général, que la patiente a préalablement reçu des sédatifs [et des produits tels que] le fentanyl [qui] n’est pas, à proprement parler, un sédatif, mais un agent antalgique considérablement plus puissant que la morphine. On peut voir, en fait, sur l’enregistrement de la vidéo, comment ce dernier médicament est administré : il est injecté localement en grandes quantités pour anesthésier les tissus antérieurs du thorax où est pratiquée l’incision chirurgicale. » [...].

Les médecins américains qui se sont rendus en Chine au début des années 1970 ne s’attendaient pas à être confrontés à des supercheries ou à des manipulations politiques ; c’est pourquoi il a fallu quelques années avant que leur ardent et naïf soutien à l’acupuncture ne laisse place au doute. Finalement, au milieu des années 1970, il est devenu clair à beaucoup d’entre eux que l’utilisation en Chine de l’acupuncture comme anesthésique en chirurgie devait être regardée avec scepticisme.

Premières mises à l’épreuve

Cela ne signifie pas pour autant que les médecins occidentaux se soient fermés à la totalité de ce que recouvre l’acupuncture. Les affirmations les plus extravagantes sur les pouvoirs de cette dernière étaient sans doute dépourvues de tout fondement, mais peut-être que nombre de ses autres bénéfices thérapeutiques supposés étaient réels. La seule façon de le découvrir était de soumettre l’acupuncture aux mêmes protocoles qui étaient demandés à tout autre traitement [...].

Au cours des années 1970, des universités et des hôpitaux dans tous les États-Unis ont commencé à soumettre l’acupuncture à des essais cliniques, tous s’inscrivant dans un vaste mouvement visant à évaluer les effets de cette pratique sur une gamme variée de maux [...].

Une évaluation positive de l’OMS...

Vers la fin des années 1970, un nombre énorme d’essais avait été mené ; c’est pourquoi, en 1979, un congrès interrégional de l’Organisation Mondiale de la Santé demanda à R.H. Bannerman de faire le point sur les preuves en faveur ou à l’encontre de l’acupuncture. Ses conclusions ont offusqué les

sceptiques et donné raison aux Chinois. Dans son rapport, intitulé « Acupuncture : le point de vue de l’OMS », Bannerman écrit qu’il y a plus de vingt maladies qui « se prêtent à un traitement par acupuncture », au nombre desquelles la sinusite, le rhume, l’angine, la bronchite, l’asthme, les ulcères duodénaux, la dysenterie, la constipation, la diarrhée, les maux de tête et les migraines, l’ankylose de l’épaule, la synovite du coude, la sciatique, les douleurs lombaires et l’arthrose. Le rapport de l’OMS, ainsi que d’autres commentaires positifs du même genre, marquèrent un tournant important en ce qui concerne la crédibilité de l’acupuncture en Occident.

Les apprentis acupuncteurs purent désormais s’inscrire à des programmes d’enseignement en toute confiance, rassurés de savoir qu’il s’agissait d’une thérapeutique réellement efficace. De même, le nombre des patients désireux de subir ce type de traitement commença à s’accroître rapidement, tandis qu’ils devenaient de plus en plus convaincus des pouvoirs de l’acupuncture. Par exemple, en 1990, rien qu’en Europe, il y avait 88 000 acupuncteurs, et plus de vingt millions de patients avaient été traités. Nombre des acupuncteurs étaient des praticiens indépendants, mais, petit à petit, cette thérapeutique s’est intégrée en tant qu’option au sein de la médecine conventionnelle. Une enquête de l’Association médicale britannique en 2002 le mit bien en lumière, en révélant que, à cette date, près de la moitié des médecins en exercice avaient réalisé des séances d’acupuncture pour leurs patients.

Le mystère des mécanismes à l’œuvre

Il restait cependant un mystère : quel pouvait bien être le mécanisme rendant l’acupuncture si efficace ? Bien que les médecins occidentaux fussent maintenant tout disposés à admettre que l’implantation d’aiguilles en des points spécifiques du corps pouvait conduire à des changements apparemment spectaculaires dans l’état de santé d’une personne donnée, ils demeuraient hautement sceptiques quant à l’existence des méridiens ou à la circulation de l’énergie vitale (Qi).

Ces derniers concepts n’ont aucun sens en termes de biologie, de chimie ou de physique, et sont, en fait, fondés sur des croyances traditionnelles anciennes [...]. De nos jours, la médecine moderne continue à se développer en étudiant l’anatomie humaine dans des détails toujours plus ténus, grâce à des microscopes toujours plus puissants et des instruments de dissection toujours plus fins. En outre, il est possible de nos jours de voir fonctionner le corps vivant grâce à des appareils tels que les endoscopes, les radios aux rayons X, l’imagerie par résonance magnétique (IRM), le scanner, l’échographie par ultrasons : et pourtant, les scientifiques restent incapables de trouver la moindre parcelle de preuve en faveur de l’existence des méridiens ou du Qi.

Cependant, en ce qui concernait la douleur, deux théories hypothétiques présentaient une certaine crédibilité. La première d’entre elles, ou théorie des portillons modulant le message douloureux, [suggère] que certaines fibres nerveuses acheminant des messages depuis la peau jusqu’à des centres nerveux plus internes avaient en même temps la possibilité de clore ce qui a été appelé des « portillons » [...]. C’est ainsi que des stimuli relativement faibles pouvaient éventuellement arriver à supprimer de forts messages douloureux provenant d’autres régions du corps [...]. La théorie des portillons modulant le message douloureux a fait l’objet d’un large consensus, permettant, par exemple, d’expliquer pourquoi le fait de frotter un membre douloureux peut procurer un certain apaisement [...]. Mais son application à l’acupuncture restait non prouvée.

La seconde théorie pouvant expliquer les effets de l’acupuncture a fait appel à l’existence de composés chimiques, les opioïdes, des agents naturels au sein du cerveau, agissant comme de puissants suppresseurs de la douleur. Les plus importants d’entre eux sont appelés « endorphines ». Certaines études ont effectivement montré que l’acupuncture stimule la libération de ces composés chimiques dans le cerveau. Bien entendu, les acupuncteurs ont salué ces études, mais, de nouveau, des sceptiques se sont fait entendre. Ils ont mis en doute que l’acupuncture était capable de provoquer la libération de quantités suffisamment grandes d’endorphines pour que cela détermine un soulagement important de la douleur, et ils ont pointé d’autres études qui n’ont pas réussi à confirmer l’existence d’un lien entre endorphines et acupuncture.

En bref, il y avait donc deux théories éventuellement capables d’expliquer les effets de l’acupuncture, mais elles sont toutes deux restées trop hypothétiques pour pouvoir emporter l’adhésion de l’institution médicale. C’est pourquoi, au lieu d’accepter l’une ou l’autre de ces théories, les scientifiques ont appelé à approfondir les recherches.

Par ailleurs, ils ont aussi commencé à proposer une autre explication distincte pour rendre compte du soulagement de la douleur procuré par l’acupuncture [...]. Malheureusement pour les acupuncteurs, cette troisième théorie attribue les mérites éventuels de l’acupuncture à l’effet placebo, un phénomène controversé connu de longue date en médecine [...].

Un simple effet placebo ?

Afin d’évaluer les mérites réels de l’acupuncture [...], les chercheurs devaient, d’une manière ou d’une autre, tenir compte de l’influence capricieuse, variable et parfois forte, de l’effet placebo. Ils allaient réussir dans cette entreprise grâce à la mise au point d’un type d’essai clinique presque totalement à l’abri de toute influence susceptible de le fausser. Ce type d’essai véritablement rigoureux est appelé « essai en double aveugle ». On peut donc dire qu’un essai réellement bien conduit doit idéalement obéir à plusieurs règles fondamentales, dont certaines ont d’ailleurs déjà été énoncées au chapitre 1 (voir encadré).

Ecarter l’effet placebo grâce aux essais en double aveugle

Un essai en double aveugle répond aux sept critères suivants :

  1. Il doit consister en une comparaison entre un groupe « contrôle » et un groupe recevant le traitement que l’on désire évaluer.
  2. Il faut un nombre suffisamment grand de patients dans chaque groupe.
  3. Les patients doivent être assignés aléatoirement à chaque groupe.
  4. Le groupe « contrôle » doit se voir administrer un placebo.
  5. Les groupes « traité » et « contrôle » doivent être soumis à des conditions identiques.
  6. Les patients doivent être « en aveugle » sur le point de savoir à quel groupe ils appartiennent.
  7. Les médecins doivent être « en aveugle » sur le point de savoir s’ils administrent soit un traitement réel soit un placebo à chaque patient.

Revenant à l’acupuncture, nous pouvons maintenant réexaminer les essais cliniques des années 1970 et 1980 [...]. Nombre des [ces] essais souffraient d’un sérieux problème : ils ne pouvaient déterminer si l’acupuncture offrait un réel bénéfice ou s’il s’agissait simplement d’un effet placebo. La façon idéale de prouver que l’acupuncture était réellement efficace aurait été de donner un traitement placebo au groupe « contrôle », c’est-à-dire de lui administrer quelque chose semblant identique à l’acupuncture mais complètement inactif. Malheureusement, trouver ce genre de placebo s’est révélé difficile : comment inventer une thérapeutique qui ressemblerait à l’acupuncture, mais qui ne serait pas réellement de l’acupuncture ? Comment obtenir que les patients soient « aveugles » sur le point de savoir s’ils sont traités ou non par acupuncture ? [...].

Petit à petit, cependant, les chercheurs ont commencé à imaginer deux méthodes permettant de faire croire aux patients qu’ils sont en train de subir une véritable séance d’acupuncture, alors qu’ils sont, en fait, en train d’être traités par une fausse acupuncture. L’une de ces méthodes consiste à n’implanter les aiguilles que peu profondément, alors que la plupart des acupuncteurs les enfoncent généralement à un centimètre de profondeur ou davantage. La raison de cette implantation superficielle des aiguilles est qu’elle peut apparaître semblable à l’implantation réelle aux yeux des patients qui n’ont jamais eu précédemment de séances authentiques d’acupuncture, alors que, selon la théorie chinoise, une telle implantation peu profonde ne procure aucune amélioration médicale, puisque les aiguilles n’atteignent pas les méridiens [...].

L’autre façon de pratiquer une acupuncture « placebo » consiste à implanter des aiguilles en des points qui ne sont pas des points reconnus de l’acupuncture. Selon les conceptions traditionnelles de l’acupuncture, de telles localisations n’ont rien à voir avec l’état de santé du patient. Ces implantations d’aiguilles au mauvais endroit pourraient évoquer de l’authentique acupuncture aux yeux de patients n’ayant jamais subi de véritables séances auparavant, mais selon la théorie chinoise, ces implantations erronées d’aiguilles ne devraient procurer aucune amélioration, puisqu’elles passent à côté des méridiens [...].

Reprise par l’OMS de son jugement de 1979

À la fin du vingtième siècle, les essais cliniques ont commencé à produire une nouvelle série de résultats sur l’acupuncture. De façon générale, ces essais étaient de meilleure qualité que ne l’avaient été les précédents, et certains d’entre eux ont examiné l’effet de l’acupuncture sur des maux et des maladies qui n’avaient pas été considérés auparavant. Face à cette abondance de données nouvelles, l’OMS décida de relever le défi et de faire la synthèse de toutes ces recherches pour en tirer un certain nombre de conclusions [...].

Ils prirent en considération les résultats rapportés dans 293 articles de recherche et publièrent leurs conclusions en 2003 dans un rapport intitulé « Acupuncture : passage en revue et analyse des articles de recherche portant sur des essais cliniques contrôlés ». [Le rapport] concluait qu’il avait été « prouvé » ou « montré » que le traitement par acupuncture provoquait des améliorations dans le cas de quatre-vingt-onze maladies. Il se prononçait de façon modérément positive ou ambiguë pour ce qui concernait seize autres maladies. En tout cas, il n’excluait pas le recours à l’acupuncture dans le cadre de n’importe quelle maladie. Ainsi l’OMS donnait à l’acupuncture une approbation retentissante, renforçant donc son rapport de 1979 [...]. Il serait naturel de penser que le jugement de l’OMS représente le mot de la fin dans le débat sur l’acupuncture, puisque l’OMS est une autorité internationale dans le domaine médical et que l’acupuncture se révèle ainsi être une remarquable thérapeutique. En fait, ce n’était pas du tout aussi clair que cela.

Malheureusement, comme nous allons le voir, le rapport de 2003 de l’OMS était affreusement trompeur.

Les deux grandes erreurs méthodologiques de l’OMS

L’OMS avait commis deux grandes erreurs dans la façon dont elle avait jugé l’efficacité de l’acupuncture. La première était que les experts avaient pris en compte les résultats d’un trop grand nombre d’essais cliniques. Cela peut sembler une critique paradoxale [...]. Cependant, si certains des essais avaient été mal conduits, alors leurs résultats allaient être trompeurs et influencer à tort la conclusion générale sur l’ensemble des essais [...]. En réalité, l’OMS avait pris en considération presque tous les essais ayant été conduits jusque-là, parce qu’elle s’était fixé un seuil de qualité relativement bas [...].

La seconde erreur était que l’OMS avait retenu les résultats d’un grand nombre d’essais sur l’acupuncture effectués en Chine, alors qu’il aurait été préférable de les exclure. À première vue, ce rejet des essais chinois pourrait sembler déloyal et discriminatoire, mais il faut savoir qu’il règne une forte suspicion sur la recherche en acupuncture menée en Chine [...]. La raison première d’attribuer aux chercheurs chinois l’origine de la contradiction entre

les résultats obtenus à l’Occident et à l’Orient est que les leurs sont tout simplement trop bons pour être vrais. Cette critique a été confirmée par des analyses statistiques soigneuses de tous les résultats obtenus par les chercheurs chinois, analyses démontrant, au-delà de tout doute raisonnable, que les chercheurs chinois sont coupables de ce que l’on appelle le biais statistique lié au système de publication [...]. L’acupuncture est un sujet majeur de fierté en Chine, de sorte [qu’un] chercheur va publier rapidement et fièrement son résultat positif dans un périodique scientifique. Il peut même obtenir de l’avancement dans sa carrière en raison de ce travail. Un an plus tard, il va réaliser un deuxième essai similaire au premier, mais cette fois-ci, le résultat va être négatif [...]. Le point fondamental est que cette seconde recherche peut éventuellement ne jamais faire l’objet d’aucune publication, et ceci, pour de multiples raisons [...].

Le rapport de l’OMS n’était pas seulement faussé et trompeur ; il était aussi dangereux, puisqu’il approuvait l’usage de l’acupuncture pour toute une série de maladies, dont certaines très graves, comme l’atteinte des artères coronaires cardiaques. Cela soulève la question de savoir pourquoi et comment l’OMS a pu écrire un rapport aussi irresponsable ?

Le politiquement correct avant la vérité scientifique ?

L’OMS a une excellente réputation en ce qui concerne la médecine conventionnelle, mais, dans le domaine des médecines alternatives, elle semble faire passer le « politiquement correct » avant la vérité. En d’autres termes, la critique de l’acupuncture aurait pu être perçue comme une critique de la Chine, des sagesses anciennes et, globalement, de la culture orientale. En outre, généralement, lorsque des commissions d’experts sont mises en place afin de passer en revue et d’évaluer des recherches scientifiques, la règle veut que l’on y fasse figurer des experts connaissant bien le sujet mais d’opinions variées. Et, fondamentalement, la commission doit comprendre des personnes à l’esprit critique qui vont mettre en doute et contester chaque point ; sinon, les délibérations de la commission ne représenteront rien d’autre qu’une pure perte de temps et d’argent. Or, la commission de l’OMS sur l’acupuncture ne comprenait pas un seul critique de l’acupuncture. Elle ne représentait donc qu’un simple groupe de personnes croyant en l’acupuncture, qui, ce n’est pas surprenant, procéda à une évaluation manquant pour le moins d’objectivité. Mais le point le plus contestable de tous est celui-ci : le rapport fut rédigé, revu et corrigé par le docteur Zhu- Fan Xie, qui était le directeur honoraire de l’Institut des médecines intégrées de Beijing, institut qui soutient totalement l’emploi de l’acupuncture pour toute une série de maladies. Il est généralement considéré comme inapproprié d’associer aussi étroitement dans l’écriture d’une étude médicale une personne présentant un tel conflit d’intérêt majeur [...]. Fort heureusement, plusieurs universitaires de par le monde ont remédié à l’incurie de l’OMS et ont fourni leurs propres bilans de ces recherches [...].

La collaboration Cochrane

Dans ce domaine, l’autorité la plus célèbre et la plus respectée est peut-être l’organisation appelée la « Collaboration Cochrane » [Voir encadré], qui est un réseau d’experts disséminés dans le monde entier, coordonné par son siège central situé à Oxford. Adhérant fermement aux principes de la médecine fondée sur des preuves, la Collaboration Cochrane s’est fixé pour but d’examiner les essais cliniques et d’autres types de recherche médicale afin d’offrir aux médecins des conclusions faciles à comprendre sur la question de savoir quels traitements sont authentiquement efficaces pour telle maladie [...].

Fondée en 1993, la Collaboration Cochrane est une organisation internationale, indépendante à but non lucratif, qui a pour but d’apporter des informations actualisées de haute qualité sur l’efficacité des interventions en santé. Elle regroupe à ce jour plus de 28 000 collaborateurs (professionnels de santé, chercheurs et patients) dans 100 pays dans le monde.

Activités. La Collaboration Cochrane produit et diffuse des revues systématiques sur l’évaluation des interventions en santé, qui sont publiées mensuellement en ligne dans la Bibliothèque Cochrane (The Cochrane Library). La Bibliothèque Cochrane et les revues systématiques Cochrane constituent le produit principal de la Collaboration Cochrane. La mission principale de nos contributeurs est de produire des revues systématiques Cochrane. Ils sont aussi impliqués dans des activités connexes comme : favoriser les données probantes dans la prise de décisions en santé, former à la préparation de revues Cochrane, améliorer la méthodologie des revues systématiques, et traduire les revues Cochrane de l’anglais vers d’autres langues.

Principes. Nous avons comme but d’améliorer la communication et la transparence dans la prise de décision, le travail en équipe et la diversité, et un accès facilité aux travaux de la Collaboration Cochrane. Nous croyons en un partenariat équilibré entre le patient, le professionnel de santé et le décideur en santé, qui contribue à l’efficacité du système des soins en santé.

Financement. Nous sommes un organisme indépendant et à but non lucratif. à ce titre, nous n’acceptons aucun financement privé ou source de conflits d’intérêt. Ce point est essentiel afin d’assurer que nos informations produites soient fiables et que les personnes qui y travaillent soient libres de toute pression privée ou financière. Nos financements proviennent principalement de gouvernements, d’universités, d’organismes de bienfaisance et de dons personnels. Chaque entité et chaque auteur de revue systématique doit trouver son propre financement. Trouvez plus de détails sur le financement de la Collaboration Cochrane, et accédez à la liste complète de nos financeurs.

Signification du nom. Le nom de la Collaboration « Cochrane » fait référence à l’épidémiologiste britannique, Archie Cochrane (1909-1988). Il a préconisé la synthèse d’information dans les essais cliniques et a ainsi grandement contribué au développement de l’épidémiologie en tant que science.

Les bilans de la Collaboration Cochrane suggèrent qu’il n’existe pas de preuve convaincante de l’efficacité de l’acupuncture pour les cas médicaux suivants : la dépendance au tabac, la dépendance à la cocaïne, le déclenchement des contractions d’accouchement, la paralysie de Bell, l’asthme chronique, la rééducation après un accident vasculaire cérébral, la présentation du nouveau-né par le siège lors de l’accouchement, la dépression, l’épilepsie, le syndrome du canal carpien, le syndrome de l’intestin irritable, la schizophrénie, l’arthrite rhumatoïde, l’insomnie, le mal de dos non spécifique, l’inflammation latérale du coude, la douleur de l’épaule, la lésion des tissus mous de l’épaule, les nausées matinales, le recueil des ovocytes en vue de la fécondation in vitro, le glaucome, la démence vasculaire, le syndrome des règles douloureuses, le traumatisme des vertèbres du cou, l’accident vasculaire cérébral. Sur la base de l’examen de quantités d’essais cliniques, les bilans de la Collaboration Cochrane concluent que les améliorations apparemment procurées par l’acupuncture dans tous les cas médicaux énumérés ci-dessus ne sont rien d’autres que des effets placebo [...].

La bonne nouvelle pour les praticiens de l’acupuncture, c’est que les bilans critiques systématiques de la Collaboration Cochrane ont été plus encourageants sur la capacité de l’acupuncture à traiter d’autres cas. Il y a eu des bilans Cochrane prudemment optimistes sur le traitement des douleurs dorsales et pelviennes durant la grossesse, des douleurs lombaires, des maux de tête, des nausées et vomissements post-opératoires, des nausées et vomissements induits par la chimiothérapie, des affections du cou et de l’incontinence urinaire nocturne. Donc, mis à part cette dernière, ce n’est que pour certains types de douleurs et de nausées que le traitement par acupuncture s’est vu reconnaître des effets positifs.

Cependant, même dans ces cas où les bilans Cochrane sont les plus positifs au sujet des améliorations apportées par l’acupuncture, il est important de remarquer que leur approbation est hésitante. Par exemple, dans le cas des maux de tête idiopathiques, c’est-à-dire de ceux qui surviennent sans raison apparente, le bilan Cochrane déclare : «  Globalement, les preuves disponibles sont en faveur de l’acupuncture comme moyen de soulager les maux de têtes idiopathiques. Cependant, la qualité et la quantité des preuves fournies ne suffisent pas à emporter une complète conviction. »

Puisque les preuves ne sont que légèrement positives et pas complètement convaincantes, même dans le domaine des douleurs et des nausées, les chercheurs ont concentré leurs efforts pour améliorer la qualité et la quantité des preuves afin d’arriver à des conclusions plus solides [...].

Des biais difficiles à éliminer

Malheureusement, il ne sera jamais possible de réaliser des essais cliniques parfaits en acupuncture, parce qu’un essai parfait se mène en double aveugle, ce qui demande que ni le patient, ni le praticien ne sachent si le traitement en cours est réel ou placebo. Dans un essai en acupuncture, le praticien connaîtra toujours la nature, réelle ou placebo, du traitement qu’il administre. Il pourrait sembler que cela n’ait pas grande importance, mais il y a un risque que le praticien fasse inconsciemment savoir au patient, par le biais du langage du corps ou par celui du ton de sa voix, qu’il est en train de lui administrer un traitement placebo. Il se pourrait que, dans certains essais cliniques, les résultats légèrement positifs présentés par l’acupuncture pour le traitement des douleurs ou des nausées proviennent des légers biais statistiques qui ne sont pas éliminés dans le cadre d’essais en « simple aveugle » [...].

Médecines douces : info ou intox ?

Simon Singh et Edzard Ernst

éditions Cassini 2014, 407 pages, 22 €

Table des matières : Introduction - Comment établit-on la vérité ? - La vérité sur l’acupuncture - La vérité sur l’homéopathie - La vérité sur la chiropraxie - La vérité sur la phytothérapie - La vérité importe-t-elle ? Appendice : Petit guide des thérapies alternatives.

1 Appel en faveur de Simon Singh : La loi n’a pas sa place dans les controverses scientifiques. Appel en faveur de Simon Singh

Publié dans le n° 311 de la revue


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Les auteurs

Simon Singh

Simon Singh est physicien, journaliste, producteur d’émissions scientifiques à la BBC et auteur d’ouvrages de (...)

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Edzard Ernst

Edzar Ernst est professeur de médecine (retraité depuis 2010). Il a dirigé pendant près de vingt ans une unité de (...)

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Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.