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La troisième croisade créationniste

Publié en ligne le 3 novembre 2005 - Créationnisme -

Du « Procès du Singe » en 1925...

Le 21 juillet 1925, un juge du Tennessee condamnait un jeune enseignant, Thomas Scopes, à une amende de 100 $ pour avoir enseigné l’évolution aux élèves de l’école publique de Dayton. Un formidable débat avait embrasé les Etats-Unis à cette occasion. Ce qui va être connu sous le nom de « Procès du Singe » laissera assez indifférents la presse et les intellectuels français de l’époque. L’histoire se répèterait-elle maintenant ? L’enseignant de Dayton était condamné en vertu d’une loi de l’État qui interdisait à « tout enseignant d’Université, d’École normale ou de toute autre école publique financée partiellement ou totalement par des fonds de l’État, une théorie qui nie l’histoire de la Création divine de l’homme, telle qu’elle est enseignée dans la Bible ». Le pays était alors en proie à une véritable croisade anti-évolutionnisme, relayée dans de nombreux états et même au niveau fédéral : lois et projets de lois, retraits de manuels scolaires coupables de présenter l’homme comme un cousin ou un descendant du singe...

... au « créationnisme scientifique des années » 1980...

La seconde croisade des années 1980 renouvelle les thèmes et développe une argumentation plus sophistiquée. Mais la continuité avec l’affaire du « Procès du Singe » est évidente : si « l’homme descend du singe », alors Adam n’est plus le fruit d‘une création divine... et tout un édifice religieux risque de s’effondrer. De plus, admettre les théories de l’évolution, ce serait reconnaître que la Bible n’est plus la référence intangible de l’histoire de l’homme. Et ce sont bien dans les milieux fondamentalistes que l’on va de nouveau retrouver les forces vives de cette seconde croisade. Comme au début du siècle, l’école est la cible principale. La voie législative va être privilégiée pour concrétiser les objectifs recherchés. En 1981, point d’orgue de la campagne, une loi votée par 69 voix contre 18 par la chambre de l’État de l’Arkansas précise que « à l’intérieur de l’État, les écoles publiques devront dispenser un enseignement équivalent du créationnisme et de l’évolutionnisme ».

Dans le même temps, le créationnisme s’infiltre dans la réforme des manuels scolaires. L’édition scolaire est en effet un des maillons les plus importants du système d’enseignement américain. Les efforts sont portés tout d’abord sur la Californie qui représente 10% du marché du livre scolaire. Les pressions sont organisées : intérêts commerciaux obligent, les éditeurs aseptisent leurs manuels d’année en année. Darwin a de plus en plus de mal à y trouver place.

Ce qui distingue cette nouvelle offensive contre la théorie de l’évolution est sa revendication de scientificité. Ainsi, un véritable réseau d’associations va se développer, au cœur duquel se trouve l’Institut pour la Recherche sur la Création. Le principal angle d’attaque consiste à disséminer des arguments supposés ébranler les hypothèses évolutionnistes. Comment concilier une Terre âgée d’environ 4 milliards d’années et un récit biblique de la création de quelques milliers d’années ? Les créationnistes vont alors ironiser sur les « spéculations » des scientifiques, « supposant » que les lois de la physiques sont inchangées dans le temps... Les fossiles dont l’origine remonterait à des dizaines ou des centaines de milliers d’années ? Mais qu’est-ce qui permet d’affirmer que les procédés de datation sont valides ? L’« argumentation scientifique » des créationnistes sera fournie, s’appuyant sur des « instituts », des congrès et colloques, des « revues scientifiques », délivrant même des thèses de doctorat, le tout étant relayé par d’innombrables associations. La moindre interrogation scientifique est utilisée pour affirmer avec force que l’évolution n’est « qu’une théorie », une théorie parmi d’autres... et en particulier, celle de la création biblique. La conclusion doit alors s’imposer : les deux « théories » doivent être présentées dans les écoles sur un pied d’égalité.

Longtemps incrédules devant ce phénomène, les enseignants en biologie, les chercheurs, les laïques seront véritablement surpris et abasourdis par la décision de l’Arkansas. Ils découvriront une gangrène profonde, s’appuyant sur un obscurantisme savamment entretenu.

... et à l’« Intelligent Design » du début du XXIe siècle.

Le mouvement fondamentaliste aux États-Unis connaît un regain inquiétant depuis la réélection de George Bush. Une troisième croisade est en cours... bien que la seconde ne se soit jamais réellement terminée. « Nous avons, en ce moment, la meilleure situation politique que nous ayons jamais eue », explique Jayd Henricks, un des responsables de Family Research Concil 1. Cette association de la droite radicale chrétienne fait feu de tout bois : des centaines de groupes sont actifs de par le pays, relayés par des élus locaux, qui introduisent dans les législatures des mesures anti-avortement, anti-gay, anti-Darwin. Et l’école est à nouveau une cible privilégiée. Le choix des manuels scolaires, les règlements des écoles, forment le maillon faible bien identifié. Selon une enquête publiée par l’Association américaine des professeurs de sciences (NSTA), 31 % des enseignants « se sentent contraints d’inclure dans leurs cours des idées liées au créationnisme », la pression venant des parents ou des élèves. Mais s’il existe de nouveau une continuité avec les croisades précédentes, il importe de souligner l’élément nouveau. Dieu, La Bible et la Création sont mis en retrait. Trop difficile pour emporter une adhésion immédiate et des résultats concrets. L’« Intelligent design » prend le relais (voir Créationnisme contre science : l’« Intelligent Design » bientôt près de chez nous de Cyril Fiévet).

Dissémination hors des États-Unis ?

Les visées fondamentalistes ne connaissent pas de frontière. L’Australie a été la première touchée. Au début des années 1980, l’Etat du Queensland autorise l’enseignement du Créationnisme dans les écoles. Ian Plimer,professeur de géologie à l’Université de Melbourne, qui refuse l’infiltration du système éducatif de son pays, sera la cible des fondamentaliste. Procès après procès, si la fraude scientifique des partisans de la création est établie, le porte-monnaie devient l’arme décisive : Ian Plimer a dû vendre sa maison pour continuer les procès et reste couvert de dettes. Malgré un soutien public et international, malgré la récolte de fonds (200 000 dollars en 1997), malgré un procès gagné, malgré une reconnaissance internationale.

Les profits tirés des actions et du commerce aux USA et en Australie permettent à l’Institut pour la Recherche sur la Création de préparer son extension à tous les continents. Colloques et congrès sont organisés. Si, dans un premier temps, la sphère publique, les écoles en particulier, ne sont pas impactés en Europe, on sent bien que le prédateur tourne autour de sa proie. « Nous devons reconnaître que la théorie de l’évolution n’est pas complète et que nous découvrons encore de nouvelles choses ». Fort de ce constat, la ministre de l’Education néerlandaise, la chrétienne-démocrate Maria van der Hoeven, vient d’affirmer sa volonté d’organiser un débat entre défenseurs de l’évolution, enseignée dans les écoles néerlandaises, et les partisans religieux du créationnisme ou de sa version plus présentable, le « dessein intelligent ».

En France, l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP), organisation financée sur fonds privés qui n’a d’Université que le nom, travaille activement à l’introduction de la spiritualité dans les sciences et dans la société pour guérir les maux qui nous frappent. Elle n’est pas ouvertement créationniste, et sans doute bon nombre de ses membres ne le sont pas. Mais elle crée petit à petit ce qui servira de caution scientifique, de source d’argumentation à la version plus présentable du Créationnisme, l’Intelligent Design (voir La croisade de l’UIP contre le matérialisme).

Les procès gagnés en fin de XXe siècle contre les créationnistes l’ont été grâce à l’inscription dans la Constitution américaine de la Séparation des Églises et de l’État, seul rempart qui tienne 2.

Soyons vigilants, et pour cela, informons.

1 Cité par le journal Le Monde, 22 mai 2005.

2 « Nous répétons, avec conviction, que nous avons fondé l’existence même de notre pays sur la foi que la séparation de l’Église et de l’État est la meilleure solution pour l’Église et pour l’État ». Dans la conclusion de la Cour Fédérale annulant la loi de l’Arkansas de 1981, cité par Dominique Lecourt L’Amérique entre la Bible et Darwin, page 186.

Publié dans le n° 268 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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Que la pâte soit avec vous !

Le 1er février 2012