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La science en état de siège en Europe

Publié en ligne le 20 avril 2015 - OGM et biotechnologies -

Dans divers dossiers (dont celui des OGM), la politique a pris le pas sur les faits scientifiques, en France et dans d’autres États membres de l’Union Européenne (UE). Cette dérive risque maintenant de toucher la Commission européenne (CE). Le mardi 22 juillet 2014, neuf organisations de l’écologie politique ont demandé au nouveau président de la CE, Jean- Claude Juncker, de supprimer le poste de conseiller scientifique en chef, actuellement détenu par le professeur Anne Glover : « Nous espérons que vous, en tant quefutur président de la CE, décidiez de ne pas nommer un conseiller scientifique en chef et que, en remplacement, la CE prendra ses conseils d’une variété de sources indépendantes et multidisciplinaires » 1, conclut la lettre dont les signataires comprennent Greenpeace et la Fondation Sciences Citoyennes [1].

On peut désormais craindre qu’une nouvelle étape ne soit franchie en Europe dans la désinformation en matière scientifique et technique, comme c’est le cas sur les biotechnologies agricoles, mais plus largement et dans d’autres domaines.

Des manœuvres gouvernementales qui déforment les faits scientifiques

Dans le cas des plantes dites génétiquement modifiées (GM), alors que les autorités scientifiques, parmi les plus importantes mondialement dans le domaine de la sécurité alimentaire, ont jugé que les variétés GM mises sur le marché sont aussi sûres que les variétés conventionnelles, les organisations anti-OGM et les politiciens verts restent inflexibles dans leur opposition, en fait parce que les OGM ne sont pas conformes à leur vision politique prédéterminée.

En France, ils ont déjà atteint leur objectif. Deux gouvernements successifs

ont conclu des accords avec les politiciens verts afin d’améliorer leur image « écologique » et en espérant, de manière illusoire, engranger des gains électoraux à court terme. Le résultat est que les agriculteurs français, qui avaient accru les cultures de maïs GM (MON810) jusqu’en 2007, ne peuvent plus maintenant le cultiver du tout. Il n’y a même plus d’essais au champ. 

En Europe, jusqu’à récemment, la législation européenne était censée permettre la culture de variétés GM après avis scientifique positif, puis un vote des États. Ces derniers pouvaient en outre demander une interdiction, à condition de présenter une justification scientifique recevable. Cédant au populisme, dans l’espoir d’avantages politiques, les gouvernements en Autriche, Allemagne, France, Grèce, Hongrie, Luxembourg et Italie ont tous interdit la culture du maïs GM autorisé au niveau européen. Mais les arguments « scientifiques » sur lesquels ces interdictions avaient été basées étaient défaillants, pour dire le moins. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), sollicitée par la Commission européenne, a ainsi toujours rejeté les arguments présentés par ces États.

L’EFSA : des digues en train de rompre

La réplique des militants anti-OGM a été d’accuser de manière récurrente l’EFSA de « conflits d’intérêts ». En mars 2014, ils ont même envahi son siège à Parme, donnant lieu à des affrontements avec la police.

Ce qui se dessine actuellement – de manière visible sur les OGM – est encore plus grave : c’est toute la démarche scientifique qui va être mise en cause à travers tout le continent. Plutôt que de défendre l’EFSA, les autorités de l’UE l’ont contrainte à accueillir un éventail de « parties prenantes » non scientifiques, acceptables par les lobbyistes écologistes, qui seront impliquées dans son travail – qui s’étend bien au-delà des OGM. Le 17 juillet 2014, l’EFSA a ainsi publié un document de discussion sur la façon d’« ouvrir » sa science [2]. Cette invitation, intitulée « La science ouverte à l’EFSA – accorder une plus grande place à la société », sous couvert de « transparence », procède d’un relativisme dangereux, où les avis des experts risquent d’être faussés par des avis non scientifiques.

Une situation politique qui empire en Europe

En raison de décisions politiques, l’UE est maintenant dans la situation où elle importe 75 % de son alimentation du bétail, qui contient des récoltes de cultures GM, sans que ses agriculteurs puissent les cultiver. Plus ridicule encore, la Roumanie, qui était un grand producteur de soja GM avant de rejoindre l’UE, se voit désormais interdit de le cultiver et, par conséquent, importe le même soja.

De plus, une proposition émise en 2010 par le président de la Commission précédente, José Manuel Barroso, permettant aux États membres d’interdire la culture des OGM pour des raisons non scientifiques, a maintenant été approuvée. En s’engageant sur cette voie, l’UE a fait un regrettable pas en arrière, reléguant la science à une position d’importance secondaire.

Il est à craindre maintenant que la nouvelle Commission, en connivence avec les organisations vertes, ne détruise ce qui reste de l’industrie européenne des biotechnologies végétales. Manifestement, ces groupes écologistes avaient déjà pignon sur rue. Comme l’ancien ministre britannique de l’Environnement, Owen Patterson, l’a dénoncé : « une stupéfiante somme de 150 millions d’euros a été versée aux neuf premières ONG vertes entre 2007 et 2013 ». Le lobby vert peut aujourd’hui sérieusement proposer la suppression du poste de conseiller scientifique en chef, non seulement car il a peu d’égards pour la science, mais aussi parce qu’il considère qu’il sera écouté par des oreilles favorables à la Commission.

Les scientifiques vont-ils se rebiffer ?

Cette fois-ci, des institutions scientifiques européennes se défendent. Par exemple, l’European Plant Science Organisation (EPSO ; [3]) qui représente 227 établissements publics de recherche à travers l’Europe a écrit à Juncker : « Pour que les citoyens européens aient confiance dans la façon dont nos institutions évaluent et élaborent des politiques, ils doivent être assurés de l’accès à des conseils scientifiques indépendants au plus haut niveau et que cette indépendance ne soit pas compromise ».

La façon dont Juncker réagira donnera le ton de la politique de la Commission pour les années à venir. Mais les signes ne sont pas encourageants. Au sujet des OGM, Juncker a déclaré le 15 juillet 2014 [4] que « la Commission devrait pouvoir conférer à la position majoritaire de gouvernements démocratiquement élus au moins autant de poids qu’aux avis scientifiques, notamment lorsqu’il en va de la sécurité des aliments que nous consommons et de l’environnement dans lequel nous vivons », opposant ainsi ce qui n’a pas à être opposé : la science et la démocratie.

Ces événements récents sont extrêmement inquiétants pour l’avenir de la biotechnologie végétale dans l’UE. Plus généralement, il y a à l’heure actuelle peu d’espoir d’une société fondée sur la connaissance, comme espérée par la CE il y a déjà de nombreuses années.

Références

1 | www.donotlink.com/framed?533058 (indisponible—28 mai 2020)
2 | www.efsa.europa.eu/fr/press/news/140717.htm (disponible sur archive.org—28 mai 2020)
3 | www.epsoweb.org/file/1826 (disponible sur archive.org—28 mai 2020)
4 | ec.europa.eu/about/juncker-commissi...

1 Les diverses citations ont été traduites par les auteurs [JD et MK].