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La psychopathologie de la vie quotidienne ou quand Freud déménage du matin au soir (note de lecture n°2)

Publié en ligne le 1er février 2016
La psychopathologie de la vie quotidienne ou quand Freud déménage du matin au soir
René Pommier

Éditions Kimé, Coll. « détours littéraires », 2015, 130 pages, 16 €

Je l’ai dit en commençant, la psychopathologie de la vie quotidienne n’est pas un livre constamment inepte. Il l’est pourtant le plus souvent, il l’est profondément, il l’est essentiellement.

(p. 121)

Nous sommes habitués à trouver en René Pommier 1 un auteur féroce (mais jamais gratuitement) d’une remarquable acuité, et son nouvel opus ne déroge certes pas à la règle. Sa cible est cette fois-ci l’ouvrage La psychopathologie de la vie quotidienne, de Sigmund Freud, auteur dont R. Pommier avait déjà sérieusement égratigné l’aura à plusieurs reprises. Ce livre de Freud est peut-être particulièrement séduisant pour le lecteur, puisqu’il propose une explication simple aux petits accidents du quotidien : lapsus, chutes, oublis, pertes ou bris d’objets... L’influence du freudisme en France est telle que nous sommes sans doute tous plus ou moins persuadés que chaque acte manqué révèle un penchant secret, une pulsion inconsciente. Pour cette raison, s’attaquer à la Psychopathologie de la vie quotidienne était particulièrement nécessaire.

C’est là que René Pommier est un orfèvre : il parvient à trier le bon grain de l’ivraie, à faire le tri entre ce qui est effectivement plausible (un exemple savoureux est celui de cette femme qui dit de son mari « il peut manger et boire ce que je veux » au lieu de « ce qu’il veut »), ce qui est extrapolation un peu abusive, ce qui est hypothèse très hasardeuse et ce qui est totalement absurde. Évidemment, les exemples de complètes sornettes ne manquent pas, comme cette hypothèse de « sacrifices inconscients » quand on brise un objet auquel on tient véritablement : R. Pommier n’a aucun mal à nous démontrer que la notion même de sacrifice inconscient est tout simplement absurde. En tout cas, le livre de Freud étant un peu plus subtil que d’habitude, l’auteur, en sniper habile, se fait lui aussi très précis dans ses « frappes chirurgicales » et sait approuver certaines hypothèses freudiennes lorsqu’elles sont plausibles, ce qui renforce sa crédibilité : nul préjugé ou acharnement, mais le fruit d’une saine réflexion.

Il fonde ses démonstrations sur une logique adroite, traquant la contradiction. Par exemple, il relève que « Freud est persuadé, quant à lui, que l’oubli du nom propre est généralement lié à un refoulement » (p. 16), mais il remarque aussitôt que si Freud disait vrai, alors il faudrait en conclure que « l’on refoule de plus en plus à mesure que l’on vieillit puisqu’on oublie de plus en plus facilement les noms propres ». Tout cela est jubilatoire pour le lecteur et, le plus souvent, parfaitement fondé. Il faut tout de même avouer qu’ici ou là, les analyses de R. Pommier empruntent plus au bon sens qu’aux faits prouvés et le lecteur pointilleux pourrait se trouver frustré.

Cependant, on suit l’auteur dans ces réquisitoires conduits avec précision, humour et intelligence et il est toujours profitable d’affûter un peu son bon sens. Ce n’est sans doute pas un livre scientifique étayant rigoureusement chaque hypothèse, mais c’est assurément un ouvrage réjouissant, éclairant et judicieux, que nous conseillons vivement à tous !

1 Voir les notes de lecture sur plusieurs de ses livres : sur Thérèse d’Avila, Thérèse d’Avila. Très sainte ou cintrée ? , sur René Girard, René Girard et bien sûr sur Freud Sigmund est fou et Freud a tout faux et Freud et Léonard de Vinci