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La médecine traditionnelle chinoise va-t-elle se réfugier en France ?

Publié en ligne le 30 juin 2004 - Médecines alternatives -
par Dr I. Rosner - SPS n° 225, janvier-février 1997

L’année dernière était sur sa fin lorsque nous avons reçu un joli prospectus émanant d’un organisme dont nous devons avouer que nous ignorions l’existence : l’Institut Chuzhen de Médecine Chinoise. Le prospectus était accompagné d’une note proposant de s’abonner au périodique l’impatient-Attemative santé, qui probablement avait fourni un répertoire des publications à qui on devait adresser ces documents. Ce qui nous a donné une lecture intéressante, et amené aussi à nous poser des questions.

« L’institut Chuzhen » nous apprenait le prospectus « a été créé en 1992 par un groupe d’étudiants et de praticiens afin de proposer en France un enseignement de qualité, comparable à ce qui existe en Chine, et de former de réels praticiens de médecine chinoise. Aujourd’hui, après 2000 heures de cours et quinze ouvrages traduits du chinois, l’institut conserve son fonctionnement collégial et ses buts initiaux. »

L’lnstitut organise des stages en Chine et en France. Leur programme est celui de l’université Guanming de Pékin. Il comprend, en bonne place, l’acupuncture. N’est-elle pas déjà largement (peut-être trop, pensent certains) pratiquée en France ? Qu’apporte de plus l’Institut Chuzhen ? Il nous le dit : « Seuls des praticiens chinois semblent actuellement capables de transmettre sans distorsion ce savoir et cette pratique. » C’est pourquoi l’Institut « organise en France une formation complète assurée par des professeurs chinois en deux cours successifs : 3 ans pour l’acupuncture, 2 ans sur sa pharmacopée » (c’est à dire ses indications et sa pratique).

Les étudiants qui suivent ces cours - moyennant 1 0 000 F par an bénéficient d’une « préparation aux examens internationaux mis en place par la Chine ». Ils reçoivent des diplômes de « praticien en acupuncture » et de « praticien en médecine chinoise ».

Le 5 novembre dernier l’Institut Chuzhen et l’Université Guanming invitaient à une table ronde (entrée 35 F) : « la médecine chinoise aujourd’hui pratiquée en Chine et en France. Table ronde animée par Régis Pluchet, journaliste à l’impatient ». Étaient annoncés pour la soirée trois médecins chinois, professeurs à Pékin, dont on donnait les noms, et des praticiens français qui n’étaient pas nommés.

La médecine traditionnelle chinoise est un sujet important souvent étudié. Mais le texte que nous venons de citer lui confère une sorte de supériorité exclusive. Ce qui n’est pas conforme à la vérité, même pas dans la Chine actuelle. Le Lancet publiait, il y a deux ans, les impressions d’une étudiante en médecine, Mina Fazel, qui revenait d’un stage de trois mois en Chine dans la grande ville de Chongqing, où elle a su qu’il y avait deux cents hôpitaux, les uns « d’orientation traditionnelle », les autres « de type occidental ». Dans le généraliste du 26 mars 1996, notre ami le docteur lulius Rosner commentait cet ouvrage comme suit :

Médecine traditionnelle chinoise : témoignage

Deux directions caractérisent la médecine traditionnelle chinoise l’acupuncture et la phytothérapie (« la médecine par les herbes »). Le témoignage de Mina Fazel comporte deux volets : l’exercice de la médecine par les plantes et l’opinion des médecins chinois formés dans les facultés de médecine moderne. Elle a assisté à de nombreuses consultations d’un professeur (âgé de 70 ans) de médecine traditionnelle qui lui a exposé, à l’occasion des cas cliniques examinés, les bases du diagnostic et de la thérapie.

Les consultations se composent d’un interrogatoire, un examen et une prescription. L’interrogatoire comprend quelques questions précises et courtes. Dans le cas d’une femme de 72 ans qui accusait fatigue et toux, les questions se référaient à l’existence d’un goût étrange dans la bouche, à la conservation de l’appétit, à la présence de vertiges. L’examen comporte l’exploration des pouls (d’abord celui de droite puis celui de gauche - il y a apparemment vingt-huit types de pouls) et de la langue ; l’examen de la langue est le plus important pour le diagnostic. Dans le cas rapporté, le diagnostic a été « trop de chaleur interne ».

L’enseignement du vieux professeur insiste sur le fait que l’organisme humain doit être perçu comme un « tout » et qu’il est nécessaire que ses différents éléments soient en équilibre. Tout changement dans l’aspect d’un sujet peut troubler cet équilibre et déterminer la maladie. Les diagnostics du professeur sont le plus souvent du type : « chaud (ou froid) dans l’estomac », « chaud et humide à l’intérieur », « chaud dans le sang » (pour certaines éruptions), « chaud dans le poumon » (certaines toux).

Pour établir le diagnostic, les organes des sens représentent une fenêtre ouverte sur les viscères : les yeux sont une fenêtre sur le foie, la langue sur le cœur, l’oreille sur les reins, le nez sur les poumons et la bouche sur la rate. Il existe des connexions entre différents organes : ainsi le côlon est en relation avec le poumon et l’intestin grêle avec le cœur. Toute maladie est susceptible d’être traitée avec des mixtures de plantes différentes. En prescrivant les mixtures de plantes (auxquelles on ajoute parfois des extraits d’origine animale ou minérale), on doit prendre en considération l’âge du patient, la saison et le stade de la maladie. Les mixtures doivent être, avant l’utilisation, bouillies trois fois dans l’eau.

Les malades choisissent leur filière...

Les patients font eux-mêmes le choix entre les types de médecine disponibles. Il semble que, pour des maladies aiguës, la tendance soit de s’orienter vers la médecine occidentale et, pour les affections chroniques, vers la médecine traditionnelle. Parmi les cent patients suivis dans la clinique de médecine traditionnelle par l’auteur de l’étude, vingt-cinq avaient déjà eu recours à la médecine moderne. Le médecin traditionnel a demandé en règle générale aux patients de renoncer pendant le traitement aux médicaments de type occidental. Toutefois, quatre cas (sur cent cas consécutifs) ont été orientés vers une clinique moderne par le médecin traditionaliste.

Les perspectives ? Interrogé sur le rôle des deux médecines, le professeur traditionaliste a répondu : « Les deux ont leurs avantages. » L’opinion des Jeunes médecins chinois, dont la plupart sont formés à la médecine moderne, est bien différente. Ils connaissent rarement en détail la médecine traditionnelle et pensent qu’elle n’a rien à leur apprendre. Il semble que leur point de vue soit partagé par la jeune génération de Chine qui est bien sceptique quant à la valeur de la médecine traditionnelle.

Dans un pays qui fait des efforts considérables pour se moderniser, qui tend à adopter les méthodes occidentales dans tous les domaines, l’avenir de la médecine traditionnelle semble incertain. Dans cette course à la modernité, l’équilibre actuel entre les deux médecines pourrait-il être maintenu ? C’est ce qui reste à voir.

Nous tenons à souligner que l’auteur du témoignage s’abstient systématiquement de faire des commentaires sur la valeur relative des deux médecines. On a l’impression d’entrevoir cette opinion entre les lignes, mais cette impression peut être fausse. C’est pour respecter l’esprit de cet article que nous nous abstenons de faire nous-mêmes des commentaires sur ce point, mais nous ne doutons pas que les lecteurs sauront analyser le témoignage de Mina Fazel et tirer leurs propres conclusions.

Publié dans le n° 225 de la revue


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Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

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