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Dossier graphologie

La graphologie à l’épreuve des faits

Publié en ligne le 12 août 2011 - Dérives sectaires -

Si les graphologues ne justifient pas leurs interprétations, cela ne signifie pas nécessairement qu’elles sont fausses. Il faut donc les éprouver et plus généralement examiner sérieusement les relations entre des propriétés de l’écriture et des aspects de la personnalité. La méthode de validation favorite des graphologues, et c’est d’ailleurs leur seule méthode, consiste à trouver (ou plus exactement à retrouver) à partir de l’écriture, les traits de personnalité de personnages connus. Cette méthode n’apporte aucune information car on sait depuis longtemps que sans règles rigoureuses l’observation est non seulement contaminée mais guidée par les connaissances ou les croyances que l’on a sur son objet. Si les études empiriques fiables, généralement conduites par des psychologues, sont relativement peu nombreuses, elles permettent cependant de tirer sans ambiguïté quelques conclusions générales. Avant de valider les propositions graphologiques on peut s’intéresser à la validation du jugement des graphologues.

La validation du jugement des graphologues

Dans ces études, on se demande si les appréciations des graphologues sont en accord avec des critères externes sans se préoccuper de la nature des indices graphiques qui les fondent. Les échantillons d’écriture que l’on présente aux graphologues ont souvent un contenu et il est possible que les graphologues, à leur insu, se fondent sur ce contenu et non sur le graphisme pour énoncer leur jugement. On doit donc distinguer les études selon que la neutralité du contenu est contrôlée ou non.

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Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour valider le jugement des graphologues. On peut demander aux graphologues, et plus généralement à des juges, de procéder à un simple tri en indiquant sur la base de l’examen d’un échantillon d’écriture si le scripteur possède ou non tel ou tel trait de caractère (tri). On peut aussi demander, ce qui est une variante de la méthode précédente, d’indiquer à quel degré le scripteur manifeste un trait de caractère (cotation). On peut encore demander au graphologue de se mettre à la place du sujet et de réagir, en remplissant un questionnaire, comme celui-ci devrait réagir compte tenu de son écriture (prédiction du comportement). Enfin, on peut demander d’apparier les portraits psychologiques complets réalisés sans graphologie et les portraits psychologiques des mêmes personnes réalisés uniquement au moyen de la graphologie, ou encore demander à des graphologues d’apparier des portraits psychologiques et des échantillons d’écriture (appariement).

Voici un exemple d’étude utilisant la méthode du tri. Dans un travail entrepris à l’initiative de la Société de psychologie industrielle hollandaise, Abraham Jensen se demande si les graphologues sont capables, comme ils l’affirment dans leurs comptes-rendus et comme on l’indique dans les ouvrages de graphologie, de distinguer les individus selon leur « dynamisme ». Dans une première expérience on sélectionne sur la base d’examens psychologiques deux groupes d’individus contrastés sur la variable « dynamisme ». Des spécimens d’écriture des individus de ces deux groupes sont présentés aux graphologues et ils doivent indiquer à quel groupe appartient le scripteur. Le taux de réussite des graphologues est 59 %, donc guère supérieur à une attribution au hasard. Cette expérience ayant été critiquée par les graphologues, elle a été répliquée en tenant compte de leurs remarques (notamment sur le degré de contraste des groupes). Les résultats de cette nouvelle expérience sont identiques à ceux de la première. Dans une troisième expérience où les groupes contrastés sont constitués à partir des appréciations des responsables du personnel, les prédictions des graphologues sont un peu moins mauvaises.

Il ressort de tous les travaux réalisés, synthétisés par Geoffrey Dean, que les prédictions des graphologues en utilisant la méthode du tri et de la cotation (les données sont insuffisantes pour conclure sur les autres méthodes mais elles vont dans le même sens) ont une validité quasiment nulle (corrélation de 0,07) lorsque le contenu des échantillons d’écriture est contrôlé. On notera que les prédictions des non-graphologues sont voisines de celles des graphologues (dans les expériences de Jensen les prédictions des étudiants en théologie sont meilleures que celles des graphologues !), ils ne réussissent donc pas plus mal, ce qui n’est guère surprenant puisque, spontanément, ils utilisent les mêmes analogies. Ces résultats ne sont guère encourageants pour la graphologie mais on peut toujours dire que les graphologues ayant participé aux expériences n’étaient pas compétents. Il faut donc examiner directement les relations éventuelles entre écriture et personnalité.

La validation des signes graphologiques

La première étude de validation a été conduite aux États-Unis en 1919. Les auteurs, Hull et Montgomery, retiennent dix aspects de l’écriture d’un petit groupe d’étudiants et les mettent en relation avec une série de traits psychologiques estimés par les pairs. La moyenne des corrélations calculées est égale à zéro. Ces résultats uniformément négatifs ont été régulièrement reproduits.

La dernière étude publiée, particulièrement bien conduite, a été réalisée par un auteur favorable à la graphologie. Benjamin Thiry demande à 145 adultes d’écrire un texte à partir d’une image. Ces adultes renseignent aussi un questionnaire de personnalité construit selon le modèle de la théorie des cinq facteurs 1. Ce modèle fournit un cadre descriptif qui se veut exhaustif de l’ensemble des principaux traits de personnalité. Le questionnaire évalue la position du sujet sur cinq grandes dimensions et leur six facettes : extraversion (cordialité, grégarité, assurance, activité, recherche de sensations, émotions positives), agréabilité (confiance, loyauté, altruisme, acquiescement, modestie, attention), conscience (compétence, ordre, sens du devoir, aspiration à la réussite, autodiscipline, réflexion), instabilité émotionnelle (anxiété, agressivité, dépression, centration sur soi, impulsivité, vulnérabilité), ouverture (fantaisie, ouverture dans les domaines esthétique, des sentiments, de l’action, des idées, des valeurs). Seize propriétés de l’écriture prises en compte dans la pratique des graphologues ont été retenues et mesurées, leur fiabilité a été éprouvée. Elles se rapportent à la taille de l’écriture : hauteur moyenne de la zone médiane, largeur moyenne des lettres, hauteur moyenne de la zone supérieure, de la zone inférieure ; aux marges entourant le texte : importance de la marge de gauche, de la marge de droite, de la marge du haut ; à l’aération du texte : espace intermots, espace interlignes. Elles concernent également l’inclinaison des lettres, la pente des lignes, la continuité du fil graphique et le statisme dans l’écriture. Sur les 560 corrélations calculées (35´16), le nombre de corrélations statistiquement significatives correspond à ce que l’on peut attendre du simple fait du hasard. Deux seulement de ces corrélations significatives sont en rapport avec ce qu’affirment les graphologues : l’importance de la marge de gauche varie avec le degré d’ouverture, ce qui est en accord avec les indications graphologiques traditionnelles ; l’importance de la marge du haut varie avec l’ouverture aux valeurs, ce qui est en contradiction avec les prédictions graphologiques. Les résultats de cette étude sont donc conformes aux résultats antérieurs : la validité des signes graphologiques est quasiment nulle (corrélation de 0,08 dans la synthèse de Dean).

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Il ne faudrait cependant pas en conclure trop vite qu’il n’y a pas de rapports entre l’écriture et la personnalité. Ce qui doit être rejeté est uniquement la prétention des graphologues qui affirment être en mesure d’appréhender toute la personnalité de tous les sujets. Il est probable que quelques caractères de l’écriture et de l’acte d’écrire sont en relation avec quelques aspects bien particuliers de la personnalité mais on ne sait pas bien lesquels. Il n’est pas évident que ces relations soient présentes dans la masse des interprétations graphologiques. Il faudrait sans doute faire appel à des modes de description de l’écriture plus précis. Il est probable aussi (ce que suggèrent des travaux anciens sur des groupes pathologiques) qu’il existe des relations entre écriture et personnalité seulement pour certaines catégories de personnes, mais on ne sait pas non plus lesquelles. Ces questions mériteraient sans doute d’être étudiées mais la graphologie ayant jeté un tel discrédit sur ce domaine, il est vraisemblable qu’elles ne le seront pas de si tôt.

La graphologie dans la sélection professionnelle

La graphologie n’a rien de scientifique et les interprétations des graphologues sont sans fondements. Si la graphologie n’était qu’un aimable jeu de société et ne visait qu’à distraire cela ne porterait pas à conséquence. Mais, depuis les débuts de la graphologie, à la fin du XIXe siècle, les graphologues, au nom de leur « science », veulent intervenir dans la vie sociale : dans les domaines éducatif, judiciaire, de la santé et du travail. Dans tous ces domaines la participation des graphologues est insignifiante, à l’exception d’un seul : celui de la sélection professionnelle. Plusieurs enquêtes, malheureusement assez anciennes (elles datent des années 1990) montrent que cette participation est très variable selon les pays. En France la graphologie est utilisée systématiquement ou occasionnellement par une forte majorité des grandes entreprises. Bien que moins fréquent, son usage est néanmoins significatif en Belgique, en Suisse et en Israël. Partout ailleurs, et notamment en Allemagne et dans le monde anglo-saxon, cet usage est tout à fait marginal.

L’intervention des graphologues prend plusieurs formes. La plus fréquente est le tri simple des candidats à un emploi. En fonction de l’écriture, du profil du poste à pourvoir et, quasiment toujours, du CV, le graphologue répartit les candidats à un emploi en trois catégories : quelques-uns sont retenus pour les étapes ultérieures de la sélection, quelques-uns sont mis en attente et le gros de la troupe est rejeté (en principe à partir de l’examen de l’écriture, mais il n’est pas impossible que d’autres critères soient utilisés : lisibilité, orthographe, qualité de l’expression, contenu du CV…).. Lorsqu’une justification est donnée elle est très brève, de l’ordre de quelques lignes. Plus approfondies, certaines études indiquent les points forts et les points faibles du candidat, la manière de l’utiliser et ses possibilités d’évolution. Enfin, d’autres études sont encore plus détaillées et fournissent un portrait du candidat qui se veut complet.

Lorsqu’ils présentent leurs prestations, les graphologues soulignent la rapidité, la simplicité et le faible coût de leurs interventions. Les consultants qui utilisent les services des graphologues reprennent leur argumentaire. Pour les prestations plus approfondies que le simple tri, s’ils sont persuadés que la graphologie apporte des informations fiables sur la personnalité et les éventuelles tendances pathologiques du candidat, ils s’attendent aussi à ce que la graphologie confirme leurs impressions issues de l’entretien. Ils considèrent que la graphologie facilite leur processus de décision.

L’usage de la graphologie dans la sélection professionnelle est-il justifié ?

Pour les graphologues il l’est parfaitement et ils affichent des taux de réussite impressionnants ; mais ils ne nous disent jamais comment ces taux sont calculés. Ce sont en fait de simples impressions. On ne trouve jamais dans les revues de graphologie des études ou la méthode graphologique serait évaluée et où l’on chercherait à apprécier sa validité. Un argument est souvent avancé : c’est la pratique qui validerait la graphologie. S’il y a effectivement souvent convergence entre les avis des graphologues et ceux des autres acteurs du recrutement, cela n’est guère étonnant car ils disposent le plus souvent d’informations communes (CV et lettre de motivation). Mais les graphologues insistent surtout sur la satisfaction de leurs clients qui continuent à utiliser leurs services. De même que la fidélité des lecteurs de magazines à leur horoscope ne prouve pas la validité de l’astrologie, la fidélité des clients des graphologues ne prouve pas la validité de la graphologie. La graphologie pourrait être totalement inefficace mais ses utilisateurs croire qu’elle est efficace. Ils pensent aussi, nous venons de le noter, qu’elle les aide à décider. Ils peuvent aussi avoir le sentiment de faire des économies… Il faut donc aller chercher ailleurs des preuves de l’efficacité ou de la non-efficacité de la graphologie comme méthode de recrutement.

Pour valider une méthode de recrutement il faut confronter les prédictions qu’elle permet (d’après le jugement du graphologue ou des propriétés de l’écriture) à un critère (indices de réussite, notations professionnelles, évaluation par les pairs…). Deux procédures peuvent être utilisées. Dans la première on constitue deux groupes contrastés sur un critère d’efficience professionnelle et le graphologue doit indiquer à quel groupe appartient le sujet dont on lui présente l’écriture. La proportion d’attributions correctes est une mesure de la validité du jugement du graphologue. Dans la seconde procédure, de loin la plus utilisée, les sujets ont été caractérisés selon un ou plusieurs critères et le graphologue qui utilise l’écriture comme prédicteur doit les caractériser selon les mêmes critères. La concordance entre les observations et les prédictions des graphologues, généralement exprimée par un coefficient de corrélation, est une mesure de la validité du jugement. Quelle que soit la procédure suivie, il importe bien sûr que le graphologue ne dispose pas d’informations autres que les caractéristiques de l’écriture, et notamment qu’il ne dispose pas du CV du candidat. On a montré que les prédictions faites uniquement à partir du CV étaient meilleures que celles faites à partir de l’écriture.

Voici un exemple d’étude de validation assez représentatif. Cette étude a été conduite aux États-Unis par Anat Rafaeli et Richard Klimoski. Soixante-dix agents immobiliers doivent écrire un texte à contenu neutre (description d’une maison). Ils ont été situés par leur supérieur hiérarchique sur dix dimensions pertinentes pour la profession (confiance en soi, sociabilité, empathie…). On disposait aussi de mesures de leur productivité : nombre et montant des ventes réalisées, montant des commissions reçues. Les graphologues (vingt ont été mobilisés pour cette étude) devaient prédire les scores des sujets sur les dimensions retenues et leur productivité. Les coefficients de validité tant pour les dimensions retenues que pour les indices de productivité sont proches de zéro.

Plusieurs synthèses des études de validation de la graphologie comme méthode de recrutement professionnel ont été présentées. À partir de 17 études, Erfart Neter et Gershon Ben-Shakar calculent un coefficient de validité moyen qui est proche de 0 (0,03). Évidemment, ce coefficient s’élève lorsque le contenu des échantillons d’écriture n’est pas contrôlé. Il est clair que les graphologues ne sont pas en mesure de prédire la réussite professionnelle. Compte tenu des relations quasi inexistantes entre l’écriture et la personnalité on pouvait s’en douter ; mais encore fallait-il le montrer. Manifestement, de toutes les méthodes largement utilisées en sélection professionnelle, la graphologie est la plus mauvaise.

Dans ces conditions on peut s’interroger sur le coût et la légalité de l’usage de la graphologie. Les graphologues disent à juste titre que leur méthode est peu coûteuse. Mais une méthode aussi peu valide est toujours trop coûteuse ! La faible validité de la graphologie conduit aussi à s’interroger sur sa légalité. La loi du 31 décembre 1992 (dans son titre V : dispositions relatives au recrutement et aux libertés individuelles) indique que les « méthodes et techniques d’aide au recrutement ou d’évaluation des salariés et des candidats à un emploi doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ». Les codes de déontologie des professionnels du recrutement vont dans le même sens. De toute évidence la graphologie n’est pas une méthode pertinente. Aussi, la persistance de son usage est-elle un pur scandale.

Références

1 | Dean G.A., The bottom line : effect size, in B.L. Beyerstein et D.F. Beyerstein, The write stuff, Buffalo, Prometheus Books, 1992, pp. 269-341.
2 | Huteau M., Écriture et personnalité, approche critique de la graphologie, Paris, Dunod, 2004.
3 | Jensen A., Validation of graphological judgements, an experimental study, La Hague (Netherlands), Mouton, 1973.
4 | Neter E. & Ben-Shakar G. (1989). “The predictive validity of graphological inferences : a meta-analytic approach”, Personality and Individual Differences, 10, 737-745.
5 | Rafaeli A. & Klimoski R.J. (1983). “Predicting sales success through handwriting analysis : an evaluation of the effects of training and handwriting sample content”, Journal of Applied Psychology, 68, 212-217.
6 | Thiry B. (2008). « Graphologie et personnalité selon le modèle en cinq facteurs », Psychologie Française, 53, 399-410.

1 Voir à ce sujet l’article de Jacques Van Rillaer Us et abus du concept de « trait » psychologique, paru dans notre numéro Hors-Série de juillet 2009.