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L’impact sur la santé des différentes sources de production d’énergie

Publié en ligne le 28 novembre 2019 - Énergie -
Cet article reprend les éléments d’une communication faite à l’Académie des technologies [1] et s’appuie également sur un texte de Roland Masse portant sur le coût sanitaire de l’énergie [2].

Avant de regarder l’incidence sur la santé humaine des différentes sources de production 1 d’énergie, il n’est pas inutile de rappeler que la production d’énergie en grande quantité a permis de réduire la mortalité et que le manque d’énergie est, sur Terre, une des principales raisons de mauvaise santé humaine et de décès prématurés (l’énergie est à la base de la construction des infrastructures, systèmes de santé, de la production alimentaire, etc.).

Quand on évoque l’impact sur la santé de la production d’énergie, on pense d’abord aux accidents industriels, puis ensuite aux maladies engendrées par ces énergies et, enfin, aux conséquences des stress suite aux accidents. Pourtant, les accidents, si spectaculaires soient-ils, ne sont pas la première cause de morts ou de décès prématurés.

S’il est relativement facile de connaître le nombre de morts dues à un accident, il est beaucoup plus complexe de déterminer l’impact sur la santé des émissions de particules ou gaz liés à la production d’énergie (effets continus, diffus, sur le long terme). Il en est de même quand on cherche à évaluer les effets socio-économiques collatéraux générés par les accidents qui désorganisent la vie (les évacuations peuvent constituer un important facteur d’anxiété avec d’importantes conséquences sanitaires). Ce sujet, très controversé, a donné lieu à de très nombreuses études que nous allons évoquer ici. La difficulté de ces estimations fait que certains résultats peuvent ne pas apparaître cohérents entre eux.

Sources d’énergie et risques associés

Les sources de production d’énergie sont très variées : énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel), énergie nucléaire, énergie éolienne, énergie solaire, hydroélectricité, biomasse, etc. Leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre est très variable (très forte pour les énergies fossiles, très faible pour le nucléaire et les énergies renouvelables). Chaque mode de production d’énergie modifie l’environnement et a des conséquences différentes sur la santé humaine. Si toutes présentent des risques, la perception par les citoyens est cependant très différente, et pas forcément en rapport avec la réalité.

Les risques liés à l’extraction du charbon, comme les coups de grisou ou la silicose, ne créent plus d’inquiétude particulière en France, mais sont toujours présents hors Europe. Les risques spécifiques liés à l’extraction et au transport du pétrole et du gaz sont également très présents à l’échelle planétaire. S’agissant des énergies fossiles, les émissions de particules (PM2.5 et PM10), de dioxyde de soufre (SO2) ou d’oxyde d’azote (NOX), ajoutées aux graves conséquences du réchauffement climatique auxquelles elles participent fortement (le charbon puis le pétrole étant plus nocifs que le gaz naturel sur tous ces plans), font de ces sources de production d’énergie un enjeu majeur de la transition énergétique. Cela est d’autant plus vrai que les effets toxiques observés sont continus et cumulatifs, au contraire des risques d’accident qui sont ponctuels.

Les risques liés à l’énergie d’origine hydraulique, essentiellement les catastrophes lors de la rupture d’un barrage, sont sources d’inquiétudes pour ceux qui habitent en aval d’un ouvrage. Et lorsqu’une catastrophe se produit, elle est souvent ressentie collectivement comme un phénomène ponctuel, apparentée à un tremblement de Terre (barrage de Vajont en Italie pour la production électrique, qui a fait 2 000 morts en 1960).

Les risques liés à l’énergie nucléaire ‒ extraction de l’uranium dans les mines, libération de radioactivité en cas d’accident et évacuation de territoires, problèmes liés au traitement des déchets radioactifs ‒ sont vécus très différemment car les accidents sont très rares mais spectaculaires, et le danger très difficile à cerner. Un nuage radioactif est vécu comme une agression d’autant plus inquiétante qu’elle est sournoise et difficile à objectiver, avec des effets potentiels nocifs pouvant continuer à se manifester longtemps après l’accident.

L’évaluation des risques liés aux énergies renouvelables et de leur incidence sur l’environnement ne fait que commencer, et seules les populations proches y sont apparemment sensibles. Ceux-ci comprennent notamment le bruit infra son des éoliennes, la pénibilité de leurs éclairages clignotants (destinés à indiquer leur présence aux avions) et les accidents lors des installations, ainsi que les risques liés à l’extraction des matériaux utilisés dans leur construction (terres rares notamment).

Retour de la mine, Constantin Meunier (1831-1905)

Accidentologie

L’OCDE a publié un rapport [3] en 2010 qui est notamment basé sur l’étude ENSAD (ENergyrelated Severe Accident Database) conduite par l’institut Paul Scherrer en 1998 [4]. Ces estimations ont été revues en 2014 [5] et couvrent désormais la période 1970-2008 comparant les conséquences des accidents dans le nucléaire à celles des autres sources d’énergie. Elle rassemble dans un tableau les statistiques de décès et d’accidents par source d’énergie entre 1969 et 2008. Pour l’OCDE, lorsqu’on étudie les accidents et risques propres au secteur énergétique, il est primordial d’étudier les filières énergétiques complètes. En effet, s’agissant des combustibles fossiles, les accidents survenant dans les centrales sont très peu importants par rapport à ceux qui se produisent à d’autres étapes. L’étude a choisi de retenir comme accidents graves ceux qui ont entraîné au moins cinq décès précoces ou l’évacuation d’au moins 200 personnes ou le rejet d’au moins 10 000 tonnes d’hydrocarbures ou l’interdiction de produits de consommation locaux. Cette définition large permet de recueillir des ensembles de données fiables incluant des accidents de moindre importance qui attirent moins l’attention et qui pourraient sinon échapper aux statistiques (voir encadré).

Les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima

Trois accidents majeurs ont affecté des centrales nucléaires dont un seul, celui de Tchernobyl, a provoqué des décès par irradiation directe à dose létale (31 décès). Étant donné l’inquiétude soulevée par les accidents de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011), il paraît important de présenter les données de santé publique disponibles aujourd’hui. L’accident de Three Miles Island en 1979 n’a fait aucune victime directe ou indirecte.

Dans le cas du nucléaire, outre les décès immédiats ou très précoces, il faut prendre en compte les décès différés (par cancer et éventuellement d’autres maladies) qui peuvent être la conséquence tardive de surexpositions aux rayonnements ionisants. L’évaluation ne peut être faite que par modélisation dans la mesure où il est difficile de remonter, pour un cancer donné, à sa cause précise. Et il y a débat sur le choix du modèle à retenir pour les très faibles expositions. Dans un modèle dit RLSS (avec relation linéaire sans seuil), on suppose un impact sanitaire proportionnel à la dose reçue et ce, y compris pour de très faibles expositions. Dans les autres, on suppose une absence d’effet sanitaire pour des doses reçues inférieures à 100 milliSievert (mSv) pour les adultes et 50 mSv pour les enfants (on ne sait pas détecter statistiquement si des doses inférieures à 100 mSv entraînent ou non des conséquences sur la santé, voir l’article [6]). La somme des décès par cancer après Tchernobyl peut alors varier de 4 000 à 30 000.

Nombre de décès lors des accidents par source d’énergie

Nombre d’accidents sévères et de décès précoces attribuables aux filières de l’énergie entre 1970 et 2008 (source OCDE [3])

Pour le nucléaire, il s’agit des victimes décédées dans les deux mois après l’accident de Tchernobyl (pour les autres victimes, voir le paragraphe consacré à ce sujet dans l’article). L’accident de Fukushima n’est pas répertorié car il est intervenu en 2011, après la période de l’étude.

Pour le charbon, et pour les pays en dehors de l’OCDE, la Chine représente à elle seule l’écrasante majorité des accidents (2 032 sur 2 394) et de décès (27 052 sur 38 672).

Rappelons que l’étude de l’OCDE traite des décès par accident et non de décès par maladies chroniques. Il s’agit de décès réels et non d’estimations : tous les accidents connus ont été répertoriés et les décès dus à ces accidents dénombrés.

Dans un rapport publié en 2006 [7], le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer, une agence dépendant de l’OMS) a estimé pour la période 1986-2005, en appliquant le modèle RLSS, un nombre de 1 650 décès dus possiblement aux radiations (intervalle d’incertitude entre 700 et 3 700). En considérant une période de 80 ans (entre 1986 et 2065), ce sont 16 000 décès qui pourraient possiblement être attribués aux retombées radioactives suite à l’accident de Tchernobyl. Sur la même période (1986-2065), le CIRC estime le nombre de cas de cancers supplémentaires à 40 000.

Impact socio-économique des accidents

Joseph Pennell (1857-1926)

Les dommages sanitaires indirects associés à long terme à la désorganisation des systèmes de soin et aux carences et effets psychopathologiques imputables au chaos social laissé par la catastrophe sont à évaluer. À Tchernobyl, ces impacts ont peu été mesurés, laissant place à une évaluation confuse des causes de la dégradation sanitaire dans les régions affectées par l’accident. Les moyens d’aide et de contrôle épidémiologique mis en place à Fukushima devraient permettre de mieux connaître cette composante du risque sanitaire propre aux installations nucléaires. À Fukushima, environ 200 000 personnes ont été évacuées suite à l’accident nucléaire. Au 5 mars 2019, la préfecture de Fukushima recense 4 017 décès en conséquence du tremblement de terre et du tsunami qui a suivi. Parmi ceux-ci, 2 269 sont des décès « indirects », imputables aux évacuations et au stress généré [8]. Un seul décès résultant d’un cancer et reconnu comme accident du travail selon la loi japonaise a été recensé.

Ces impacts ne sont pas pris en compte dans le cas d’évacuations lors d’accidents autres que nucléaires. Or, sur la période 1969-2000, sur les 1,5 millions de personnes évacuées suite à des accidents relatifs à l’énergie, un peu plus de 900 000 l’ont été pour des causes autres que nucléaires (charbon, pétrole, gaz, hydraulique) [4, 5].

Par source d’énergie électrique

En 1991, la Commission européenne a lancé, en collaboration avec le département américain de l’énergie, un projet visant à évaluer l’empreinte sanitaire, écologique et sociale de chacune des sources d’énergie électrique (projet ExterneE [9]). Les émissions d’une source sont tracées avec leur dispersion dans l’environnement et l’effet des polluants dispersés est évalué (particules fines PM10, SO2, NOX, etc.). Toutefois, l’impact potentiel sur la santé du réchauffement climatique résultant de l’émission de gaz à effet de serre en Europe n’est pas couvert par ces études. Pour comparer l’impact sanitaire des différentes sources d’énergie, l’étude a ramené les résultats obtenus à une unité commune dépendant de la quantité d’énergie produite, le TWh d’énergie primaire (voir encadré).

En supposant que les chiffres aient peu varié au cours des dix dernières années, il est possible d’estimer 2 la répartition du nombre de décès pour l’année 2017 et pour les 27 pays de l’Union européenne en fonction de la méthode de production d’électricité (par TWh d’énergie primaire, hors énergies renouvelables). Ces chiffres incluent les décès lors des accidents et l’impact à long terme.

Tableau issu de [1] d’après les données du projet ExternE.

Une autre étude [11] faite à partir des données d’ExternE a évalué les pertes d’espérance de vie (en années de vie perdues par TWh produit) des différentes technologies en raison des émissions de particules fines PM10, du SO2, des NOX et des radionucléides issus de la production d’électricité.

Impact sanitaire et réchauffement climatique

Au regard du réchauffement climatique, les sources d’énergie peuvent être rassemblées en deux groupes. Les énergies dites « carbonées » sont les plus nocives : sources fossiles (charbon, fioul, gaz) mais également biomasse renouvelable 3. À l’inverse, l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables non carbonées (hydraulique, éolienne, solaire…) ont un impact très faible sur le réchauffement climatique.

La production de gaz à effet de serre constitue le facteur de risque commun à l’ensemble des énergies carbonées et contribue de façon déterminante au réchauffement climatique, avec de très nombreux effets sur la santé. Sans parler
d’autres conséquences, comme celles sur les ressources en eau dont les impacts sanitaires sont difficilement chiffrables [13], on peut ainsi noter que plus des trois quarts des jours chauds depuis 1850 ont été attribués au réchauffement climatique et les canicules qui en ont résulté ont été à l’origine en France de plus de 20 000 décès prématurés. Il apparaît de plus qu’en dehors des canicules, plus de 7 % de la mortalité annuelle mondiale résulte des effets de la température et qu’il n’y aurait pas de bénéfice à attendre de la disparition des jours froids [14].

Effets sur la santé en Europe de la production d’électricité par source d’énergie primaire (TWh)

Il s’agit de valeurs médianes (les plages d’incertitudes ne sont pas reprises ici). Les accidents pris en compte sont ceux intervenus entre 1969 et 2000. Les résultats indiqués sont estimés sur des périodes variables selon les différents types de pollution (effet des particules, effet de la radioactivité, etc.). Les maladies graves et non graves sont définies dans la référence [1]. Dans les maladies non graves, il y a les jours d’activité restreinte, les cas d’utilisation de bronchodilatateurs, la toux et les épisodes de toux chronique.

Référence : [1] Rabl A, Spadaro JV, « Les coûts externes de l’électricité », Revue de l’Énergie, 2001, 525 :151-163..

Conclusion

L’énergie nucléaire et les énergies renouvelables non carbonées apparaissent ainsi comme les énergies les plus favorables à une limitation efficace des dommages sanitaires. La convergence s’avère totale avec leur position de meilleurs protecteurs de l’environnement, limitant les émissions de CO2 génératrices de réchauffement climatique avec notamment les impacts santé de ces émissions, non traités dans cet article.

Par unité d’énergie produite, on constate que le nucléaire contribue en fait considérablement moins à cette mortalité différée que ne le font les combustibles fossiles. Une des raisons est qu’il ne peut le faire qu’à l’occasion d’accidents graves, entraînant une importante contamination radioactive, tandis que les combustibles fossiles le font en permanence au travers de la pollution atmosphérique qu’entraînent leurs émissions de particules.

Références

1 | Académie des technologies, « L’incidence sur la santé humaine des différentes sources de production d’énergie électrique : évaluation sur les cinquante dernières années », communiqué, mai 2017.

2 | Masse R, « Coût sanitaire de l’énergie ». Sur sauvonsleclimat.org

3 | OCDE, « Évaluation de risques d’accidents nucléaires comparés à ceux d’autres filières énergétiques », 2010.Sur oecd-nea.org

4 | Hirschberg S et al., “Severe accidents in the Energy Sector”, first edition, Swiss Federal Office of Energy, 1998. Sur inis.iaea.org

5 | Burgher P, Hirschberg S, “Comparative risk assessment of severe accidents in the energy sector”, Energy Policy, 2014, 74 :S45 S45-S56. Sur pdfs.semanticscholar.org

6 | Nifenecker H, « Faut-il revoir les normes d’évacuation à la suite d’un accident nucléaire ? », SPS n° 298, octobre 2011.Sur afis.org

7 | Cardis E et al., “Estimates of the cancer burden in Europe from radioactive fallout from the Chernobyl accident”, Int J Cancer, 2006, 119 :1224-1235.

8 | Préfecture de Fukushima, “Damage caused by the 2011-earthquake and tsunami”. Sur pref.fukushima.lg.jp

9 | Projet ExternE, “External Costs of Energy”. Sur externe.info

11 | Rabl A, Spadaro JV, « Les coûts externes de l’électricité », Revue de l’Énergie, 2001, 525 :151-163.

12 | « La biomasse est-elle toujours une ressource renouvelable ? », Natura-Sciences, 18 octobre 2013. Sur natura-sciences.com

13 | Pascal M, « Impacts sanitaires du changement climatique en France – Quels enjeux pour l’InVS ? », Institut de veille sanitaire, mai 2010, 54p. Sur invs.sante.fr

14 | Pascal M et al., « Changement climatique et santé », Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, 2015, 718 :38-39.Sur opac.invs.sante.fr

1 On ne produit pas d’énergie (violation du premier principe de thermodynamique), on se contente de la transformer (éventuellement en énergie électrique). Mais cette expression sera reprise pour sa simplicité et son acception courante.

2 Calcul de l’auteur.

3 Il y a débat pour savoir si la biomasse renouvelable est une source carbonée ou non [12].