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L’homme de Lascaux et l’énigme du puits

Publié en ligne le 14 juillet 2019
L’homme de Lascaux et l’énigme du puits

Jean-Loïc Le Quellec

Tautem, nouvelle édition 2018, 128 pages, 15 €

L’art préhistorique nous fascine car il semble murmurer un message universel. Pour autant, c’est ici et maintenant, avec nos préjugés et dans le contexte de nos cultures, que nous percevons ces pigments jadis appliqués sur des reliefs habilement exploités. Ces images n’ont pas de cadre, contrairement aux tableaux, aux photos et aux reproductions des livres. Leur signification nous échappera peut-être toujours, et pour J.-L. Le Quellec 1, cela est vrai pour  « toutes les images rupestres et pariétales, sauf dans quelques rares cas récents, quand leur auteur est connu » p. 102).

Ce petit ouvrage, dont c’est ici la seconde édition revue et augmentée, prend le contrepied des préjugés les plus courants à propos des sciences dites humaines. La mythologie (l’étude des mythes) n’est pas une pseudo-science, pour peu que méthode et prudence soient au rendez-vous.

La scène du puits de Lascaux, avec son homme à tête d’oiseau (seule représentation anthropomorphe de Lascaux), son bison blessé et son rhinocéros, a fait couler des flots d’encre. Profitant d’une anthologie de ses interprétations, l’auteur nous délivre une leçon magistrale mais qui ne doit rien à l’argument d’autorité. Il montre au passage qu’il n’a pas besoin de proposer à son tour une théorie pour faire œuvre de science, et que le sensationnalisme n’est pas la condition sine qua non d’une lecture passionnante et savoureuse.

Nous apprenons que la peinture n’en est pas une, que l’homme et les animaux de la scène – nullement située au fond d’un puits – nécessitent en toute rigueur d’être désignés différemment. L’auteur étrille les interprétations de quelques grands noms de la préhistoire. Pour les uns, la scène est, au choix, le compte-rendu réaliste d’une scène de chasse qui aurait mal tourné, ou la représentation du mythe de la chasse cosmique – quand un animal chassé termine sa course dans les étoiles. Pour d’autres, il s’agirait d’une… corrida, pour un spécialiste du sommeil, la représentation d’un rêve, pour des psychanalystes, la figuration d’un accouplement, pour une grande prêtresse du chamanisme moderne – et quelques préhistoriens – évidemment un chamane en transe. Sans oublier la très médiatisée « théorie » astronomique que Michel Onfray relaie dans l’un de ses best-sellers 2.  « Si ces développements prouvent une chose, c’est bien que les meilleurs esprits, auteurs de travaux scientifiques dont nul ne conteste l’importance et le sérieux, peuvent être victimes de pseudo-raisonnements parfaitement irrationnels quand ils quittent leur domaine de spécialité. Et l’homme de Lascaux, rêveur ithyphallique ou non, constitue à cet égard un excellent attracteur de rêveries plus ou moins savantes » p. 105).

Le scepticisme de l’auteur va jusqu’à interroger le caractère ithyphallique, autrement dit l’érection, de l’homme de Lascaux. Point d’hypercritique ici, car le propos est argumenté avec érudition, par des contre-exemples des plus convaincants. Contrairement aux auteurs qu’il renvoie dos à dos, J.-L. Le Quellec n’affirme pas, mais déconstruit soigneusement. À propos du supposé chamanisme, l’auteur rappelle  « […] qu’il n’existe pas plus de symboles universels » que d’ « archétypes » ou de  « révélation archétypale » : toutes ces notions relèvent d’une mythologie contemporaine qui n’a rien à voir avec l’anthropologie p. 42).

Lisez L’homme de Lascaux et la scène du puits pour sa rigueur méthodologique. C’est aussi un thriller écrit avec humour et ironie. Richement documenté, il vous réserve des images fortes et, avec l’entrée en scène de personnages inattendus (Dr Schnabel, Omer Simpson, Mickey Mouse, un petit cheval oublié…), quelques beaux coups de théâtre.

1 Jean-Loïc Le Quellec est directeur de recherche au CNRS. Anthropologue, mythologue et préhistorien, il a écrit de nombreux livres, notamment sur l’art rupestre du Sahara. Voir aussi l’entretien qu’il a accordé à SPS, n° 294, janvier 2011.

2 Onfray M, Cosmos : une ontologie matérialiste, Flammarion, 2015, 528p. 


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