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Point de vue

L’amélioration de l’homme

Publié en ligne le 24 mars 2013 - Vulgarisation scientifique -

Les développements de la science et des technologies permettront-ils une amélioration radicale de l’être humain lui conférant des caractéristiques et des capacités inimaginables aujourd’hui ? La génétique, les nanotechnologies, les biotechnologies, la compréhension du vieillissement des cellules, pour ne citer que quelques disciplines, permettront-elles d’envisager un « être humain amélioré » ? Un tel être humain posséderait une espérance de vie en bonne santé sans commune mesure avec ce que nous pouvons aujourd’hui envisager (grâce, entre autres, à la maîtrise du processus de vieillissement et de régénération des cellules), serait doté de nouvelles capacités cognitives et physiques, produit d’un mélange de modifications biologiques, génétiques et d’intégration de prothèses technologiques (puces électroniques, nanorobots, etc.).

Il est probable que les développements scientifiques et technologiques permettront de telles améliorations, même s’il est bien hasardeux de vouloir en estimer l’échéance. Les questions soulevées par cette perspective sont très variées et font l’objet de nombreuses controverses 1.

Avant d’en évoquer quelques éléments, soulignons que nous laissons de côté un point pourtant fondamental : l’éventualité que cette évolution puisse ne pas avoir lieu, tout simplement, car nos sociétés ne sauraient pas évoluer sans se détruire ; ou encore que ces évolutions ne profiteraient qu’à une infime minorité, laissant de côté l’écrasante majorité des populations qui n’auraient pas accès à des développements coûteux et complexes. Il suffit de constater qu’il existe des médicaments de base, des vaccins, des techniques de traitement des eaux ou de production d’énergie qui sont inaccessibles à des centaines de milliers de personnes et qui pourraient les sauver de fléaux naturels ou les aider à mieux vivre, pour se convaincre que la science est nécessaire au progrès de l’Humanité, mais n’est pas suffisante.

Évolution ou révolution ?

L’histoire de l’Humanité nous montre une certaine continuité dans la quête d’une meilleure vie, d’une vie plus longue et en bonne santé. Le développement des technologies a largement été déterminé par la volonté de disposer d’outils permettant de réaliser simplement et rapidement des tâches auparavant complexes, pénibles ou impossibles (que ce soit pour des objectifs que l’on peut juger positifs, négatifs ou futiles, peu importe ici). Les exemples abondent, que ce soit les formidables progrès en médecine ou les développements exponentiels d’applications technologiques (pouvait-on imaginer, ne serait-ce qu’il y a 50 ans, les molécules chimiques sophistiquées qui composent bon nombre de médicaments révolutionnaires, Internet, les GPS, ou encore les milliards d’utilisateurs de téléphones portables ?). Difficile de se projeter dans 100 ans et d’imaginer ce que sera l’état des réalisations techniques et scientifiques. Toutefois, ce qui est nouveau aujourd’hui, ce n’est pas tant que ces développements exponentiels se poursuivent, mais qu’il prennent une dimension « intégrée » dans l’être humain lui-même : le clonage, les modifications génétiques ou biologiques, l’incorporation de prothèses nanotechnologiques vont permettre de modifier, d’abord les individus, puis, peut-être, la race humaine. C’est cette nouvelle dimension qui est probablement l’objet central de la controverse.

Souhaitable ou non souhaitable ?

Un premier groupe d’arguments avancés à l’encontre de ces évolutions font référence à des modifications de la « nature humaine » qui ne seraient moralement pas acceptables. Même si ceux-ci ne font pas tous directement référence à des considérations religieuses, il est difficile de les discuter sans définir la morale à laquelle on se réfère et le fondement qu’on lui donne. En pointillé, on peut aussi deviner une vision selon laquelle l’homme, tel qu’il est aujourd’hui, est l’aboutissement positif d’un mécanisme d’évolution qu’il ne faudrait pas perturber.

D’autres arguments se réfèrent au risque pour l’être humain de perdre certains de ses repères fondamentaux qui lui permettent de vivre, en estompant, par exemple, la notion d’accomplissement, de réalisation, d’objectifs à atteindre (tout serait rendu simple et accessible). La même logique peut se transposer l’échelle de la société, en soulignant les risques que ces évolutions pourraient représenter de par le bouleversement de l’organisation qu’elles induisent, et les dérives qui pourraient en résulter.

Mais peut-on déduire de ces différents raisonnements la nécessité d’une condamnation globale ? Probablement pas, et comme pour ce qui se passe de nos jours, la science doit pouvoir librement avancer, les applications technologiques doivent être évaluées au cas par cas, et encadrées réglementairement de façon adaptée. Ne peut-on pas espérer que les hommes sauront porter ces évolutions de façon raisonnable, s’y adapter, et permettre à nos sociétés d’en tirer le meilleur profit (voir l’encadré « Un exemple passé d’amélioration et ses conséquences ») ?

Ajoutons que l’histoire a tendance à nous montrer que ce qui est techniquement possible finit toujours par se réaliser, et que l’enjeu principal concerne davantage la manière dont la société doit s’adapter.

Un exemple passé d’amélioration et ses conséquences

Depuis cinquante ans, nous vivons avec les conséquences d’une remarquable amélioration qui nous a apporté beaucoup de nouvelles capacités. Les oppositions à cette amélioration ont été tout d’abord très fortes dans certains milieux, et cette opposition était, d’une certaine manière, fondée sur le fait que l’amélioration n’était pas naturelle. Cependant, au fil du temps, ce type d’argument s’est estompé (sans complètement disparaître). Je fais bien entendu référence à la pilule contraceptive qui a donné à beaucoup de femmes un moyen efficace de contrôle de leur fécondité.

C’est peu dire que la fécondité est une fonction clé du corps humain, et que permettre aux femmes de prendre le contrôle sur cette fonction représente une nouvelle capacité cruciale. Disposer d’un moyen fiable de prévenir les grossesses non désirées a largement accru les capacités des femmes à prendre le contrôle de la direction de leurs vies et leur a permis d’accomplir bien plus de choses que ce qu’elles auraient pu faire sans cela. Il suffit de comparer le statut des femmes dans le monde du travail en 1960 avec le statut qu’elles ont aujourd’hui. De plus, bien que les femmes soient les bénéficiaires directes de cette amélioration du contrôle de leur corps qu’ont permis les contraceptifs oraux, la société dans son ensemble a grandement profité de cette avancée. L’entrée des femmes dans des carrières qui leur étaient auparavant fermées a produit une amélioration significative de notre capital intellectuel et de notre productivité économique.

L’exemple des contraceptifs oraux montre qu’une altération significative des capacités d’un nombre important de personnes n’est pas nécessairement synonyme de conséquences catastrophiques. À l’inverse même, les bénéfices sociétaux peuvent être énormes. Bien entendu, ceci ne signifie pas qu’il en sera de même pour toute amélioration significative des individus.

Ronald A. Lindsay
Extrait de l’introduction du dossier "Transforming Humanity : Fantasy ? Dream ? Nightmare ?" (Free Inquiry, Décembre 2011)
Traduction Jean-Paul Krivine

Dans le débat sur les nanotechnologies ?

L’amélioration de l’homme et la controverse associée se sont invitées dans le débat sur les nanotechnologies. Le mouvement transhumaniste est parfois pointé du doigt, rendu responsable d’une coloration idéologique à ce qui devrait rester une technologie parmi d’autres. À nos yeux, encourager les développements des sciences et des technologies pour améliorer les individus n’est pas en soi un projet condamnable. Quant au mouvement transhumaniste, il semble être beaucoup plus nébuleux et divers (différents groupes s’en réclament, avec des colorations différentes d’un pays à l’autre) que la simple promotion de cette assertion sur le progrès scientifique et technique. Le débat gagnerait sans doute en clarté en se focalisant sur les arguments énoncés, leur incidence réelle sur la controverse actuelle autour des nanotechnologies, plutôt que les intentions réelles ou supposées de tel ou tel mouvement.

Toutefois, il est certain, que des promesses peu réalistes quant aux possibilités technologiques dans un avenir raisonnable, ou des discours parfois provocateurs, venant de scientifiques ou non, sur ce que la science va permettre, peuvent susciter des peurs inutiles et des réactions antiscience en retour.

1 Voir par exemple le dossier du Free Inquiry « Transforming Humanity : Fantasy ? Dream ? Nightmare ? », décembre 2011.

Publié dans le n° 301 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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