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L’affaire du Mediator : le point de vue du clinicien

Publié en ligne le 20 décembre 2010 - Médecine -

Lorsqu’un médicament nouveau est retiré du marché en raison d’effets secondaires, il est parfois difficile de savoir si le médicament a été mis de manière illégitime sur le marché ou si la procédure de son retrait a été ou non ralentie par diverses manœuvres. L’affaire du Mediator est bien différente, puisque ce médicament est commercialisé depuis 1976. Elle est hélas exemplaire.

Le laboratoire Servier n’a pas dit aux médecins que ce médicament était un anorexigène appartenant à la famille des fenfluramines comme l’Isoméride, retiré du marché en 1997 en raison d’hypertension artérielle pulmonaire. Le Mediator, au contraire, a été présenté par le Laboratoire Servier comme « un régulateur métabolique », un médicament agissant au « carrefour des métabolismes », un « insulino-sensibilisateur », un « adjuvant de la diététique du diabète ».

La communauté des diabétologues considérait surtout que c’était un médicament peu ou pas efficace. N’ayant jamais obtenu le label de médicament antidiabétique, il n’a d’ailleurs jamais fait partie d’aucune des recommandations thérapeutiques du diabète. Peu prescrit par les diabétologues, il était plus prescrit par les non-spécialistes du diabète, d’autant que la publicité du laboratoire le présentait comme une alternative au traitement de base du diabète, la Metformine. Personnellement, je ne l’ai jamais prescrit, je l’ai souvent arrêté, mais il m’est arrivé de renouveler l’ordonnance à de rares patients qui insistaient en estimant que le médicament leur était bénéfique. J’ajoutais « s’il ne vous fait pas de bien, du moins ne vous fait-il pas de mal ! » … Voilà pourquoi j’ai, comme quelques autres diabétologues, le sentiment amer d’avoir été manipulé.

Si le laboratoire avait clairement mentionné qu’il s’agissait d’un médicament anorexigène appartenant à la classe des fenfluramines, il est évident que la pharmacovigilance aurait été ciblée sur l’hypertension artérielle pulmonaire et sur les valvulopathies cardiaques.
Ne pas qualifier ce médicament de « coupe-faim » avait un autre intérêt, dans la mesure où ces médicaments n’obtiennent pas de remboursement à ce jour en France. En le positionnant dans le traitement du diabète, cela permettait au Laboratoire d’obtenir un remboursement à 65 % par la Sécurité Sociale, c’est-à-dire en fait à 100 % pour les diabétiques. Comment Servier a-t-il pu bénéficier d’une telle faveur de la part des instances de l’État, alors que le Mediator n’a jamais été reconnu comme antidiabétique ? Voilà ce qu’il serait intéressant de connaître.

Le médicament et ses indications

Le Mediator® des laboratoires Servier a été autorisé en 1976 et initialement classifié et prescrit en tant qu’hypolipidémiant, c’est-à-dire contribuant à la diminution des lipides dans le sang. Son indication sera validée en France en 1987 comme adjuvant dans les régimes adaptés aux personnes souffrant d’hypertriglycéridémie (quantité anormalement élevée de tri-glycérides – une des catégories de lipides – dans le sang).

En 1990, le champ de prescription est étendu à la diabétologie : le Mediator peut être prescrit en tant qu’« adjuvant au régime adapté pour les personnes diabétiques en surcharge pondérale ». Mais la demande du laboratoire (en 1998) pour que le médicament soit aussi validé dans le traitement du diabète de type 2 en première ligne n’a pas été accordée, pour insuffisance de données d’efficacité.

La molécule active du médicament est le chlorhydrate de benfluorex. Elle a une structure chimique qui s’apparente à celle de certains coupe-faims (ceux à base de dérivés de type Isoméride). Il est important de noter que ces deux classes de molécules ont un métabolite commun (c’est-à-dire que ces deux molécules se transforment en une même molécule dans le corps, la norfenluramine). En effet, c’est ce métabolite commun qui sera incriminé lors de l’interdiction des coupe-faims de type Isoméride. Cette parenté explique aussi pourquoi le Mediator sera utilisé en substitution comme coupe-faim, suite à l’interdiction des anorexiques de type Isoméride, bien que le Mediator n’ait jamais été validé pour cette indication.

En France, on estime à 2 millions le nombre de patients ayant recouru au Mediator entre 1976 et 2009. Entre 20 % et 30 % l’auraient utilisé en tant que coupe-faim. Le nombre total de décès imputables à l’usage du médicament est évalué, pour la France, entre 500 et 1000.

J-P. K.

L’enquête doit donc faire toute la lumière sur cette affaire et préciser les responsabilités des uns et des autres, et ce pour trois raisons :

  1. pour que justice soit faite aux victimes et aux malades ;
  2. pour qu’on ne mette pas toutes les affaires concernant les effets secondaires des médicaments dans le même sac, avec la tentation de remplacer le principe médical de l’évaluation du rapport bénéfice/risque par le principe juridique de précaution susceptible de freiner l’innovation ;
  3. pour que le discrédit ne touche pas l’ensemble de la communauté médicale qui s’est trouvée de fait désinformée.

Conflits d’intérêts : j’ai reçu des honoraires pour des conférences par les différents laboratoires pharmaceutiques concernés par le diabète, notamment par le Laboratoire Servier mis en cause dans cet article. A. G.

Chronologie

1976 : Autorisation du médicament Mediator (laboratoires Servier) sur le marché français pour la réduction de la quantité d’une certaine classe de lipides (les triglycérides).

1990 : L’Isoméride, un médicament coupe-faim, dont la structure chimique est proche de la molécule active du Mediator, fait l’objet de premiers signalements pour des risques d’hypertension artérielle pulmonaire – maladie rare et très grave.

1996 : Une étude publiée par le New England Journal of Medicine 1 confirme l’association entre les médicaments coupe-faims de la famille des Isomérides et le risque d’hypertension artérielle pulmonaire. Une nouvelle étude publiée 5 mois plus tard par le même journal établit les dangers de ces hypertensions artérielles pulmonaires.

1997 : Interdiction mondiale des médicaments de la famille des Isomérides.

1998 : La commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) note l’absence d’efficacité du benfluorex (molécule active du Mediator) sur l’hypertriglycéridémie, l’une de ses indications.

1999 : D’autres dérivés amphétaminiques (l’Isoméride est un dérivé amphétaminique) utilisés comme coupe-faims sont retirés du marché français.

2002 : l’Afssaps interdit aux Laboratoires Servier une publicité sur les indications du Mediator pour des patients diabétiques, car non conforme aux dispositions de l’AMM.

2003 : Le Mediator est retiré en Espagne, suite à une étude de médecins espagnols décrivant un cas de valvulopathie associé à l’usage du benfluorex, la molécule active du Mediator.

2004 : Le Mediator est retiré du marché en Italie.

2006 : La France reste, avec le Portugal et Chypre l’un des derniers pays à continuer à autoriser le Mediator.

2006 : Le professeur Jean-Louis Montastruc, du CHU de Toulouse, et membre de la Commission nationale de pharmacovigilance, rapporte à son tour le cas d’une patiente atteinte de valvulopathie qu’il associe à la prise du Mediator.

2007 : La Commission nationale d’AMM (autorisation de mise sur le marché) retire l’indication du Mediator relative à l’hypertriglycéridémies pour insuffisance du service rendu. Mais son indication comme adjuvant dans les régimes adaptés pour les personnes diabétiques en surcharge pondérale est maintenu.

2009 (avril) : Le docteur Irène Frachon du CHU de Brest, suite à l’analyse en 2007 du cas d’une patiente traitée avec le Mediator, publie 2 avec plusieurs collègues, une étude portant sur 600 patients hospitalisés dans son CHU entre 2003 et 2009 pour insuffisance mitrale et montrant que 70 % des valvulopathies inexpliquées sont relatives à des patients exposés au Mediator.

2009 (octobre) :Une autorisation de mise sur le marché (AMM) est délivrée pour deux génériques du Mediator des laboratoires Mylan et Qualimed.

2009 (novembre) : retrait du médicament du marché français par l’Afssaps, du fait des risques de valvulopathie.

Sources

1 | Michel de Pracontal, « Mediator, le médicament scandale de Servier », sur Mediapart.fr
2 | https://www.ansm.sante.fr/

1 Abenhaim, Lucien, et al. "Appetite-suppressant drugs and the risk of primary pulmonary hypertension." New England Journal of Medicine 335.9 (1996) : 609-616.

2 Frachon, Irene, et al. "Benfluorex and unexplained valvular heart disease : a case-control study." PloS one 5.4 (2010):e10128.