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L’abominable secret du cancer

Publié en ligne le 15 janvier 2020
L’abominable secret du cancer

Frédéric Thomas, avec la collaboration de Sophie Pujas, préface de Pascal Pujol
HumenSciences, 2019, 314 pages, 22 €


La grande originalité de ce livre dans la littérature de vulgarisation des sciences du cancer, c’est de ne pas privilégier un point de vue médical – traitements, prévention, épidémiologie du cancer – mais un point de vue résolument biologique. Il s’agit de présenter quelques-unes des grandes théories qui structurent la recherche sur le cancer. Loin de se réduire à la constitution de traitements innovants et de techniques de détection assistées par intelligence artificielle, les sciences du cancer s’appuient de plus en plus largement sur la biologie de l’évolution. C’est la spécialité de Frédéric Thomas, directeur de recherche au CNRS.

La biologie de l’évolution bouleverse principalement nos conceptions de cette maladie, mais parfois aussi notre conception des traitements. Pour cela, il faut d’abord accepter de se décentrer du seul cancer humain : tous les êtres vivants pluricellulaires ont des cancers. Le cancer est sans doute un des problèmes majeurs que rencontre le métazoaire (au moins l’animal) au cours de l’évolution, et qu’il doit surmonter dans une mesure suffisante pour se reproduire : autant, et sinon plus, que les variations de l’environnement et la compétition pour la reproduction. La tumeur cancéreuse serait, selon la conception qui émerge actuellement, l’agrégation de cellules plus ou moins retournées à l’état de vivant unicellulaire, s’appuyant sur les ressources de son micro-environnement, favorisée par le vieillissement et son lot d’antagonismes pléiotropiques (c’est-à-dire de traits favorables dans une première partie de la vie, devenus délétères dans une seconde), et détournant la machinerie du vivant, rendue enfin plus résistante par sa propre diversité génétique. Le lecteur découvrira une multitude de faits et d’hypothèses tous plus stimulants les uns que les autres, à propos des cancers contagieux du diable de Tasmanie, du paradoxe de Peto (pourquoi les plus gros animaux ne sont-ils pas plus sujets au cancer ?), de l’extraordinaire résistance du rat-taupe glabre, mais aussi, de la croissance tumorale et des métastases.

Le livre est rédigé dans une langue claire, qui n’est pas exempte de quelques images inutiles et d’une certaine quantité de ponctuations exagérées – points de suspension et d’exclamation qui appartiennent désormais au genre de la vulgarisation scientifique et le distingue de la littérature scientifique. Cependant, la brièveté des chapitres rend la lecture plus facile. L’absence de fil conducteur évident n’est pas rédhibitoire, même s’il chagrine le lecteur habitué à s’informer de son périple avant de s’y lancer.

Le livre souffre aussi de quelques biais mineurs. L’auteur cite de manière un peu disproportionnée ses travaux, ceux de ses collaborateurs et collègues. Il est par exemple surprenant de le voir citer l’un de ses collègues de Toulouse à propos de la thèse selon laquelle le micro-environnement tumoral est une condition nécessaire du développement d’un cancer, plutôt que l’un des très grands noms de la biologie du cancer qui ont contribué à développer ces vues. Même si l’on ne reprochera pas à ce livre son pari de faire relativement abstraction de la clinique du cancer, le biais se ressent aussi lorsqu’il est question des traitements. Certaines stratégies thérapeutiques intéressantes sont présentées, mais l’impasse est presque totale sur les immunothérapies, qui constituent pourtant, de manière incontestable, un moteur central de la recherche de traitements en oncologie de nos jours. Enfin, de nombreuses autres spécialités non médicales, comme diverses branches de la physique et des mathématiques, jouent un rôle majeur dans la théorisation du cancer, mais ne sont pas évoquées dans le livre.

Ces biais restent cependant mineurs pour qui souhaitera se faire une idée stimulante de la biologie du cancer la plus fondamentale.