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Interdire les OGM relève de la politique

Publié en ligne le 17 juillet 2013 - OGM et biotechnologies -
par Marc Lavielle

L’histoire était trop belle... Seul face à Monsanto et à la communauté scientifique asservie au lobby pro-OGM, un chercheur met en évidence la toxicité d’un OGM... On disposait enfin d’arguments imparables pour clore le débat sur les OGM et justifier leur interdiction. Et puis, après une si longue liste de scandales sanitaires, comment en effet ne pas être tenté d’y croire ?

Mais chaque histoire est différente, et celle-ci s’avère finalement lamentable à bien des égards.

Passons sur la façon scandaleuse dont l’étude de Gilles-Éric Séralini a été médiatisée et sur les clauses de confidentialité insensées qui ont accompagné sa sortie. Revenons plutôt sur lescritiques sévères qu’elle mérite et qui ont été soulignées de façon quasi unanime par la communauté scientifique internationale.

Non, on ne peut pas justifier ces erreurs par les faiblesses des études réalisées par Monsanto. Tout d’abord, les erreurs méthodologiques sont ici des erreurs de calcul, des formules et des tests statistiques utilisés de façon incorrecte. Malgré tout le mal que l’on peut penser de Monsanto, on ne peut tout de même pas leur reprocher d’être à l’origine de ces erreurs et des conclusions infondées avancées par M. Séralini et ses coauteurs.

Rappelons d’autre part que le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) a toujours été extrêmement critique dans ses avis à l’égard de toute étude qui conclut hâtivement à l’absence totale de risques sur des bases statistiquement fragiles. Mais encore une fois, ces réserves n’excusent en rien les erreurs de M. Séralini et les faiblesses de son étude.

Publier dans une revue internationale n’est en rien un gage indiscutable de qualité. L’examen d’un article par deux ou trois collègues est un filtre qui fonctionne globalement assez bien mais qui est loin d’être parfait. Tout scientifique le sait et l’accepte.

Exiger le retrait de cet article serait d’ailleurs une erreur grave : nous sommes des évaluateurs, sûrement pas des censeurs. Et puis l’important, c’est le deuxième tour, une fois l’article publié et soumis aux analyses de l’ensemble de la communauté scientifique. Il est alors fréquent que des résultats publiés soient remis en cause. Mais personne n’a encore jamais vu un scientifique sérieux soutenir que sa démonstration est juste parce qu’elle est publiée.

Autre argument qui revient immanquablement dans le débat : les conflits d’intérêts et l’absence d’indépendance de quiconque ose critiquer les travaux de M. Séralini. De telles allégations sont indignes et ridicules : ressortir en boucle l’inévitable « tout le monde sait que les experts de telle institution ne sont pas indépendants... » est un procédé nauséabond.

Que l’on me démontre que je ne suis ni compétent ni indépendant pour pouvoir critiquer aussi bien les études de Monsanto que celles du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen). Il n’y a aucun conflit : c’est l’intérêt général qui est en jeu.

J’ai créé il y a quelques années le groupement de recherche Statistique et santé, une unité du CNRS qui regroupe statisticiens, biologistes, médecins... et dont un des objectifs est de développer l’usage de bonnes pratiques statistiques dans le domaine de la santé, précisément pour éviter que des scandales sanitaires ne se répètent.

Après tous ces efforts, il est désespérant de voir sortir cette étude, qui va exactement à l’encontre de tout ce que nous prônons. Une telle absence de déontologie est révoltante. N’est-ce pas aussi notre droit et notre devoir d’alerter l’opinion lorsqu’une opération politique, médiatique et commerciale se dissimule derrière une pseudo-étude scientifique d’aussi mauvaise qualité ?

Les pétitions et articles qui circulent en défense de Gilles-Éric Séralini n’apportent aucun argument scientifique. Ce ne sont généralement que des déclarations de principe que personne ne conteste, mais qui enfoncent des portes ouvertes (oui à l’expertise pluraliste et au fonctionnement démocratique, non aux conflits d’intérêts...), et qui surtout se gardent bien d’aborder le contenu scientifique de l’article.

Même si de très bonnes intentions motivent certaines de ces réactions, la fin ne justifie pas les moyens. On est tout à fait en droit de se poser des questions sur le modèle économique que voudrait imposer l’industrie des biotechnologies agroalimentaires, ou encore sur les risques environnementaux liés à l’usage de certains pesticides ou aux cultures de certains OGM. Mais on ne peut pas pour autant accepter les yeux fermés une étude aussi controversée sous prétexte qu’elle va dans le sens de ses convictions : une science médiocre ne peut être au service d’une bonne cause.

Le rôle de la statistique dans une étude toxicologique n’est pas de lever des incertitudes, mais de les évaluer. Il faut donc cesser de faire croire qu’une étude bien menée permettra de conclure de façon définitive à l’absence ou à l’existence de risques pour la santé humaine. Une étude à 90 jours apporte certaines informations, avec ses limites. Une étude sur 2 ans apportera d’autres informations, mais il restera toujours des interrogations. Et si « un » OGM provoquait une pathologie grave dans 1 cas sur 1 000 au bout de plusieurs années... Comment le détecter ? En faisant des études sur 100 000 rats ? Sur d’autres animaux ? Pendant 10 ans ?

La décision d’interdire ou de commercialiser un OGM n’est pas aux mains des scientifiques : c’est une décision politique. On comprend alors que la prise de décision serait bien plus aisée si l’étude concluait de façon catégorique à l’innocuité ou à la toxicité de l’OGM. Manque de chance, nous sommes dans un environnement incertain, et il faut l’assumer... plutôt que se réfugier derrière certaines études qui concluent sans précaution à l’absence totale de risque, ou au contraire derrière des études boiteuses qui affirment à la légère que les OGM sont toxiques.