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Histoire de la pensée économique

Publié en ligne le 17 octobre 2019
Histoire de la pensée économique
Henri Denis
PUF, Coll. Quadrige Manuels, 2016, 736 pages, 21 €

L’économie est omniprésente dans les préoccupations contemporaines, dans le débat public comme dans l’information quotidienne, et pourtant sa profondeur historique, la diversité de ses courants sont totalement ignorés. Le citoyen est amené à croire que « l’économie » se réduit à quelques slogans à l’allure d’évidences ou bien, au contraire, à de vulgaires batailles idéologiques sous couvert de vocabulaire pseudo-scientifique, et non qu’il s’agit d’une discipline multiséculaire, faite d’avancées conceptuelles mais aussi de conceptions concurrentes, qui a progressivement mis en place un ensemble d’outils intellectuels permettant une meilleure compréhension du monde.

L’Histoire de la pensée économique est un manuel destiné aux étudiants en économie, mais il présente aussi les caractéristiques idéales d’un ouvrage de vulgarisation (clarté, accessibilité, richesse, attachement au réel). Une qualité particulière de l’ouvrage est de débuter par l’examen des prémices de la pensée économique dans la philosophie antique puis médiévale, qui ne pouvaient totalement ignorer la question de la reproduction du substrat matériel de l’existence humaine, mais la traitaient comme sujet secondaire en l’assujettissant à des finalités morales ou théologiques. Mais la majeure partie de l’ouvrage est consacrée à l’examen des théories proprement économiques, c’est-à-dire se donnant pour but principal d’expliquer le fonctionnement du système productif : formation des prix, rôle du travail et du capital, répartition des revenus, etc. Ces théories ont fleuri à partir du XVIIe siècle et se nomment mercantilisme, physiocratie, utilitarisme, libéralisme, marxisme, etc. Chacune est décrite en détail avec ses tenants et ses aboutissants.

L’auteur a le souci de les replacer dans le contexte de leur élaboration, notamment l’histoire du développement des échanges, des crises économiques, des inégalités sociales. On saisit ainsi que nombre d’entre elles ne sont pas issues du simple désir de comprendre mais ont aussi un arrière-plan politique ou moral qui a déterminé leurs auteurs à s’intéresser à certains sujets, voire à favoriser un angle d’analyse (par exemple le libéralisme inspiré par une vision naturaliste, mécaniste, du monde économique qu’il ne faudrait surtout pas dérégler par des interventions étatiques, ou les écrits économiques de Marx découlant de son choix du communisme en réaction à l’exploitation des prolétaires). Cela n’empêcha pas les auteurs de ces théories de laisser à la postérité des innovations conceptuelles améliorant notre compréhension des phénomènes économiques. Henri Denis ne se prive pas de souligner les insuffisances voire les erreurs de chaque système, mettant parfois en équations les raisonnements exposés. Il se dégage de l’ensemble une impression de rigueur et d’impartialité, même si l’auteur donne, dans le dernier chapitre, sa faveur à quelques directions récentes de la pensée économique. Surtout, au-delà de la particularité de chaque système, le lecteur acquiert un regard critique sur les présupposés et faussetés qui ruinent bien souvent le pouvoir descriptif et prédictif de ces systèmes (on en découvre pêle-mêle un certain nombre, comme l’hypothèse de substituabilité des biens échangés, l’hypothèse de plein emploi de la force de travail ou l’ignorance de l’épargne des ménages 1).

L’auteur, professeur d’économie à l’université, a été proche du PCF et a participé à l’introduction du marxisme dans les milieux académiques 2, puis a développé une position critique à son égard tout en continuant à souligner les apports de Marx (une cinquantaine de pages y sont consacrées). Les derniers ajouts à ce livre semblent dater du début des années 2000.
Dans un paysage médiatique de non-information concernant les théories économiques, leur histoire, leurs conceptions et leurs désaccords, on ne saurait trop recommander la lecture de cet ouvrage à tout citoyen profane en économie et désireux de se cultiver à son sujet.

1 Postuler que les ménages n’épargnent pas n’est plus, depuis bien longtemps, une hypothèse raisonnable pour l’analyse des flux économiques. Par exemple, dans la France contemporaine, le taux d’épargne des ménages est d’environ 15 %, ce qui est considérable.

2 Jacques Girault, Jacqueline Sainclivier, Jacques Thouroude, « DENIS Henri, Émile, Marie », sur maitron-en-ligne.univ-paris1.fr.