Accueil / Notes de lecture / Histoire de l’heure en France (note de lecture n°1)

Histoire de l’heure en France (note de lecture n°1)

Publié en ligne le 19 janvier 2012
Retrouvez ici une seconde note de lecture concernant ce livre : Histoire de l’heure en France (note de lecture n°2)
Histoire de l’heure en France

Jacques Gapaillard. Préface de Jean Kovalevsky
Vuibert-ADAPT/SNES, 2011, 314 pages, 32 €

Jacques Gapaillard, ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, est professeur émérite à l’Université de Nantes où il enseigna les mathématiques et l’histoire des sciences. Il est l’auteur d’ouvrages dans ces deux disciplines, et notamment d’un livre, toujours édité, qui eut un grand succès dans l’histoire de la physique du mouvement terrestre : Et pourtant, elle tourne !…, au Seuil, en 1993.

L’éditeur, ici en association avec Adapt-SNES, a une belle collection d’ouvrages d’histoire des sciences. Plusieurs ont été analysés dans cette revue. Et c’est de nouveau l’occasion de saluer cet effort de l’éditeur dans un secteur qui nous est cher et qui chaque année reçoit l’approbation du public qui se presse au salon du livre d’histoire des sciences, en novembre, à Ivry.

Chez moi, le changement de l’heure en France était lié au souvenir d’enfance, de ce jour où nous passâmes de l’heure d’hiver à l’heure d’été allemande(s) en 1941. Et, bien sûr, à tout le tintamarre qui accompagne depuis 1976 le retour au changement rituel des heures… qui sont toujours les heures allemandes, décalées d’une ou deux heures sur celle du méridien de Greenwich. Mais, bien entendu, cet aspect anecdotique de l’affaire n’occupe que les dernières pages de ce beau livre, à la fois savant, bien écrit et plein d’épisodes souvent savoureux sur une très longue histoire.

Puisque je suis né à Nantes, et que Jacques Gapaillard y a fait sa carrière universitaire, j’ai été sensible à la photo, dès l’entrée du livre, de la méridienne de la place de la Bourse, que j’ai vue sans la remarquer quand mon père m’emmenait sur son lieu de travail. Curieux, pourtant, ce dessin en huit déformé, au-dessus d’un balcon de la place. C’est ainsi que j’ai appris que le jour solaire vrai (intervalle entre deux passages consécutifs du centre du soleil au méridien d’un même lieu) varie légèrement d’un jour au suivant. Mais l’écart entre le jour solaire et vingt-quatre heures de votre montre à quartz n’éxcède jamais la demi-minute. Vous pourriez toutefois constater cet écart autour du solstice d’hiver, époque des jours solaires les plus longs, en vous référant à la méridiennne de l’église Saint-Etienne-du-Mont, par exemple, si vous avez la chance d’habiter place du Panthéon… ou de sortir du siège de l’Union rationaliste deux jours de suite à ce moment de l’année. Car les méridiennes, qui marquent le midi solaire vrai, sont souvent plus précises que les cadrans solaires.

Ainsi commence le livre qui nous raconte, au long de ses trois cents pages, tous les changements qui se sont succédé dans l’affichage de l’heure au clocher de votre village, et avant même que celui-ci existe, car on remonte pour l’horlogerie à la roue dentée d’Archimède. Les variations du jour solaire n’ont pas gêné les horloges à leurs débuts, bien davantage limitées par leurs imperfections mécaniques. Mais par la suite, il devint souhaitable de renoncer à leur faire suivre l’heure solaire vraie pour les régler sur une heure régulière, l’heure de temps moyen, dont les écarts par rapport à l’heure vraie sont au plus de l’ordre du quart d’heure. Ce ne sera fait, pour Paris, qu’en 1826.

À la même époque, une nouvelle invention, celle du chemin de fer, oblige à une autre innovation : l’heure variant d’un lieu à l’autre sur le territoire français, ce n’est pas bien commode pour les horaires d’un véhicule rapide qui coupe les méridiens. Il faut attendre 1891 pour qu’une loi impose, pour l’ensemble France et Algérie, une heure légale qui est le temps moyen de Paris. C’était une simplification, mais les gares avaient compliqué les choses en affichant des heures différentes à l’extérieur et à l’intérieur, la seconde retardant de cinq minutes pour faire arriver les voyageurs avant l’heure de départ des trains. Cette dualité d’heures dans les gares subsista jusqu’en 1911.

Restait en suspens la question d’une heure universelle, nécessaire aux voyages intercontinentaux. Les Américains du nord, en 1883, sous l’impulsion des compagnies ferroviaires, adoptent des heures zonales, définies par des fuseaux horaires, calées sur le méridien de Greenwich. L’année suivante, une conférence internationale tenue à Washington confirme le choix du méridien de référence. La France y souligne son désaccord en proposant un méridien neutre, situé dans le détroit de Behring ou dans les Açores. Et en 1891, comme on l’a dit, elle fixe son heure sur le méridien de Paris.

En 1911, elle devra pourtant se soumettre à la règle générale. Mais traduira sa mauvaise volonté en retardant l’heure de Paris de 9 minutes et 21 secondes, pour ne pas paraître s’aligner sur l’heure anglaise. Du coup elle conservait son méridien de référence, et pouvait continuer à construire ses cartes géographiques avec des longitudes calées sur ce méridien, tel l’atlas que les adolescents de ma génération utilisaient encore. Evidemment, l’heure française est ainsi celle de Greenwich, ou toute proche : une fraction de seconde qui permettra de dire qu’elle n’est pas celle d’un méridien « étranger » (on avait même envisagé que ce fût celle du méridien d’Argentan qui était naturellement celui de Greenwich).

La France n’eut d’ailleurs pas de chance avec la perfide Albion : elle adoptait l’heure anglaise en échange de la généralisation du système métrique. On sait ce qu’il en fut. On n’eut pas plus de chance, au long des deux derniers siècles, avec les tentatives pour faire adopter le système décimal pour les angles, les heures et les minutes. Mais notre pays retrouva la gloire quand la tour Eiffel, que tant de célébrités continuaient de dénigrer, sauva, si l’on peut dire, sa tête en donnant l’heure (de Greenwich) au monde entier.

L’ouvrage contient encore bien des choses qu’il faut laisser découvrir au lecteur. Notamment, de multiples citations, parfois ahurissantes, qui montrent que certains hommes illustres n’ont pas forcément le sens du ridicule. En tout cas, même si quelques pages sont un peu difficiles à lire pour qui, comme moi, est nul en géométrie dans l’espace, on ne s’ennuiera pas à la lecture de cet ouvrage d’un historien et mathématicien de haut niveau qui sait vulgariser. Et l’on peut dire que l’éditeur a une fois encore su mettre la science savante à la portée du grand public.


Partager cet article


Auteur de la note

Gabriel Gohau

Docteur ès lettres et historien des sciences, Gabriel (...)

Plus d'informations