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Point de vue

Fumer : un choix vraiment libre ?

Publié en ligne le 19 novembre 2014 - Tabac -

L’argument principal en faveur des législations anti-tabac n’est pas d’ordre économique comme certains l’avancent parfois. L’économie du tabac est un univers complexe, et les coûts directs ou induits, ainsi que les gains à attendre d’une diminution du nombre de fumeurs, sont difficiles à établir 1.

Non, l’argument numéro un de la lutte contre le tabac relève du fait que le tabac est un poison et sa consommation ne résulte pas d’un choix librement consenti :
 Le phénomène d’addiction à la nicotine s’enclenche dès la première cigarette. Des additifs capables d’augmenter cet effet ont été même introduits 2 (tels l’ammoniaque qui, rendant la fumée moins acide, facilite son absorption dans l’organisme, l’acide lévulinique qui augmente la fixation de la nicotine sur les récepteurs nicotiniques, accélérant ainsi la survenue de la dépendance, le menthol pour donner une sensation de fraîcheur, etc.).

 Les premières victimes sont principalement les jeunes qui ne sont en général pas en position de faire des choix éclairés : à 13, 14 ou 15 ans, la pression du groupe est énorme. Or, il s’avère que la majorité des fumeurs qui seront durablement dépendants (et avec les conséquences sanitaires associées) ont commencé à fumer à l’adolescence 3. Les jeunes sont d’ailleurs une des cibles privilégiées pour le recrutement de nouveaux clients (en France, maintenir simplement le nombre de ses clients impose à l’industrie de gagner chaque année 70 000 nouveaux fumeurs... pour remplacer les disparus – près de 200 par jour).

 Une très forte proportion de fumeurs voudraient arrêter mais n’y arrivent pas. Alors, bien sûr, certains affirment qu’il s’agit pour eux d’une décision librement prise. Mais combien sont-ils ? Et combien vont enrober la difficulté d’arrêter dans un discours de circonstance ?

Le choix de commencer à fumer est d’autant moins libre qu’il exige de comparer un prétendu plaisir à très court terme avec des conséquences probables, mais non certaines, à très long terme. En réalité, à l’adolescence quand la majorité des futurs fumeurs découvrent leur première cigarette, le plaisir se réduit à faire comme les copains et copines, et souvent, cette première expérience n’est pas du tout agréable. Mais à court terme, le jeune constate qu’il peut continuer à pratiquer son sport, vivre normalement... et en plus, la cigarette l’aide à s’insérer dans le groupe. Le long terme, ce sont des statistiques, des chiffres abstraits, brouillés par la désinformation et les rumeurs (« si on arrête avant 30 ans, il n’y a pas de danger », « je connais un oncle mort à 95 ans qui avait fumé »). Ajoutons que les statistiques ne décrivent pas la souffrance : le tabac tue souvent de manière atroce. Ceux qui ont eu des victimes dans leur entourage le savent. À 15 ans, difficile de faire cette analyse-là...

Enfin, le tabagisme passif (par exemple le tabagisme de la mère enceinte, le tabagisme en voiture quand des enfants sont à l’arrière) a des conséquences qui ne relèvent clairement pas d’un libre choix de ceux qui en sont victimes.

L’interdiction du tabac, non pas comme une mesure de prohibition à décréter du jour au lendemain, mais comme une cible que la société devrait se fixer, est du domaine du possible et du nécessaire 4. Certains pays (la Finlande, l’Australie, la Nouvelle-Zélande par exemple) se sont engagés dans cette voie, en augmentant régulièrement le prix des paquets de cigarette, en restreignant régulièrement les lieux où il est possible de fumer, où l’on peut acheter des cigarettes, en informant... Les réactions du public, y compris des fumeurs, sont plutôt positives.

Le tabac a probablement été le plus grand scandale de santé publique du XXe siècle, causant le décès de 100 millions de personnes. Il risque de continuer à l’être au XXIe siècle, à une échelle encore plus grande.

Le tabac en quelques chiffres


 Le tabac tue la moitié de ceux qui en consomment.
 L’épidémie de tabagisme tue près de 6 millions de personnes chaque année dans le Monde. Plus de 5 millions d’entre elles sont des consommateurs ou d’anciens consommateurs, et plus de 600 000, des non-fumeurs involontairement exposés à la fumée.


 Si aucune mesure n’est prise d’urgence, le nombre annuel de ces décès pourrait atteindre plus de 8 millions par an d’ici à 2030.
 Plus de 80 % du milliard de fumeurs dans le monde vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.
 Même si elle baisse dans certains pays à revenu élevé ou à revenu intermédiaire supérieur, la consommation totale de produits du tabac augmente au niveau mondial.
 Le tabac a provoqué 100 millions de décès au XXe siècle et il en entraînera jusqu’à un milliard au XXIe siècle si la tendance actuelle se poursuit.

1 Voir par exemple le chapitre consacré à ce sujet dans le livre Interdire le tabac : l’urgence, Martine Perez, Odile Jacob 2012.

3 Parents, alerte au tabac et au cannabis : pour aider vos enfants à ne pas fumer. Gilbert Lagrue, Odile Jacob 2008.

4 Martine Perez (ibid.).