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Faut-il encourager les chercheurs parasites ?

Publié en ligne le 15 novembre 2017 - Intégrité scientifique -

En science, deux concepts ont évolué depuis les années 2000-2010 : la collaboration (les chercheurs ne doivent plus rester isolés) et la ré-analyse des données existantes, encore insuffisamment exploitées. Si de nouveaux outils sont apparus, il reste nécessaire de bien encadrer les méthodes de travail. Le terme « chercheur parasite » désigne ceux qui analysent des données déjà collectées par d’autres collègues. Ce sont les rédacteurs d’une revue prestigieuse, le New England Journal of Medicine (NEJM), qui avaient initialement proposé le qualificatif « parasite » en ayant à l’esprit les personnes qui analysent des données de manière biaisée.

Des lobbies anti-vaccins pourraient, par exemple, ré-analyser des données en faisant en sorte qu’elles montrent ce qu’ils cherchent. Bien que cette situation soit envisageable, le terme était inapproprié car la plupart des chercheurs sont honnêtes et veulent ré-analyser des données avec l’objectif d’apporter des réponses à de nouvelles questions. Le terme « parasite » a malgré tout été conservé pour qualifier tout chercheur qui fouille des données existantes.

La bonne pratique consiste à procéder avec prudence et à ne pas ouvrir les données à tous, mais seulement aux chercheurs qui proposent un protocole de ré-analyse. Les nouvelles études sont alors conduites dans le cadre d’un plan de recherche précis et les projets sont même parfois soumis à un comité d’éthique. Ces analyses, dites secondaires, se multiplient dans le domaine des essais cliniques. Ainsi, le projet YODA (Yale University Open Data Access) propose de partager les données de 191 essais cliniques (mai 2017). Un autre exemple est celui de l’essai SPRINT ayant inclus 9 361 malades suivis pendant 3,3 ans (durée médiane). Il s’agissait d’un essai à promotion publique (National Institutes for Health – NIH – aux États-Unis) publié dans le NEJM. Avec les NIH, le NEJM a organisé un appel aux chercheurs intéressés à accéder à cette base de données. Ils ont reçu en retour 200 protocoles de chercheurs provenant de 26 pays et 143 équipes ont ainsi pu procéder à de nouvelles analyses (challenge.nejm.org/pages/home).

Des sociétés savantes récompensent désormais les « chercheurs parasites », à l’image du Pacific Symposium on Biocomputing 2017 qui vient de décerner un « prix du jeune parasite » et un « prix du parasite senior » (researchparasite.com). Ce dernier a été attribué à Erik Turner, auteur d’un travail princeps publié en 2008 dans le NEJM. Avec ses collaborateurs, il avait ré-examiné les données portant sur 12 546 malades inclus dans 74 essais cliniques de 12 antidépresseurs soumis à la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis pour demander une autorisation de mise sur le marché. Ils ont montré que les essais dits positifs (efficacité de l’antidépresseur) étaient publiés alors que les essais dits négatifs (inefficacité de l’antidépresseur) ne l’étaient pas, ou l’étaient avec une conclusion opposée. Ainsi, 31 % des 74 essais cliniques n’avaient jamais fait l’objet de publications. Est-il acceptable d’avoir inclus 3 449 malades dans des essais qui ne donneront lieu à aucune publication des résultats ? Si 37 des 38 essais classés comme « positifs » avaient été publiés, seuls 3 des 36 essais classés « négatifs » ou « discutables » avaient été publiés correctement (11 avaient été publiés de manière biaisée faisant imaginer un résultat positif et 22 n’avaient pas été publiés). En conséquence, un contraste surprenant : la seule lecture de la littérature scientifique (les essais publiés) fait apparaître 94 % des essais comme positifs alors que les résultats réels des études évaluées par la FDA montrent que seulement 51 % des essais réalisés étaient positifs !

Le concept de chercheur parasite nécessite de reconsidérer les qualifications des auteurs, donc la paternité des travaux. Comment valoriser à la fois la contribution des chercheurs ayant collecté les données et celle des chercheurs parasites ayant analysé des données existantes ? Le concept de data authors, ou « auteurs de données » a été proposé et des règles explicites ont été décrites pour signer les articles.

Cela va dans le sens du mouvement vers une science lente : des projets en plus petit nombre mais mieux financés, et plus de temps pour la recherche. Des disciplines savent déjà partager et collaborer, et la ré-analyse devrait apporter sa contribution. Voire, en menant un nouvel examen de données par une équipe elle aussi nouvelle, participer à la reproductibilité des résultats.

Références

1 | Longo D.L., Drazen J.M. “Data sharing”, NEJM, 2016, 374:276–277.
2 | Bierer D.E., Crosas M., Pierce H.H. “Data authorship as an incentive to data sharing”, NEJM, 2017, 376:1684–1687.


Thème : Intégrité scientifique

Mots-clés : Science

Publié dans le n° 321 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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